Échos du monde musulman : parlons du Maroc

Après quelques nouvelles incontournables de Syrie et de Turquie, voyons ce qui se passe au Maghreb et principalement au Maroc, région que l’on a un peu tendance à oublier parce qu’elle est – heureusement – calme.

La guerre contre l’État islamique

Depuis qu’il recule, les imaginations se sont enflammées et on le voyait disparaître du terrain, et pour commencer de Libye, où il ne lui restait plus que quelques quartiers de la ville de Syrte, ou encore de la frontière turque, au nord de la Syrie. Or, s’il continue à y reculer, il y résiste toujours, et les Américains y envoient leur aviation pour aider les forces locales, souvent plus ou moins islamistes elles-mêmes et divisées ethniquement. Pour l’instant ces frappes font de nombreuses victimes civiles, ce qui se répercutera sur le comportement des populations.  Si

La Turquie secouée

L’événement marquant du mois de juillet 2016 a été la tentative de coup d’État pour renverser Erdogan et la gigantesque purge qui s’en est ensuivi. J’ai commenté les événements au fur et à mesure de leur déroulé pour le journal en ligne Contrepoints, ces articles sont disponibles ici :

1- la situation dans ce pays avant le coup d’État
2- les origines profondes de cette tentative de coup d’état
3- ses conséquences, notamment concernant l’Europe

Et maintenant, voici des nouvelles plus calmes en provenance du Maghreb

Le retour du français langue d’enseignement

L’Algérie a décidé d’imiter le Maroc en enseignant les sciences au lycée en français, ne serait-ce que pour préparer des élèves à l’enseignement supérieur scientifique qui est dans cette langue, ainsi que d’autres matières comme le management. Rappelons qu’au Maroc certains lycées appliquent cette mesure depuis la rentrée 2015, qui devrait être généralisée à la rentrée 2016.

En Algérie comme au Maroc, cette décision se heurtait non seulement aux islamistes, mais aussi à beaucoup de traditionalistes ou de nationalistes, qui voulaient garder l’enseignement en arabe standard (rappelons que ce dernier n’est pas la langue maternelle des élèves qui est « le dialectal » ou le berbère et plus ou moins le français). Il y a même des mouvements anti francophones récurrents, favorisés par les islamistes des deux gouvernements. Par contre l’opposition de certains nationalistes était plutôt de façade, car ils envoient leurs propres enfants dans des écoles privées francophones.

Une autre opposition a été celle de « modernistes » qui aurait préféré l’anglais tant pour le secondaire que le supérieur. En Algérie, la ministre de l’éducation a justifié son choix en disant que le français était déjà une langue très répandue dans son pays (comme au Maroc), contrairement à l’anglais.

Parallèlement, la France et le Maroc mettent en place 83 sections internationales à dominante française dans des lycées marocains, ce qui est un changement d’échelle par rapport à l’implantation des lycées français, déjà nombreux dans ce pays, mais offrant évidemment trop peu de places aux Marocains puisqu’il faut aussi en donner aux Français et à d’autres étrangers résidant dans le royaume. La diaspora des anciens élèves des lycées français du monde entier est d’ailleurs mal connue, alors qu’elle rassemble toute une élite internationale.

La réaction aux attentats en France

Ces attentats ont semé une vive émotion au Maghreb à en juger par la presse locale, et pas seulement parce qu’il y avait de nombreux musulmans parmi les victimes, particulièrement à Nice. Bien sûr la crainte d’une réaction anti-maghrébine était aussi présente. En tout cas l’appel du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) aux musulmans de France à aller dans les églises témoigner de solidarité avec le prêtre assassiné a été très positivement remarqué.

Le Maroc, un cas particulier

Le Maroc intrigue beaucoup de géopoliticiens. Ils soulignent ses défauts : niveau de vie encore bas (3500 $ par habitant), niveau d’éducation à l’avenant, toujours un faible taux de travail des femmes, un nombre de mariages de mineures qui augmente et autres indicateurs sociaux calamiteux. Et surtout un régime donnant la primauté politique, économique et religieuse au roi.

Les observateurs qui insistent sur ces points faibles s’étonnent des compliments reçus par le royaume, notamment de ceux venant du monde économique. Ces compliments se concrétisent pourtant par des investissements français, européens, américains, arabes. Et parmi ces derniers, pas seulement les producteurs de pétrole, mais aussi des Tunisiens, autre pays arabe s’en sortant bien politiquement, mais à l’économie en berne.

Contrairement à d’autres pays d’Afrique, le pays investit massivement dans les infrastructures, ce qui contribue à son image de pays se développant convenablement : le port de Tanger-Med, le réseau autoroutier et le lancement de la première ligne à grande vitesse. De très importantes centrales solaires sont lancées dans le sud du pays. Il s’agit notamment de limiter la dépendance au pétrole qui a failli avoir très graves conséquences jusqu’il y a deux ans alors que les prix étaient très élevés. La baisse actuelle est un grand ballon d’oxygène, mais personne ne sait combien de temps elle durera.

Ces importants investissements peuvent naturellement être discutés. Toutefois il est satisfaisant de les voir effectivement réalisés, alors qu’ailleurs en Afrique de tels projets ont souvent été proclamés, financés… et l’argent s’est ensuite évaporé sans aucune réalisation concrète !

Une autre objection est que les mêmes sommes auraient été plus utiles par exemple pour l’enseignement, gros point faible du royaume. Mais il faut savoir que le Maroc dépense déjà beaucoup dans ce domaine et qu’à mon avis, les problèmes n’y sont pas financiers : gestion, niveau des enseignants, choix des programmes, langue d’enseignement… Donc des problèmes politiques, aggravés par l’insuffisance des ressources humaines nécessaires.

Concernant le régime politique, ses partisans estiment qu’il ne faut pas le comparer avec ceux du Nord, mais plutôt avec ceux des autres pays arabes, comparaison alors très favorable.

Vous savez que j’accorde une grande importance aux indicateurs démographiques, car ils me semblent synthétiser les évolutions d’ensemble de la société. Ceux du Maroc sont moyens, avec 2,5 enfants par femme, et médiocres, avec 25 pour 1000 de mortalité infantile. Là comme ailleurs, les indicateurs sont nettement moins bons qu’au nord et bien meilleurs qu’au sud du Sahara.

Bref le Maroc n’est ni au nord, ni au sud et essaie de ne pas être trop à l’est, je veux dire lié à l’Orient arabe. Il est à l’ouest, longtemps coupé du reste du monde par la mer, les montagnes et le désert. Toutes choses qui aujourd’hui sont de plus en plus facilement franchies notamment par les ondes…

Yves Montenay
Echos du Monde Musulman n°274 – 11 août 2016

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