Développer l'Afrique par les infrastructures

Développer l’Afrique par les infrastructures ?

L’Union Africaine rêve de lancer un grand plan continental d’infrastructures et en a confié la présidence à Macky Sall, président du Sénégal, qui a développé avec succès cette politique dans son pays. Ce plan suffira-t-il à développer l’Afrique ?

L’Afrique rêve d’unité, bien qu’elle soit profondément divisée en plus de 50 pays complètement différents.

L’Union Africaine, organisme qui cherche à jouer enfin un rôle important (on ne l’a pas entendue au Sahel ou ailleurs) rêve de lancer un grand plan continental d’infrastructures, et pour cela a confié sa présidence à Macky Sall, actuel président du Sénégal.

Le Sénégal est un pays singulier en Afrique. Il est un des rares à ne pas avoir connu d’épisodes violents, à se développer honorablement et à être resté largement démocratique, même si certains se plaignent d’une dérive un peu plus autoritaire.

Macky Sall président du Sénégal
Macky Sall président du Sénégal (source : Anadolu Agency)

Son président, Macky Sall, s’est fait remarquer par le développement des infrastructures sénégalaises.

Je lui souhaite un succès analogue pour l’ensemble du continent, mais, à mon avis, les infrastructures ne suffiront pas à développer l’Afrique, car le plus important est ailleurs.

L’économie sénégalaise

À part une période dite socialiste à l’indépendance, qui a vu quelques nationalisations, aucune révolution n’a cassé le fonctionnement du pays.

La scolarisation a progressé honorablement, sans être encore complète (78 % de scolarisation nette dans le primaire, avec une concurrence des écoles coraniques au programme très limité).

Le secteur privé, souvent catholique, est dynamique de la maternelle à l’enseignement supérieur.

La croissance du PIB de 2014 à 2019 a été de 6,15 % en moyenne annuelle (données de la Banque Mondiale) ce qui a mené à 1500 $ par habitant début 2021, niveau exceptionnel en Afrique hors pays pétroliers.

Le Sénégal est ainsi une des trois économies les plus dynamiques du continent, avec la Cote d’Ivoire et le Kenya.

Le président Macky Sall a été élu en 2012, et avait déjà une longue carrière gouvernementale derrière lui. Il a été réélu en 2019.

Le Sénégal de 2020, sa francophonie et son multilinguisme

Les infrastructures lancées par le président Macky Sall

Il s’agit d’abord de 1500 km de bonnes routes dont je peux témoigner, pour les avoir empruntées.

Il faut y ajouter l’aérodrome international Blaise Diagne, les travaux de modernisation et d’agrandissement du port de Dakar et de ses satellites.

TER de Dakar au Sénégal
TER de Dakar-Diamniadio au Sénégal (source Construction Cayola)

Il y a également le TER de Dakar à Diamniadio, qui sera prolongé jusqu’à l’aéroport. Ce TER est un objet de fierté avec une vitesse de 160 km/h, il est plus rapide que le TGV du Nigéria et en deuxième position après celui du Maroc.

Dernière minute (1er septembre 2023) le chemin de fer de Thiès à la ville sainte des Mourides, Touba, vient d’être remis en service à l’occasion du pelrinage du Grand Magal le 4 septembre.

Trente chantiers importants étaient en cours le 31 décembre 2000, dont l’autoroute Mbour-Fatick-Kaolack.

Le montage technique et financier de l’autoroute du Nord Dakar-Tivaouane-Saint-Louis, et du chemin de fer Dakar-Tambacounda sont également en cours.

Et 2500 km de routes sont prévus les trois prochaines années. L’ensemble de ces travaux devrait générer plus de 50 000 emplois.

Autoroutes Sénégal
Autoroutes Sénégal (source AFD)

Les infrastructures sénégalaises ne se limitent pas aux travaux publics puisque le pays devrait accueillir à l’institut Pasteur de Dakar une usine de fabrication de vaccins contre le COVID19 mais aussi d’autres maladies pour fournir l’ensemble du continent africain.

