Chine : fausse croissance donc fausse crise ?

Après une période de fascination assez incompréhensible pour le soi-disant miracle chinois, voici que l’amorce de sa fin semble une catastrophe planétaire ! Les bourses s’effondrent dans le sillage des matières premières.
Je pense au contraire que le dégonflement chinois n’est pas la catastrophe annoncée.

Pour cela, distinguons d’abord la vraie croissance de la fausse.

La vraie croissance

Pour les pays en retard, le rattrapage des pays plus développés permet assez facilement une vraie croissance. Ce fut le cas des « 30 glorieuses » (1946-73) en France, rattrapage de plus de 10 ans de crise et de guerre. Et ce rattrapage fut encore plus net dans l’Allemagne détruite d’après 1945, puis au Japon et en Corée, à la fois retardataires et détruits. Cette « vraie croissance » s’explique largement par l’acquisition quasi gratuite des nouvelles technologies, utilisées à l’occasion du passage des paysans en ville, où leur productivité est plus forte que dans les exploitations traditionnelles. Un garagiste permet à beaucoup plus de tonnes de rouler qu’un maréchal-ferrant, le conducteur d’une grue ou d’un bulldozer construit plus de routes (ou d’autres choses) qu’une armée de manœuvres, qui eux, sont devenus ouvriers de l’automobile, véhicules qui rouleront sur les routes ainsi construites.

Cette transition est concrètement mise en œuvre par l’apparition de multiples entrepreneurs individuels et de nouvelles grandes entreprises (dans le transport ou la distribution des nouveaux produits, plus tard dans le numérique …). Et par l’État pour certaines infrastructures intellectuelles, matérielles ou juridiques, en proportion et en efficacité variable selon les pays (on se souvient que la France est passée de quelques dizaines à quelques milliers de kilomètres d’autoroutes depuis que leur construction par le privé a été autorisée).

En Chine, cela a joué comme ailleurs, et cette partie « vraie » va demeurer sauf guerre civile, ce qui va limiter la « catastrophe ». Nous commercerons toujours massivement avec cette « vraie » Chine, notamment les entreprises françaises qualifiées en matière environnementale.

Le problème est qu’il s’est ajouté la « fausse croissance » que j’ai dénoncée dans mes articles précédents. De quoi s’agit-il et que va coûter sa disparition ?

La fausse croissance

Elle ne commence pas par une appropriation par les hommes d’un progrès de la technique ou de l’organisation, mais par une injection d’argent. Par exemple, en augmentant massivement les salaires (la France de 1936 ou de mai 68), ou en faisant exploser les dépenses publiques (toujours la France en 1981). L’argent peut venir aussi du détournement par la classe politique de l’excédent du commerce extérieur (cas de la Chine) ou de celui du pétrole.

La suite des événements est prévisible : une période euphorique que l’on appelle « croissance », et un retour à la réalité : on ne peut éternellement consommer plus que ce l’on a produit, en empruntant à d’autres ou en leur confisquant partie de leurs gains. L’exemple de la Grèce l’illustre parfaitement, avec une période de « croissance » jusqu’en 2008 et le retour à la case départ depuis : les diminutions de l’emploi et des salaires ne font que ramener le pays à son niveau du début des années 2000. Il peut même retomber encore plus bas du fait de la dégradation de l’infrastructure de production matérielle et humaine pendant cette euphorie : on peut imaginer qu’en Grèce, les recrutements dans une fonction publique déjà pléthorique ont privé le pays de personnel hôtelier alors que la demande des touristes étrangers est forte. Autant de possibilités en moins de retrouver le niveau de vie antérieur.

Avant ou en dehors de l’euro, cette euphorie se termine souvent par une dévaluation déclenchant mécaniquement une hausse des prix reprenant ce que l’on avait distribué, ce qui illustre bien qu’il s’agissait d’une fausse croissance. Cette minute de vérité peut aussi être sans cesse repoussée en utilisant l’argent de l’endettement. C’est le cas de la France des années 2000 et de bien d’autres.

