Echos du Monde Musulman 248 – 4 février 2015

Au sommaire de ce numéro : La Tunisie rappelle à son président que son régime est d’abord parlementaire,  au Maroc, l’insécurité (très relative) pèse sur le politique et la réputation auprès des retraités français. La Syrie a disparu, tandis qu’en Indonésie, la religion n’est pas désintéressée.

Le régime tunisien est parlementaire

Le futur premier ministre Habib Essid a présenté une équipe plus politique que celle du 23 janvier qui n’avait pu réunir une majorité parlementaire. Il y a maintenant quatre islamistes dans son équipe, ce qui devrait assurer une majorité confortable à l’Assemblée, malgré la défection de quelques députés opposés à la participation des islamistes. Sept ministères vont à Nidaa Tounes dont celui des Affaires étrangères. Il y aura trois juristes indépendants, dont le ministre de l’Intérieur réputé « de l’ancien régime », celui de la Justice et celui de la Défense. Les islamistes reçoivent le ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle et trois secrétariats d’État techniques. Ils sont parvenus à écarter Khadija Cherif, qui devait être Ministre de la Femme. Le ministère de l’Education est allé à un anti-islamiste. Donc une « union nationale », mais sans postes-clés pour les islamistes, qui, avec « l’emploi », partagent les risques de la gouvernance.

Maroc-France : fin de la brouille, mais…

La coopération judiciaire et anti-terroriste est rétablie après un an de brouille. Il fallait y arriver parce que c’était un peu ridicule compte tenu des relations entre les deux pays, surtout à une époque où il faut une coopération maximale contre le terrorisme. Mais ça n’a pas été simple du fait de différences entre les régimes politiques, sujet dans lequel je ne veux pas entrer ici. Bref, sécurité avant tout : les services marocains et algériens coopèrent déjà depuis longtemps, bien que les gouvernements soient ouvertement ennemis (et que la presse algérienne « chauffe » l’opinion contre les Marocains).

Petite incidence : c’est justement la sécurité qui a permis au Portugal de « doubler » le Maroc qui n’est plus qu’en troisième position des destinations préférées des retraités français. Le Maroc et le Portugal ont tous deux un bon climat, des prix bas, de faibles impôts. Le Portugal est un peu plus près (avec des vols très bons marché pour la France), fait partie de la zone euro, et surtout « est plus sûr ». Ce dernier point fait oublier qu’il n’est pas francophone (point pourtant important pour les retraités) : le français n’est plus une matière obligatoire au Portugal, et est particulièrement peu connu dans sa partie sud recommandée aux retraités ; le ministre compétent du Maroc aurait pas là l’occasion de faire une vigoureuse contre-offensive médiatique.

Francophone, le Maroc ? Oui, assez massivement, notamment pour la vie quotidienne des retraités, des touristes et surtout des salariés, fournisseurs et clients. Mais un peu moins dans certains milieux. Il y a un fort lobbying en faveur de l’anglais, et comme les Français y cèdent eux-mêmes en France, on ne peut pas le reprocher aux Marocains. Pourtant, la francophonie est un avantage comparatif important, qui apporte beaucoup d’emplois et une ouverture sur le monde. Si les entreprises françaises, belges et autres devaient travailler en anglais ou en arabe, elles préféraient elles aussi le Portugal ! Vous connaissez mon refrain : savoir parler anglais est un plus, l’utiliser quand ce n’est pas absolument nécessaire dans un pays où il n’est pas la langue maternelle ou de formation est un formidable gâchis de compétences, et donc un obstacle aux carrières du plus grand nombre et au développement du pays. Mais une minorité et quelques étrangers y voient un vecteur de différenciation qui leur est utile.

