Diplomatie : L’évolution de la francophonie en Afrique

L’évolution de la « francophonie d’usage » en Afrique

Cet article sur la situation du français en Afrique est paru dans le Magazine DIPLOMATIE n°116 Juillet-Août 2022 en pages 66 et 67 au sein du dossier « La France en Afrique« .

J’entends par « francophonie d’usage » la possibilité pour tout francophone de travailler en français dans un pays, qu’il en soit citoyen ou qu’il vienne de l’extérieur, qu’il soit entrepreneur, cadre supérieur, enseignant ou militaire, même si une partie de la population du pays ne parle pas français. Cette définition large rassemble les pays dont le français est la langue officielle, et y ajoute le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie).

Soit un total de 600 millions de francophones d’usage, qui devrait passer à 1 milliard en 2050 du fait de l’accroissement démographique (1), et au sein desquels on peut distinguer plusieurs groupes.

Une francophonie d’élite au Maghreb

Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie totalisent actuellement 95 millions d’habitants, chiffre qui pourrait passer à 120 en 2050.

C’est une zone relativement riche par rapport au reste de l’Afrique, et qui attire donc les étrangers. Du moins, qui devrait, car l’Algérie reste fermée, contrairement à la Tunisie et surtout au Maroc.

La situation linguistique du Maghreb est complexe : les langues maternelles sont la darija, ou arabe dialectal, et les langues berbères/amazigh, qui sont différentes les unes des autres. L’arabe standard et le français s’y sont superposés, avec maintenant l’apparition de l’anglais.

Juridique et pratique se contredisent : l’arabe standard est officiel et est notamment la langue de l’enseignement public, bien que n’étant qu’exceptionnellement la langue maternelle.

La darija gagne du terrain, notamment au Maroc dans les manifestations publiques et les chansons, ainsi que dans la presse populaire.

Les langues berbères se sont vues récemment baptisées « langues officielles » au Maroc et en Algérie sans que cela corresponde à une réalité concrète.

Dans le haut de la pyramide sociale, le français est la langue familiale d’une partie de la population et est langue de travail dans de nombreuses activités, notamment techniques, tandis que l’arabe standard est pratiqué par les officiels et par le milieu juridico-religieux. En pratique, tout francophone venant de l’extérieur peut avoir une activité économique ou culturelle en français.

Les liens économiques et familiaux avec la France, la Belgique et le Québec consolident la situation du français. Au Maroc, l’enseignement du français au lycée a été renforcé, et il existe une foule d’écoles techniques de niveau moyen où l’enseignement est également en français.

Quant à l’anglais, il progresse dans le domaine économique, avec l’arrivée d’entreprises de pays anglophones. Et il fait l’objet d’une offensive médiatique en Algérie, où l’on va jusqu’à angliciser la signalétique et l’intitulé des cours universitaires, sans que cela change le fait que ces derniers sont donnés en français.

En août 2022, a été officialisé le vieux projet d’introduire l’anglais dans le primaire dont les modalités sont encore à l’étude, ce qui a suscité quelques protestations d’algériens francophones.

Une francophonie menacée au Sahel

Le Sahel est une zone semi-aride, mais ce n’est pas une entité politique, n’étant que la partie nord des pays suivants, d’ouest en est : la Mauritanie, le Mali, le Niger et le Tchad. En y ajoutant le Burkina Faso, ces quatre pays rassemblent une population d’environ 92 millions d’habitants, qui seront environ 195 millions en 2050.

Le Sahel est souvent peuplé de tribus arabes, berbères ou peuhles. Ces groupes sont historiquement opposés à ceux des capitales. Une partie du Sahel, sous la coupe des djihadistes, impose par la force l’usage d’un arabe archaïque, notamment par le biais des écoles coraniques dédiées à l’éducation des jeunes garçons. Cette version de l’arabe est d’une part très peu parlée et d’autre part, diffère fondamentalement des langues locales ou du français.

Une partie de la population fuit les djihadistes vers les villes plus au sud et pour l’instant épargnées, notamment les capitales : Bamako au Mali, Niamey au Niger et N’Djaména au Tchad. Théoriquement, ces réfugiés bénéficieront d’une scolarité en français, sans certitude que les systèmes scolaires en place puissent les intégrer.

