Attendre la reprise tue la croissance

La croissance ne vient pas automatiquement comme la reprise : les entreprises et les politiques doivent agir.

La reprise tardant c’est la crainte de la déflation qui a la vedette. Quelle aubaine ! Voilà un argument solide pour résister à la pression réformiste. C’est une illustration supplémentaire de l’ignorance économique, car en arrière-plan, il y a la confusion entre reprise et croissance, termes que certains politiques et de journalistes utilisent indistinctement.

 » Reprise ou croissance peu importe, pourvu qu’on sorte de là !  » diront le gouvernement, les entreprises et l’opinion publique, ce qui accroît la confusion entre ces deux termes qui ne sont pourtant pas du tout équivalents, et ne nécessitent donc pas la même politique.

Qu’est-ce que la reprise ?

Après une dépression, une récession, un à-coup conjoncturel, on pense souvent qu’une reprise viendra automatiquement. Il y a du vrai dans cette idée mais… voyons cela de plus près.
Pour certains particuliers, ceux qui perdent leur emploi, le choc d’une récession est brutal. Il l’est aussi pour beaucoup d’entreprises : si un camion ou une voiture particulière est renouvelé, disons tous les 4 ans, en période faste, on va les garder un an de plus pendant la récession. Donc si tout le monde fait cela en même temps, personne n’achètera de véhicules pendant un an et la production de cette branche tombera à zéro. Si la moitié des acteurs le font, la production baissera de moitié.

La reprise viendra presqu’automatiquement à la fin de cette année creuse quand tout le monde recommencera à renouveler son parc. À ce phénomène s’en ajoutent d’autres moins violents mais qui vont dans le même sens, par exemple la consommation faiblit puis reprend après cette année creuse, les employeurs qui avaient subi le choc recommençant à payer les mêmes rémunérations qu’avant, et notamment les heures supplémentaires.

Cet exemple montre que la reprise ne fait que ramener plus ou moins au niveau antérieur. On peut le dépasser momentanément si tout le monde recommence à changer de véhicule au bout de 4 ans. Dans ces cas-là, la demande doublera pendant un an (on commandera à la fois la 4e et la 5e année) mais retombera au niveau normal ensuite. La reprise dans ce cas est effectivement spontanée mais on voit également qu’elle est momentanée. La reprise peut même ne pas venir du tout, si on la bride en augmentant les impôts, et donc que l’argent n’est plus là pour le renouvellement des véhicules ou la consommation : c’est ce qui se passe en France.

Qu’est-ce que la croissance ?

C’est un processus très différent de celui de la reprise. Ce n’est pas un retour au passé, c’est la route vers l’avenir. Elle ne vient pas automatiquement comme la reprise : les entreprises et le politique doivent agir.
La croissance, vu par le grand public, c’est la création d’emplois. C’est un demi malentendu, qui explique la position du Medef à qui l’on demande de s’engager dans ce domaine dans le cadre du  « pacte de responsabilité », mais qui ne peut pas le faire, car la création d’emplois ne dépend pas de lui, mais de ce qui se fera dans chaque entreprise.
Par contre, sans croissance, pas de création de nouveaux emplois au delà du retour de quelques anciens.

Ainsi les « emplois d’avenir » seront payés par des ponctions sur le reste de l’économie, et donc en détruiront ailleurs (c’est un mécanisme général, indépendant leur éventuelle utilité ; si cette dernière est faible, le résultat est encore pire). C’est ce qui s’est passé en France depuis quelques décennies avec la hausse des prélèvements parallèlement à la hausse de l’emploi public, territorial notamment. Bien sûr on peut éviter en partie ces prélèvements en s’endettant, mais cela a été également déjà fait et on butera bientôt sur la limite.

Alors, qu’est-ce que la croissance ?

C’est faire durablement plus avec autant, parfois avec moins, ou faire beaucoup plus avec un peu plus (un peu plus d’emplois notamment). Autrement dit c’est augmenter la productivité. Qui le fait ? Les entreprises (au sens large) guidées, surveillées et souvent sanctionnées par les consommateurs.

Comment font-elles ?

Je vous renvoie à mon article rappelant que c’est l’innovation, pas forcément technique, et surtout sa mise en place qui permet le progrès durable : contrairement à la reprise, la croissance ne s’arrête pas au niveau antérieur. Mais comme la reprise, elle peut être bridée par des erreurs de politique économique ; la France en a fait beaucoup et en fait de plus en plus : impôts, complications coûteuses en temps et en argent, puis l’émigration qui en résulte, mais qui à son tour réduit à la fois l’assiette fiscale et le nombre de cerveaux innovants …

Une remarque de vocabulaire : je parle de « productivité » alors que la presse nous parle de « compétitivité ». C’est lié, puisque la compétitivité de la France par rapport à un autre pays, c’est notre productivité nationale comparée à la sienne. Mais attention, quand on passe au niveau national on intègre la productivité de l’État (au sens large). Celle-ci peut croître dans certains cas (celui de la  « carte vitale », à condition que les caisses diminuent leurs effectifs), mais en  général elle est stable ou décroissante. Dire cela n’est pas un a priori idéologique : c’est le cas dans toutes grandes organisations qui ne se réorganisent pas en permanence. Les autres pays ont les mêmes problèmes et beaucoup les ont résolus en réorganisant l’État.