L’expérience montre qu’il n’y a pas de différence entre l’argent de la dette et les recettes pétrolières ou tout autre argent tombé du ciel. Les pays pétroliers (sauf la Norvège) gaspillent cet argent comme le fait la Chine avec celui de l’excédent de son commerce extérieur. Dans un premier temps, les statistiques seront euphoriques, et on parlera alors de la forte croissance des pays en question. Mais que voit celui qui voyage sur place ?

Quelques exemples de gâchis

Dans les années 1975, où des torrents d’argents se déversaient sur la péninsule arabique, j’ai observé des files de cargos chargés de ciment attendre de pouvoir entrer dans un port d’Arabie trop petit, et des hélicoptères tenter de récupérer leur cargaison avant que le ciment ne prenne.

Dans le port j’ai vu des tours construites par Bouygues ne jamais être inaugurées parce que les hommes et les femmes ne devaient jamais se croiser, et surtout pas dans les ascenseurs. On disait qu’une autoroute avait été détruite et refaite quelques mètres plus loin (j’ai bien dit « mètres ») pour montrer qu’on ne badinait pas avec un donneur d’ordre.

J’ai ensuite constaté ou vu rapporter les mêmes gâchis dans 100 pays. Aujourd’hui c’est l’explosion à Tanjin d’une usine chimique à financement « politique » d’un prince rouge. Usine idéalement située là où elle n’aurait pas dû être et construite en économisant sur les réglementations de sécurité et d’environnement. Bref un projet qui n’a rien d’industriel au sens occidental du terme.

N’oublions pas que l’argent du pétrole est celui des consommateurs (« riches » Français ou pauvres Indiens), et que celui des réalisations pharaoniques chinoises est celui des ouvriers de ce pays qui ont permis les exportations. Leur niveau de vie a donc été ponctionné, théoriquement pour la croissance d’un autre secteur (souvent les travaux publics et la construction, ici la chimie et, de plus en plus, le luxe). Mais on voit dans le cas de cette usine chimique, que la ponction a été perdue, et bien au delà si l’on prend en compte les morts, les destructions et le massacre de l’environnement.

La croissance constatée dans les statistiques lors de la construction puis du fonctionnement (lorsqu’il finit par avoir lieu) de telles réalisations est doublement « fausse », d’une part parce qu’il s’agit plus d’un gâchis que d’un investissement, et d’autre part parce qu’on ne tient pas compte de la croissance qui n’a pas eu lieu ailleurs du fait de ces prélèvements.

A fausse croissance, fausse crise ?

Pourquoi ces gâchis, tout considérables qu’ils soient, ne me semblent néanmoins pas devoir entraîner de véritable crise ?

D’abord, si la réalité a été masquée depuis plusieurs années, les flux réels avaient déjà baissé, bien avant que les statistiques ne sèment l’inquiétude et que les bulles financières et immobilières n’éclatent. Une partie du choc a donc été déjà ressentie, comme en témoigne le ralentissement de l’économie mondiale et les cours des matières premières depuis déjà de nombreux mois.

Ce qui est donc atteint, et le demeurera « un temps certain » c’est la consommation de matières premières, ce qui est certes rude pour la plupart des pays producteurs de pétrole ou spécialisés dans les matières premières, comme l’Australie ou la RD Congo. Mais c’est un ballon d’oxygène pour le reste de la planète, dont la Chine. Par ailleurs était-il vraiment souhaitable d’épuiser d’excellents gisements de cuivre ou de pétrole (comme ceux de la péninsule arabique, particulièrement bon marché) pour en gaspiller de contenu ? Et cela alors que les pays producteurs croupissent souvent dans une distribution de la rente paralysant tout réel développement ?

Enfin, ces péripéties chinoises devraient nous permettre, notamment en France, de réfléchir à ce qu’est la vraie croissance : ce qu’on apporte effectivement aux populations et donc aux entreprises qui les servent et les emploient. Le problème en Chine, est qu’une information libre permettrait mieux de tenir compte de leurs besoins, mais il ne semble pas qu’on en prenne le chemin.

Yves Montenay
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Egalement publié sur Le Cercle Les Echos

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