Les banques centrales ont été sommées « pour la croissance » d’inonder la planète de milliers de milliards de dollars. Notre gouvernement continue à inonder d’argent ses propres circuits par des dépenses publiques massives, prétextant que l’austérité casserait la croissance. Mais on ne voit rien venir, car le terme « croissance » est utilisé à tort et à travers. Et de toute façon ce n’est pas une question d’argent. On pense que si on sème de l’argent, des emplois vont pousser. On a commencé par chercher de l’argent par l’impôt. On a taxé les entreprises pour s’apercevoir plus tard que cela enlevait aux employeurs les moyens d’employer et les poussait à embaucher à l’étranger. Comme l’impôt rentre de plus en plus mal, on emprunte.
Nous avons la chance d’avoir comme garante une tante riche et économe, Madame Merkel, grâce à laquelle on nous prête à des taux d’intérêt très bas. Mais cette tante agace par ses conseils d’économie, et il est très commode de dire que c’est de sa faute si tout va mal. Je ne sais pas combien de temps pourra durer ce double jeu.
Le mot croissance est utilisé à tort et à travers
Les financiers ont convaincu les pouvoirs d’inonder l’économie d’argent bon marché. C’est soi-disant « pour la croissance ». Mais en fait l’argent n’arrive pas à l’entrepreneur de base, celui créé des emplois, car c’est aux banques que cette inondation financière est nécessaire pour sauver leur peau, comme en 2008, et tant pis si l’on crée quelques bulles au passage. Or éviter le pire et favoriser la croissance sont deux choses différentes : un parachute, c’est pour survivre quand l’avion tombe, pas pour avancer !
Voici un exemple de cette confusion : les stratégistes de CM-CIC Securities écrivent : « Le gouvernement chinois reste présent pour limiter le risque de hard landing (en clair, il distribue massivement des crédits), mais poursuit en parallèle ses objectifs de réformes structurelles, ce qui pénalise la croissance. » Or c’est justement faute de réformes structurelles que la croissance chinoise, tout comme la française, est menacée.
De plus, en France, le gouvernement est coincé entre sa découverte tardive du rôle des entreprises et sa gauche qui crie que l’austérité va tuer la croissance. C’est de l’hypocrisie, car l’absence de croissance ne menace pas les fonctionnaires dont le poste est garanti. En fait, ils craignent une austérité qui réduirait leurs avantages, et tant pis si les conserver oblige à taxer, à s’endetter ou à annuler des investissements, ce qui dans tous les cas est un moins pour l’emploi.
Du coup, les dépenses publiques continuent à augmenter de 21 milliards par an depuis 2009 ; elles dépassent maintenant de 13 points de PIB le taux allemand. Et sans aucun effet, car faire doublonner un fonctionnaire départemental par un fonctionnaire régional crée-t-il de nouveaux produits et donc de nouveaux emplois ? En réalité, la véritable austérité est celle qui s’est abattue sur le secteur privé avec l’augmentation des charges et des impôts tant sur les entreprises que sur les salariés moyens ou cadres.
Résumons : ce n’est pas en semant de l’argent par les banques centrales ou les dépenses publiques courantes que l’on déclenche la croissance. On ne fait qu’éviter un effondrement en s’endettant un peu plus. C’est ce qui se passe depuis 2008, et pas seulement en France.
Alors d’où est venue et d’où vient la croissance ? Prenons du recul et interrogeons l’histoire
L’urbanisation, la qualification, l’ouverture à l’étranger
D’où est venue notre croissance passée ? D’où vient aujourd’hui la croissance des autres ?
La croissance de la France d’avant-hier ou celle du Japon puis de l’Asie du Sud-Est hier ou de la Chine d’aujourd’hui est d’abord largement due à l’urbanisation : des paysans en surnombre, donc peu productifs deviennent des ouvriers, puis des employés, puis leurs enfants des ingénieurs, des cadres etc. En France, c’est terminé, mais l’Afrique et une partie de l’Asie sont peu urbanisés et leur développement sera une aubaine pour nous. À condition que nous soyons compétitifs, sinon elles iront chercher leurs importations chez les autres !