Cela avec le soutien de « L’équipe Europe », entité comprenant notamment la commission européenne, l’Allemagne et France. Elle devrait entrer en production en fin d’année 2022.

L’Union Africaine compte sur l’expérience de Macky Sall

L’Union africaine estime que le développement socio-économique du continent africain repose sur les infrastructures.

Effectivement, les récits d’entrepreneurs africains ou étrangers regorgent d’exemples de lenteurs, voire d’impossibilité dans les transports : la production ne peut être évacuée et vendue, les approvisionnements n’arrivent que tardivement ou pas du tout.

Non seulement des infrastructures de qualité peuvent désenclaver de nombreux territoires, mais elles facilitent l’accès des populations aux services publics comme les hôpitaux et les écoles, et augmentent le niveau de vie concret avec l’électrification et d’autres équipements.

D’où la décision de l’Union Africaine de réfléchir sur le développement des infrastructures à l’échelle du continent. Elle  estime qu’elle pourrait faciliter leur financement en parlant aux bailleurs de fond et aux partenaires internationaux au nom de l’ensemble du continent.

D’où l’idée d’en charger Macky Sall, fort de son expérience sénégalaise et nouveau président de l’UA. Il devra manœuvrer pour éviter la dépendance envers la Chine dans laquelle sont tombés d’autres pays africains, en veillant à diversifier les partenaires.

C’est un point clé illustré par un de mes souvenirs : j’ai emprunté une excellente route chinoise à Madagascar, allant de la capitale, Tananarive, au principal port, Tamatave.

Elle n’est pourtant pas appréciée par la population, chez qui la grogne monte contre les Chinois : « c’est pour envoyer chez eux NOS matières premières » … ce qui n’empêche pas la Chine d’être en bons termes avec les gouvernants malgaches et à être devenue le premier fournisseur de Madagascar, devant la France.

L’économie malgache étant en piteux état, cet exemple montre que si les infrastructures sont utiles, ce n’est pas la clé du développement.

Encore faut-il qu’on puisse utiliser ces infrastructures

En effet, ce qui est bon pour le Sénégal, peut-il être extrapolé à l’Union Africaine ?

N’oublions pas que le Sénégal est un pays où règne l’ordre public, et où le programme d’infrastructure se déploie à l’intérieur de ses frontières (à part l’enjambement de la Gambie qui ne pose pas de problème, cette dernière bénéficiant aussi des travaux).

Carte Sénégal - Gambie
Carte Sénégal – Gambie (source Wikipedia)

Par contre, dans l’Union africaine, le passage des frontières terrestres ou maritimes est coûteux, directement par les droits de douane et indirectement par la corruption. Et c’est ensuite une source de lenteur pour des raisons bureaucratiques et, toujours, de corruption. Et du douanier de base au président, on les imagine mal renoncer à ces pratiques.

Par ailleurs, à l’échelle du continent, il n’y a pas, comme au Sénégal, d’autorité suprême pouvant imposer tel tracé ou telle localisation.

Il est donc à craindre que des rivalités entre Etats, ou à l’intérieur des plus importants, ne ralentissent considérablement les décisions.

On vient de le voir en Éthiopie, où le différend entre les gouvernants et la province du Tigré a conduit à une guerre civile féroce.

Enfin, les infrastructures sont-elles vraiment le goulot d’étranglement du développement africain ?

Certes leur progrès serait bien sûr très important, vu l’état actuel de beaucoup d’entre elles, mais le développement du continent passe d’abord par d’autres conditions.

Les conditions du développement africain

Rappelons les, par ordre d’importance.

1. L’ordre public

Ce dernier n’est pas respecté de la corne de l’Afrique au Sahel en passant par le Soudan, le Sud Soudan, le Zimbabwe, le Mozambique et surtout les trois géants que sont l’Éthiopie, le Nigéria et la République Démocratique du Congo.

Dans ces pays, les lenteurs et le coût de transport s’expliquent aussi par l’insécurité et les rackets des différentes armées publiques ou privées, voire de la police.