Ils s’étonnent donc que la France n’en fasse pas autant. L’exemple de la soi-disant réforme de notre « millefeuille territorial » n’est pas à notre gloire.

La reprise contre la croissance ?

La récession, comme la reprise, ne sont pas des périodes fastes pour l’innovation. La récession pèse sur la croissance future puisque, faute d’argent, elle ralentit les investissements tant de recherche que de mise en place, qui, par ailleurs, deviennent moins urgents. Et la reprise n’est pas non plus une période faste pour l’innovation, puisqu’on commence par reconstituer les marges et surtout parce qu’on remet en route l’existant plutôt que de se lancer dans des investissements risqués.

Bien sûr, la récession comme la reprise ne suppriment pas complètement l’innovation. Cette dernière est un phénomène de moyen terme, et de plus, dans certains cas, l’innovation apporte tellement d’économies ou de nouveautés qu’elle se met en place même en période défavorable. Mais dans « certains cas » seulement, et globalement les processus innovants sont freinés par les fluctuations économiques.
Le danger de pousser à la reprise plutôt qu’à la croissance est d’abord psychologique : on pense à un mécanisme automatique, à alimenter éventuellement par de l’argent (avoir une politique monétaire laxiste, ne pas trop freiner les dépenses de l’État), et personne ne va s’y opposer puisqu’en période difficile « tout est bon à prendre ».

Or attendre le jeu d’un « mécanisme automatique » est fort différent de faire des efforts d’augmentation de la productivité, notamment de l’Etat, surtout quand cela nécessiterait des réformes désagréables pour les électeurs du pouvoir en place.

La déflation, une aubaine ?

Politiquement oui, puisque le remède serait de dépenser plus : « Ouf, on ne va plus nous ennuyer avec les 3 %, et avec les réformes qu’il implique ». Mais le risque est que le remède à cette nouvelle maladie ne tue le malade, je veux dire la croissance, sous prétexte d’accélérer la reprise.
Ce sont pourtant les réformes qui peuvent à la fois éviter la déflation et permettre la croissance. Supposons par exemple que l’on supprime les départements de l’Île-de-France en confiant telle de leur mission à la région et les autres aux communes, et que les économies correspondantes financent l’accélération du « Grand Paris ». Cela ne serait en rien déflationniste, ferait faire un bond à la productivité nationale et, n’oublions pas le but ultime de l’économie, au bien-être de la population.

Plus généralement, comme nous le disions, il faut faire plus avec autant. Pour cela :
– Il faut d’abord, travailler autant que nos voisins, alors que les 35 heures, la retraite à 60 ans et les préretraites nous font travailler nettement moins. Nous sommes fiers de notre bonne productivité horaire, mais la gaspillons à l’utiliser si peu. Donc travaillons plus pour gagner plus. Mais, me direz-vous, notre Sarko l’a déjà fait (partiellement, avec la non imposition des heures supplémentaires et une petite réforme des retraites) ? Oui, mais Hollande l’a défait (heures supplémentaires) ou cherche à le défaire (retraite précoce pour les « métiers » pénibles, alors que ce sont des individus qui devraient en bénéficier pour raison médicale, et non de vastes groupes administrativement définis sur proposition syndicale),
– il faut aussi que ceux qui inventent ou mettent en place, c’est à dire les employeurs et les exportateurs de demain, se sentent considérés. Mais, vu le nombre de déclarations « pro entreprises » sans suite depuis 2 ans, il faudra parallèlement une action concrète, simple et massive, par exemple remonter fortement les « seuils sociaux » de 10 et 50 salariés. Ce serait très rapidement efficace pour l’emploi (ce sont les PME qui le créent) et enlèverait aux nouveaux entrepreneurs une raison de créer leur boite à l’étranger. Il y aura bien sûr un tollé syndical relayé au parlement. Et alors ? Soit ça passe quand même, éventuellement avec des voix UMP et UDI, soit ça casse et le problème politique devra être réglé par des législatives.
Mille autres réformes sont possibles, que tout le monde connait, y compris au sommet de l’Etat. Mais il est plus simple d’attendre « la reprise » que de débloquer « la croissance » !

Article publié dans Le Cercle les Echos le 20 août 2014

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