D’où la deuxième étape de croissance : se qualifier. Autrement dit, lorsque les campagnes se sont vidées il faut un progrès en agriculture pour nourrir les villes, ou être compétitif à l’exportation pour pouvoir payer la nourriture importée, comme le font Singapour, Hong Kong et bien d’autres. Pour cela il faut une généraliser puis perfectionner sans cesse l’éducation. C’est ce que fait l’Asie orientale, mais pas l’Afrique. En France, l’urbanisation est terminée. Il n’y a presque plus paysans et ceux qui restent ont une très bonne productivité : les transformer en ouvriers n’apporterait rien, au contraire. Reste à bien former les jeunes pour les préparer à l’emploi.
La croissance, c’est le fait que chacun produise davantage, donc monte en qualification, ce qui est un processus très lent : avant de former les élèves, il faut former des professeurs, puis attendre que leurs élèves se diffusent dans l’économie ce qui prend des décennies En attendant, on fait appel à l’étranger : au XIXè siècle la France a accueilli les entrepreneurs anglais, les États-Unis les entrepreneurs européens et le Japon les entrepreneurs occidentaux. Au XXè siècle, l’Asie du Sud-Est a accueilli les investisseurs du reste du monde et l’Europe ceux des États-Unis. Plus tard la Chine n’a vraiment démarré que lorsqu’elle s’est enfin ouverte. Le rattrapage est alors rapide puisque l’on connaît les techniques et les méthodes : ce fut le cas de la France des 30 glorieuses en même temps et pour les mêmes raisons que le rattrapage de l’Asie du Sud-Est.
Le comportement des dirigeants compte beaucoup : si un gouvernement n’utilise pas les ressources du pays à la scolarisation, à un minimum d’infrastructures et à un ordre public et juridique stable garantissant la vie et les activités des employeurs étrangers et nationaux, ça ne marche pas ! C’est pour cela que Mao a envoyé son pays au fond du trou. De même pour l’Inde de Nehru, plus sympathique parce que démocratique, mais dont le socialisme a maintenu la population dans une extrême pauvreté du fait du poids du secteur public et de son administration, auxquels s’est ajoutée la fermeture à l’étranger. D’ailleurs les quelques mesures libérales des années 1990 ont fait faire un bond en avant à l’Inde.
Quel argent ?
Vous remarquerez que dans tout cela il n’est pas question d’argent, sauf celui qui arrive avec les capitaux étrangers mais qui n’est efficace qu’avec les spécialistes qui les accompagnent. En tout cas il n’est pas question de l’argent de l’État (même les infrastructures peuvent être payées par le privé, mais ne compliquons pas), ni des impôts, ni de l’inondation monétaire par les banques centrales. Ce sont les paysans migrants vers la ville et employés par les entrepreneurs nationaux et étrangers, puis leurs enfants qualifiés qui font la croissance. A condition de ne pas étouffer leurs employeurs par les prélèvements et le délire administratif. Ils trouveront eux-même des investisseurs, comme aux États-Unis et ailleurs. Bref il faut une irrigation pilotée par l’agriculteur, pas une inondation décidée du haut des nuages par les banques centrales, dont l’eau retournera à la mer après avoir fait quelques dégâts.
Donc la France ?
Notre pays est soumis aux mêmes mécanismes que le reste du monde. La France s’est urbanisée, mais c’est maintenant fini. Nos gouvernants ont bien scolarisé dans le passé, mais le niveau baisse sérieusement aujourd’hui. Nous avons accueilli les entrepreneurs étrangers de façon variable, et notamment très mal pendant le coup de folie qui a suivi l’arrivée de François Hollande. Maintenant, on leur fait des déclarations d’amour, mais il faut aussi et surtout que les impôts ne soient pas plus élevés et la législation pas plus contraignante qu’ailleurs. Pour l’instant l’engueulade des patrons français et étrangers par notre gouvernement débutant, aggravé par la surtaxation et les « usines à gaz », font que seulement 12 % des patrons américains voulant investir à l’étranger ont une bonne idée de la France ! Au sommet, on sait parfaitement ce qu’il faut faire pour la croissance et notamment que ce n’est pas une question d’argent. Les quelques lois nécessaires ne coûteraient rien … sauf l’aveu de l’incompétence ou de la posture. Allons, courage, d’autres pays aussi mal partis s’en sont tirés !
Publié dans Le Cercle Les Échos le 23 /11/2014.
2 commentaires sur “Ce n’est pas en semant de l’argent qu’on fait pousser les emplois”