Jordanie

La Jordanie : une oasis au Moyen-Orient

Avec un vaillant groupe de membres de l’IReMMO, Institut de Recherche sur le Maghreb et le Moyen-Orient (*), nous sommes partis découvrir la Jordanie, cornaqué par quelques spécialistes. La curiosité géopolitique m’animait pour voir ce qu’était devenu ce pays voisin des tourmentes du Moyen-Orient. Bien sûr, ce pays a également quelques arguments touristiques.

Au moment de notre arrivée début avril 2019, au début du printemps local, il avait plu quelques jours. Tout était vert et fleuri, alors que le pays est un des plus secs du monde.

Où est la Jordanie au Moyen Orient ?
La Jordanie et ses voisins : Israël, Palestine, Arabie Saoudite, Irak, Syrie

Jordanie : un peu de géopolitique

C’est à l’image des paradoxes de ce pays, né d’une succession de hasards politiques, n’ayant a priori pas de quoi vivre et qui est pourtant une oasis de stabilité, de sécurité et de relative ouverture dans un environnement sinistre. Pensez qu’il est coincé entre une Arabie Saoudite sectaire, un Irak déchiré et une fois de plus détruit par la lutte contre l’État islamique, une Syrie en ruine et l’imbroglio israélo-palestinien. Et donc submergé par les réfugiés irakiens, syriens et palestiniens.

Rappelons ces hasards politiques. Ce recoin de l’empire ottoman pendant quelques siècles devait, après la première guerre mondiale, faire partie du grand royaume arabe promis par Lawrence d’Arabie semblant parler au nom des Anglais, qui parallèlement négociaient l’installation d’un foyer juif.

Patatras ! Pas de grand royaume arabe mais une Syrie et un Liban sous mandat français, un Irak britannique. Le reste, grignoté au fil des guerres israélo-arabes, a fini par se limiter à ce bout de désert, géographiquement la Transjordanie, politiquement le Royaume de Jordanie avec une agriculture relativement prospère : il n’y a pas que les Israéliens qui ont fait fleurir le désert !

Le roi et ses fidèles tribus ont maintenu un ordre public relativement débonnaire, après la mise au pas des milices palestiniennes lors du « septembre noir » en 1970. Cette stabilité permet d’avoir une bonne assistance internationale, notamment américaine (10 % du PNB !). S’y ajoute l’argent des élites des pays voisins qui y ont transféré leurs actifs à temps ou qui viennent faire du tourisme dans une ambiance plus tolérante que chez eux.

Ces actifs étrangers, vite transformés en immobilier local, sont probablement grossis d’astucieux détournements de l’argent du pétrole desdits voisins et du financement des innombrables groupes armés qui y ont sévi et dont certains y sévissent encore. L’armée irakienne et quelques groupes syriens ont par exemple bénéficié d’argent américain, tandis que d’autres en recevaient d’Arabie, sans parler des contributions de l’Iran, des Émirats et de la Turquie…

De quoi vivent-ils ? Nous avons vu d’où venait l’argent, mais ça ne suffit pas il faut le transformer en eau, en légumes, écoles etc.

En Jordanie, l’eau est un problème vital

La Jordanie partage le bassin du Jourdain avec Israël, les territoires Palestiniens, le Liban et la Syrie. L’eau est précieuse pour tous ces pays, et le partage difficile. D’autant qu’il est compliqué par la tension et les guerres entre Israël et les populations arabes, qui ne sont par ailleurs pas d’accord entre elles.

Carte Eau et conflits dans le Bassin du Jourdain par Hervé Amiot

La Jordanie a choisi la paix avec Israël, quitte à être mal vue par de nombreux pays musulmans et par sa propre opinion publique. Mais du moins elle a pu en contrepartie progresser dans sa gestion de l’eau, Israël cessant de bombarder la construction du canal du roi Abdallah nécessaire à l’irrigation de la vallée du Jourdain.

Ce canal détourne une partie des eaux du Yarmouk, un affluent du Jourdain (voir carte). C’est un peu le pendant du prélèvement important qu’Israël fait dans le lac de Tibériade, « source » du Jourdain. Les deux permettent des cultures irriguées que les deux pays proclament « modernes » c’est-à-dire économisant l’eau au maximum.

Si on rajoute à ces deux prélèvements importants ceux opérés par la Syrie en amont du bassin du Yarmouk, et une multitude de barrages sur d’autres les affluents du Jourdain, on comprend que ce dernier soit très sérieusement amaigri et n’arrive plus à alimenter la mer Morte, qui se rétrécit depuis son maximum en 1960. Rajoutons dans le sud désertique le pompage d’un aquifère non renouvelable.

 

Barrage au sud de Kerak
Au milieu des vallées sèches, un barrage stocke l’eau de pluie au sud de Kerak (Jordanie)

Mais « demain est un autre jour » qui verra peut=être se concrétiser le vieux projet de déversement de la Mer Rouge dans la Mer Morte, avec l’hydro-électricité induite à utiliser pour désaliniser l’eau ainsi apportée.

Merci à Hervé Amiot (carte ci-contre) et à Pierre Blanc (Sciences Po Bordeaux) pour ses explications et ses cartes sur ce sujet que je simplifie ici.

Et le problème de l’eau est d’autant plus important pour la Jordanie que cette dernière doit accueillir des millions de réfugiés.