Une voie ferrée ou une autoroute n’en mettront pas les voyageurs et les marchandises à l’abri !

2. La scolarisation

La scolarisation est pour l’instant incomplète et défectueuse, heureusement doublée d’un important enseignement privé.

Ce dernier est moins dépendant de l’avarice et de lourdeur de l’État et plus souple quant au choix des formations pratiques nécessaires au développement : informatique, gestion, secrétariat…

Cela a bien démarré spontanément dans certains pays, comme le Maroc.

Mais l’obstacle reste la non généralisation et la mauvaise qualité de l’enseignement public dans la plupart des pays.

3. L’ouverture économique et intellectuelle à l’étranger

Les nombreux pays dont le niveau de vie était inférieur ou égal à celui de l’Afrique, l’ont maintenant largement dépassée.

Leur démarrage s’appuyait sur l’étranger, non seulement grâce à l’argent des investisseurs, mais aussi et peut-être surtout, grâce à la formation à leurs techniques et leur organisation.

C’est ce qui s’est produit non seulement dans des pays assez libéraux comme le Japon et la Corée du Sud, mais aussi en Chine où le pouvoir a longtemps veillé à être très attractif pour le secteur privé national et étranger.

Et bien entendu cet accueil des investisseurs étrangers dépend largement des deux points prioritaires ci-dessus :

Sans ordre public les investisseurs étrangers ne viennent pas, et si la population n’est pas scolarisée, une partie de leurs métiers ne peuvent pas s’implanter.

4. Les infrastructures

Les infrastructures ne viennent donc qu’en quatrième position

Il est clair que l’Union africaine ne peut pas grand-chose pour l’ordre public, sauf à essayer d’arbitrer certains conflits entre Etats. Mais ces derniers cas sont exceptionnels, car il s’agit en général de guerres civiles.

Quant à la scolarisation et l’ouverture économique et intellectuelle sur l’étranger, il est probable qu’elles resteront de la stricte compétence des Etats dans un avenir prévisible.

Restent donc les infrastructures, d’où la mission confiée à Macky Sall.

Chacun lui souhaite le succès dans ce domaine. Il y aura certainement de grands progrès locaux, mais il ne faudra pas en attendre de miracle pour l’ensemble de l’Afrique tant que les trois premiers problèmes, et surtout le premier, ne seront pas réglés !

Yves Montenay

 

Crédit image à la Une : Le 360 Afrique 

16 commentaires sur “Développer l’Afrique par les infrastructures ?”

  1. Les 3 premières conditions ne seront pas atteintes si les populations africaines, et leurs élites, privilégient leurs attachement aux identités locales, ethniques ou pas, au détriment de leur ouverture au monde extérieur. Et elles seront encore moins moins atteintes si la haine de l’Occident s’installe en Afrique.

    1. Oui sur le principe, mais chaque pays est différent. Ce que vous dites s’applique moins, à la Tunisie, au Sénégal, à l’Afrique du Sud qu’au Soudan du Sud, à l’Éthiopie etc.

    1. C’est une partie du problème. La Chine a déjà financé beaucoup d’infrastructures avec des résultats mitigés (explosion des coûts, endettement du pays, corruption à grande échelle…). Je pense qu’une des idées de l’Union africaine est de faire des financements avec des organismes internationaux plutôt qu’avec la Chine. Ça résoudrait un problème, mais pas les autres. Si

  2. L’ordre public est certainement le critère le plus important. Les autres sont quand même un peu liés aux infrastructures.
    Prenons par exemple l’électrification.
    Dans un pays comme le Niger, tout au plus 15% de la population a accès à l’électricité.
    Un pays comme l’Ethiopie a bien reconnu l’importance de l’électrification, avec le barrage Renaissance sur le Nil (cause de quelques frictions avec le Soudan et l’Egypte d’ailleurs). C’est le plus grand barrage d’Afrique, un peu plus de 5000 MW.
    C’est l’énergie électrique qui va attirer les investisseurs pour amorcer la production industrielle, et les enfants feront aussi mieux leur devoirs le soir à la lumière d’une lampe électrique qu’à la bougie.

