Réformer l’islam ? Mais on ne fait que cela depuis 200 ans !

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Réformer l’islam ? Mais on ne fait que cela depuis 200 ans !
(Mais pas toujours comme vous le pensez)

Comme toujours, c’est l’histoire le meilleur guide, et, même sur ce sujet, on retrouve Napoléon !

Le choc occidental en Islam

NB : vous vous souvenez que l’islam avec un « i » minuscule est la religion et que l’Islam avec « I » majuscule, est la région concernée par cette religion.

Il y a plus de 200 ans Bonaparte débarquait en Égypte, réveillant brusquement un monde musulman qui s’était sclérosé depuis la réaction islamiste du milieu du Moyen-âge, après avoir brillé quelques siècles.

Depuis cette deuxième partie du Moyen-âge, l’Europe occidentale et l’Islam étaient séparés par la Méditerranée, un empire byzantin moribond bientôt remplacé par les Turcs qui allaient conquérir Europe orientale et balkanique. Les croisades sont antérieures à cette réaction islamiste et la « reconquista » espagnole se terminait, hors Grenade. Ensuite la partie européenne de l’empire turc restant chrétienne, les contacts furent surtout militaires avec les deux sièges de Vienne et les Barbaresques en Méditerranée

L’Europe occidentale se développait donc à l’écart de l’Orient, puis se déploya vers les Amériques et l’Océan Indien contournant justement le monde musulman, qui ne prit pas conscience de son retard.

Napoléon, puis la colonisation, le traumatisèrent et les musulmans réagirent en se lançant dans des réformes.

Les réformes de l’islam

La première réforme est la plus connue en Occident. On peut la qualifier de « réaction à la japonaise » : « Puisque l’Occident est le plus fort, analysons ce qu’il fait et imitons le ». Cela a mené aux « Jeunes Turcs » puis à Mustafa Kemal, et dans une moindre mesure à Bourguiba, au Shah d’Iran et à des textes religieux de même inspiration.

Mais cela touchait surtout les élites en contact avec Occident. Une autre « réforme » apparut, du moins est-ce ce mot en arabe, en réaction contre l’Occident et son imitation prônée par les élites. Imitation incomprise par la masse des croyants, à la fois choquée et ignorante de ce qui faisait de la force de l’ennemi du Nord. Elle eut ses grands penseurs, influença des peuples qui finirent souvent par éliminer les élites (parfois avec l’aide des militaires, eux aussi issus du peuple, mais c’est une autre histoire dans laquelle je ne rentrerai pas aujourd’hui).

Bref, si vous parlez en arabe de la réforme de l’islam on vous dira que c’est ce qu’ont entrepris par exemple les salafistes, puisqu’ils veulent revenir à la pureté de l’islam des origines, qui non seulement était « le vrai » mais qui, de plus, « a vaincu le reste du monde, comme aujourd’hui l’Emirat Islamique tient tête à une coalition dirigée par les Américains».

Mais l’histoire ne s’arrête jamais, et il y a une réaction à la réaction. Une grande partie des nouvelles élites a une éducation occidentale, même en Arabie où beaucoup font leurs études aux États-Unis. Une partie de ces élites reste à l’extérieur des états musulmans pour profiter de la liberté de débat et réfléchir à une nouvelle réforme.

Quant aux peuples, là où les élections sont libres, ils votent dans des proportions variables mais importantes pour des partis non religieux. C’est le cas en Tunisie, au Maroc, en Indonésie, au Pakistan, au Bangladesh et même en Turquie où les élections du 7 juin 2015 ont donné 41 % des voix aux islamistes de l’AKP, Parti pour la Justice et le Développement, (les raisons de ce vote ne sont pas toutes religieuses, mais ne compliquons pas), 26 % aux « laïques », et le reste au parti nationaliste (17 %) et kurde (13 %). Voir l’analyse des résultats de cette élection turque dans L’Express  et mon commentaire qui suit cet article.

Bien sûr, dans tous ces pays, la grande majorité est croyante, voire très croyante, mais contrairement à une opinion répandue, cela n’implique pas de mélanger politique et religion. Au contraire l’expérience iranienne chez les chiites, et chez les sunnites celle des des Frères musulmans, des salafistes et des jihadistes pousse les peuples à se méfier de ce mélange.

En France, les musulmans ont par exemple voté pour un parti très laïque, le PS, à la présidentielle et semblent avoir voté plutôt UMP aux élections locales, alors que des listes à connotation religieuse auraient mathématiquement pu avoir des élus dans de nombreuses communes.