Et pendant ce temps là, en Syrie…

Quelle Syrie ? On parle des Kurdes de Kobané (et parfois de la deuxième et de la troisième zone kurde de Syrie, l’une à l’est, l’autre à l’ouest), on parle du territoire de l’État Islamique, on parle de celui d’Al Qaïda, notamment à la frontière d’Israël, on parle (moins maintenant) de l’armée syrienne libre, prise entre l’armée loyaliste et si vous ces deux groupes djihadistes. Et même dans la partie théoriquement tenue par Bachar El Assad on n’est pas à l’abri des attentats et on se retrouve soudainement dans une zone tenue par le Hebzbollah libanais ou des Iraniens, tous deux « vrais chiites » et non alaouites, cette branche dissidente que l’on est venu soutenir en la méprisant un peu et qui a ménagé, et ménage encore, les ennemis djihadistes … et aussi les Kurdes, au grand dam de la Turquie. Et que deviennent les Druzes, qui ne sont pas, eux non plus, spécifiquement syriens, puisqu’ils sont une composante du Liban et, plus au sud, une communauté palestinienne ralliée au gouvernement israélien ? Et, en plus, il y a maintenant en Syrie les combattants étrangers pas toujours vraiment musulmans (que connaît de l’islam un Européen fraîchement converti par « des copains » ? Et même un jeune ayant rompu avec l’islam de ses parents ?).

On a l’impression que l’opinion internationale se lasse. On a oublié que sans la Russie, le régime serait tombé il y a plus de trois ans lors de la première révolte, alors relativement démocratique. Mais les données ont changé et c’est maintenant l’EI et Al Qaida qui soucient «tous les autres » sans les mettre d’accord pour autant !

Tout cela a fait 200 000 morts, plusieurs millions de réfugiés que les pays riverains n’arrivent pas à nourrir (mais ceux qui sont restés en Syrie n’y arrivent pas non plus), et que l’Europe ne laisse pas entrer.

Chrétiens et musulmans en Indonésie

J’évoque souvent l’Indonésie, pour contrebalancer l’image arabe de l’islam en France : ce pays a davantage d’habitants qu’il n’y a d’Arabes sur la planète, est à très forte majorité musulmane mais est neutre religieusement (la constitution ne fait allusion qu’à cinq principes moraux valable pour tous), et les islamistes ont peu de voix aux élections, même s’ils sont localement puissants, par exemple dans le nord de Sumatra.

Je voudrais aujourd’hui parler des rapports entre chrétiens et musulmans, pour rappeler qu’ils ne sont pas purement religieux. Au sommet de l’échelle sociale les chrétiens sont souvent chinois et riches et par ailleurs considérés comme corrompant les autorités locales pour transformer les forêts protégées en plantations de palmiers à huile ; leur réputation rappelle un peu celle des Juifs en Europe au Moyen Âge, d’où des violences ponctuelles. En bas de l’échelle sociale, au contraire, les chrétiens sont souvent des « premiers occupants », Papous ou autres tribus forestières, qui font face aux « colons » javanais musulmans, paysans sans terre que le gouvernement a encouragé à défricher des zones moins peuplées des autres îles, et souvent appuyés par l’armée. Bref Mahomet et Jésus sont embrigadés pour d’autres causes que la pure spiritualité.

Algérie : «je ne suis pas Kamel Daoud»

Avec le recul, le débat algérien de décembre dernier, je dis bien décembre, nous rappelle quelque chose, avec le défenseur d’un journaliste proclamant « je ne suis pas Kamel Daoud » (mais le soutenant néanmoins). Un roman de ce dernier, « Meursault, contre-enquête » (allusion à « l’Étranger » d’Albert Camus) lui a valu des menaces de mort à la télévision de la part d’un salafiste. Ce roman est pourtant loin de certaines caricatures, l’argument étant cette fois « la traîtrise » envers l’histoire algérienne officielle (si j’ai bien compris !). Les soutiens à l’écrivain-journaliste ont été nombreux, et rappellent une des complications de la situation algérienne : la politique de « réconciliation nationale » a contribué à la fin de la guerre civile, mais interdit d’attaquer les islamistes, du moins pour les faits commis à l’époque, ce qui permet à ces islamistes de rester menaçants.

C’est l’occasion de rappeler qu’Albert Camus, longtemps officiellement « ennemi » en Algérie en tant que Pied-noir ayant déclaré « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère », a commencé à revenir en grâce depuis quelques années chez les universitaires algériens. D’où peut-être une des raisons de cette contre-offensive. Yves Montenay 04.02.2015

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