    1. Nous sommes d’accord que c’est très important. Mais on a vu tellement de projets en Afrique tourner à « l’éléphant blanc », c’est-à-dire mal fonctionner ou ne pas fonctionner du tout, que je crois qu’il est sain de rappeler qu’il y a des conditions nécessaires. Faire une autoroute au Sénégal, au Maroc ou en Afrique du Sud est une chose (il y en a et ça marche), la faire au Soudan du Sud ou dans de larges parties de la RD Congo pourrait être de l’argent perdu

  3. Beaucoup d’initiatives ont été lancées par les leaders africains, notamment depuis la mise en place, en 2002, de l’Union africaine. Il suffit de vaquer des initiatives comme le Nepa, nouveau modèle de développement économique et social pour le continent africain ou le MAEP destiné destiné à jeter les bases de la bonne gouvernance au sein des pays africains. Qu’en est il de ces initiatives depuis leur lancement alors que l’Union africaine vient de souffler ses 20 bougies d’existence ?

    1. Il y a une réponse par pays. On s’aperçoit par exemple à quel point la gouvernance de l’Afrique du Sud a été mauvaise. Je ne vois pas de progrès dans beaucoup de pays, on peut même dire que les dirigeants du Mali viennent de vendre leur sécurité (pas celle du pays !) aux Russes, en échange d’un prélèvement sur les matières premières locales. Si la France avait fait ça, on l’aurait accusée de pillage et d’appui à des dirigeants corrompus

  4. Si on estime qu’il peut y avoir un parallèle de situation entre celle de l’Afrique au lendemain de la création de l’Union Africaine et la manière selon laquelle l’Union Européenne a évolué au moment de Maastricht on peut au moins constater que l’Union Africaine s’engage dans un système plus démocratique entre Etats. Procéder par une expérimentation sous la responsabilité d’une Etat libre et indépendant, devrait permettre aux autres Etats volontaires d’essayer d’autres solutions liées peut-être à l’enseignement et à l’économie, sans s’en remettre dès le départ à une bureaucratie omniprésente.

    1. Bien d’accord pour critiquer la bureaucratie bruxelloise, et celles de plusieurs entreprises ou administrations françaises. Je pense que c’est vraiment le mal du siècle dans de nombreux pays. Cela dit, je pense que l’Union Africaine n’existe pas concrètement, mais je crains qu’elle ne crée néanmoins une bureaucratie

  5. Très intéressant rapport. Ceci dit pour mieux maintenir l’ordre public et envoyer plus d’enfants à l’école il faut des infrastructures.
    Aussi je suis de plus en plus méfiant pour l’appel aux investisseurs étrangers. Dans l’ensemble ce sont ces investisseurs qui ont gagné de l’argent tandis que le peuple ne s’enrichissait pas du tout sauf en termes de PIB qui ne veut pas dire grand chose; et les ressources naturelles qui ne se renouvellent plus.

    1. Dans beaucoup de pays, ce sont des gouvernements locaux et leurs amis qui s’enrichissent le plus. Les pays qui se sont développés le plus rapidement (dont la Chine jusqu’à récemment) ont largement ouvert la porte aux étrangers. Et, en Afrique, il faut vendre la production locale avant qu’elle ne se détériore. Pour cela il faut une route et un téléphone portable. C’est difficile à comptabiliser mais c’est important

  6. et la baisse puis ? de l’explosion démographique? Comment investir quand la nourriture est le pb principal conduisant à tous les expédients , à tous niveaux?

      1. Ne pas confondre croissance Ricardienne et croissance Schumpetérienne ! La première doit vite laisser sa place à la seconde.

        1. Il y a tellement de gains de productivités possibles en Afrique, que je pense que la priorité doit être à ce qui les bloque le plus, à savoir l’insécurité physique et politique. Mais, comme dit dans l’article, l’Union Africaine n’y peut rien

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