Et cette réaction à la réaction a aussi des incidences religieuses : beaucoup de musulmans sont choqués de voir des mouvements violents se revendiquer de l’islam, et leurs intellectuels réfléchissent à une approche religieuse centrée sur le pacifisme et la tolérance.

C’est dans ce contexte qu’est apparu en France une nouvelle organisation.

Un nouveau-né : le conseil théologique musulman de France

Le 29 mai est apparu un nouvel organisme, le Conseil théologique musulman de France (CTMF), qui ne veut pas concurrencer le CFCM (Conseil français du culte musulman). En effet il s’agit d’un cercle de réflexion théologique, qui devra s’imposer par la seule force de ses idées, et non pas une représentation des musulmans comme essaie de l’être, largement en vain, le CFCM, qui est plus ou moins élu par « les mosquées » et « les fédérations » (par exemple celle des Marocains de France) et dont les membres sont, en pratique, nommés après marchandage entre plusieurs tendances et le ministère de l’intérieur.

Les membres de ce nouvel organisme se sont, eux, cooptés et sont de tendances très variées allant de l’UOIF (considérée comme islamiste en France, mais comme occidentalisée au Sud) à des « réformateurs » au sens français du terme et non au sens arabe exposé ci-dessus.

L’idée est que ce nouvel organisme doit se saisir de questions théologiques, en réaction aux courants musulmans qui privilégient une lecture violente des textes et dont le cas extrême est celui de l’État islamique. Il s’agit de donner des arguments aux musulmans de France qui en font au contraire souvent une lecture insistant sur la tolérance, et doivent résister aux « missionnaires » islamistes ou djihadistes. Je pense notamment aux parents qui ont des enfants sensibles à la propagande de l’EI.

Voici un extrait de leur appel :  » (nous exhortons) les jeunes musulmans à affirmer avec fierté leur appartenance à l’islam et à servir la société (française) … et invitons la femme musulmane …. à y jouer pleinement son rôle au même titre que l’homme « .

Le CTMF n’est pas la seule initiative dans ce sens, et on peut également citer l’écrivain Ghaleb Bencheikh et Mohamed Bajrafil, l’imam d’Ivry.

L’islam a toujours été en évolution, non seulement depuis 200 ans comme indiqué ici, mais en fait depuis l’origine. La différence avec le catholicisme est qu’il n’y a pas de pape, donc pas d’autorité centrale. Les évolutions se sont donc faites dans tous les sens, aboutissant aujourd’hui d’une part aux chiites, eux-mêmes divisés en branches très différentes les unes des autres, et d’autre part aux sunnites, eux aussi divisés, avec, aux deux extrêmes, l’État Islamique à la religion sommaire et violente, et des confréries soufies pour certaines plus déistes que vraiment musulmanes, pacifiques, et très modernistes.

Les initiatives tolérantes des musulmans français décrites ci-dessus participent de ce bouillonnement permanent. Aucune autorité religieuse reconnue ne pourra ni les soutenir ni les contredire, seul comptera leur impact sur l’opinion … comme cela a toujours été le cas pour les autres courants. Le seul qui soit vraiment soutenu par une autorité est le wahhabisme, doctrine officielle de l’Arabie et qui bénéficie de l’argent du pétrole.

Yves Montenay
Echos du Monde Musulman n°260
10 juin 2015

2 commentaires sur “Réformer l’islam ? Mais on ne fait que cela depuis 200 ans !”

  1. C’est un aperçu bien clair de l’évolution depuis 200 ans environ, mais l’Histoire montre que ces tentatives de réformes et les schismes ont commencé dès les premiers siècles de l’islam. Pour ce qui est des « salafistes », je tiens à préciser qu’il ne doit pas y avoir confusion entre le mouvement salafiste de Al Afghani et Mohamed Abdou à la fin du XIX° siècle en Egypte: c’était un mouvement qui accompagnait « Annahda »: culturel et politique surtout. D’ailleurs, leur revue était éditée en France: Al 3ourwatou al woutqà. Nous sommes, actuellement, à des années lumière en arrière par rapport à ce mouvement, qui n’a absolument rien à voir avec les nouveaux salafistes: mouvement religieux politique extrémiste qui ignore totalement la culture et la civilisation musulmane, et le combat même farouchement.
    Merci pour le partage

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