La population jordanienne : les réfugiés et les autres

Les réfugiés formeraient plus du tiers de la population d’environ onze millions, ce qui est énorme pour un pays ayant si peu de ressources.

Le reste de la population comprend un majorité d’Arabes sunnites « détribalisés » par la vie urbaine (un gros tiers de la population vit à Amman), 7% parait-il de chrétiens et « les bédouins ». Je n’ai pu obtenir de définition précise de ce terme, et ai cru comprendre qu’il s’agit de descendants de nomades ayant gardé un lien d’allégeance envers leur chef de tribu. Bref seraient bédouins ceux qui se considèrent tels. Peu sont restés des éleveurs nomades, ils sont plutôt employés, notamment dans le tourisme des régions désertiques.

Les couches sociales supérieures semblent anglophones et issues des écoles privées « internationales » avec des cours en anglais et le français en option. Le décor urbain est en arabe, sauf dans les quartiers huppés ou touristiques, où l’anglais domine.

Les réfugiés viennent rechercher en Jordanie la paix et la stabilité si rare dans la région.

L’État jordanien intervient très peu et néanmoins tout se passe globalement bien, ce que notre groupe a eu du mal à comprendre, tellement la situation est différente de la France.

Il y aurait deux millions de réfugiés palestiniens, plus un nombre inconnu de Palestiniens fondus dans la population d’où le chiffre parfois cité de leur proportion de 70 % dans la population. S’y ajoutent maintenant plus d’un million de Syriens dont six cent cinquante mille dans les camps et des groupes plus restreints (des dizaines de milliers) de réfugiés irakiens et yéménites.

Première différence avec la situation française : ce n’est pas l’administration jordanienne qui accorde le statut de réfugié mais l’ONU avec l’UNWRA pour les Palestiniens et le HCR pour les autres.

Le démographe que je suis remarque que les deux grandes vagues de Palestiniens sont arrivées en 1948 et 1967 et que nous en sommes donc souvent à la troisième génération, avec un taux de fécondité qui a été un record mondial : 9 enfants par femme avant une relative décrue ! Revanche démographique contre Israël ou prise en charge par l’ONU du coût de l’enfant ?

Car, autre différence avec la France : une partie des réfugiés, ceux qui sont dans les camps, bénéficient de prestations en nature et en espèces de l’ONU. Ce n’est toujours pas l’État jordanien qui intervient et finance. Bien sûr la Jordanie a néanmoins indirectement des charges importantes d’infrastructure (en eau notamment) et de scolarisation pour ceux qui ne sont pas dans les camps.

Dernière différence avec la France : les réfugiés sont « des frères » et pas vraiment des étrangers puisque musulmans et arabes.

Tout cela, ajouté à l’hospitalité des Jordaniens et au droit au travail, incomplet certes, fait que tout se passe globalement plutôt bien, malgré l’ampleur du problème.

Merci au journaliste de RFI qui a répondu à nos questions sur ce sujet, et qui a rajouté que ces camps sont d’un « standing » très supérieur à ce qu’il a connu en Asie du Sud-Est.

Un peu de tourisme jordanien quand même

Colline de la Citadelle, Amman, Jordanie
Colline de la Citadelle, Amman, Jordanie

Sans vouloir faire de concurrence à une bonne documentation touristique, je rappelle ici certains attraits de la Jordanie dont le tourisme est une des principales ressources. Je précise tout d’abord que ce voyage ne nous a évidemment montré que les plus beaux aspects du pays, et notamment les quartiers assez riches, voire très riches d’Amman, la capitale.

Cette dernière, plus encore que les autres villes rapidement traversées, bénéficient tout d’abord d’une consigne simple : les façades doivent être en calcaire du pays, et les immeubles récents de quatre étages. Cela donne une agréable unité de style, lointainement analogue au maillage haussmannien de Paris.

Architecture, Amman, Jordanie
Architecture, Amman, Jordanie

Bien sûr il y a des exceptions, notamment quelques gratte-ciels réunis par un gigantesque centre commercial piétonnier où se mélangent touristes occidentaux négligés, Jordaniens en balade, séoudiennes en voiles noirs de la tête aux pieds et pèlerins asiatiques chrétiens.

En effet, dans une bien moindre mesure qu’en Israël et Palestine, on vient de loin pour quelques lieux chrétiens sacrés, tel le lieu du baptême du Christ dans le Jourdain, beaucoup moins organisé et « industrialisé » que sur la rive israélienne, ou le mont Nebo d’où Moïse aperçut la Terre Promise avant de mourir, et où les franciscains ont sauvé de magnifiques mosaïques romaines.

Petra en Jordanie
La célèbre cité nabatéenne de Petra, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le patrimoine romain puis byzantin est encore très présent et c’est une autre source d’activité touristique, ainsi que la célèbre Petra qui fait vivre une ville de 60 000 habitants. Enfin le désert, et en particulier la réserve naturelle de Wadi Rum au sud du royaume, vaut le voyage, d’autant que la qualité de l’hébergement est en gros aux standards occidentaux et qu’un touriste un peu difficile n’y risque aucun désagrément.

 

En conclusion, cet État qui n’avait aucune raison d’être du fait de son histoire, de son manque de ressources et des turbulences à ses frontières, existe néanmoins. C’est même une des rares réussites du monde arabe.

Yves Montenay
Auteur des Échos du Monde Musulman

 

* IReMMO, Institut de Recherche sur le Maghreb et le Moyen-Orient

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