Selon l’OIF, le nombre de francophones devrait passer à 700 millions en 2050 et à plus d’un milliard en 2065, dont 85 % seront en Afrique.

Si l’augmentation du nombre de locuteurs du français s’annonce exponentielle, la tentation pour les pays et les peuples de se démarquer de cette langue va croissant : d’une part en raison du dynamisme et de la prospérité économique supposée des pays africains anglophones, supériorité vantée par les réseaux sociaux mais démentie dans la réalité. En effet lAfrique subsaharienne francophone demeure le moteur de la croissance africaine, ainsi que le démontre l’étude d’Ilyes Zouari pour le Centre d’Etude et de Réflexion du Monde Francophone largement reprise par des journaux africains.. On constate également la concurrence d’autres langues telles le mandarin, qui devient un passeport recherché pour prétendre à une bourse d’études en Chine.

Alors que l’Afrique est une terre des luttes linguistiques à venir, le français devra continuer à s’y enraciner pour lui permettre de rester une langue internationale... Et notamment de le sauver en France !

L’enracinement du français langue maternelle dans le golfe de Guinée

Les pays francophones qui se trouvent sur la côte occidentale de l’Afrique sont, d’ouest en est : le Sénégal, la Guinée-Conakry, la Côte-d’Ivoire, le Togo, le Bénin, le Cameroun et le Gabon. Ces pays côtiers rassemblent plus de 110 millions de personnes, qui seront, selon les prévisions de l’ONU, 204 millions en 2050.

La scolarisation en français y a maintenant touché plus de trois générations dans la bourgeoisie et dans une partie des couches populaires. Pour des dizaines de millions de locuteurs, cette langue d’enseignement s’est donc transformée en langue maternelle. L’accroissement démographique de ces pays, couplé à une scolarisation continue en français, devrait conduire à l’augmentation du nombre de francophones dans cette région.

Certes, la situation n’est pas la même à Dakar, où le wolof règne dans la rue, qu’à Abidjan, Douala ou Libreville, où la variété des langues locales impose le français comme langue commune.

Notons à cette occasion que le français « se créolise » ou « s’argotise » en variantes locales intégrant du vocabulaire non francophone. C’est le cas notamment du « nouchi » en Côte d’Ivoire ou du « camfranglais » au Cameroun.

Les discussions restent vives entre enseignants prônant un français standard face à certains linguistes intéressés par l’analyse, voire par l’officialisation éventuelle de ces « nouvelles langues ».

La francophonie «belge»

Les anciennes colonies belges que sont la République démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda, rassemblent 121 millions d’habitants et en compteront probablement plus de 240 millions en 2050.

La très vaste République démocratique du Congo compte 51 % de lettrés français (2), soutenus par la division en centaines de langues locales, dont quatre ont été décrétées « langues nationales ».

Le Rwanda, petit mais très densément peuplé, est maintenant dirigé par Paul Kagamé d’une main de fer, avec un certain succès en matière de développement. Élevé en pays anglophone, il a supprimé le français de l’enseignement en 2008, mais l’a laissé langue officielle à côté de l’anglais et du swahili, langue de ses voisins orientaux. Toutefois, le Rwanda ne comportant qu’une seule langue locale dans l’ensemble du pays, le rôle du français comme de l’anglais reste limité.

Le Burundi a beaucoup de points communs avec le Rwanda mais a gardé un enseignement plurilingue, tandis que l’état de l’ordre public et du développement est plus proche de celui de la RDC que de celui du Rwanda.

Les îles de l’océan Indien

C’est un ensemble extrêmement hétérogène rassemblant 31 millions d’habitants, chiffre qui devrait doubler et franchir le palier des 63 millions en 2050.

A l’île Maurice ou la Réunion, l’usage du français est général, à l’importante exception de Madagascar, où l’ensemble de la société malgache a été bouleversée par le président Ratsiraka et sa « révolution » en 1975, avec notamment la malgachisation de l’enseignement. Le français y demeure néanmoins bien implanté dans l’élite.

Le système scolaire et les langues locales

Les langues à utiliser dans le système scolaire font l’objet d’importantes controverses, qui ont commencé avant les indépendances et se sont intensifiées depuis.

S’il paraît évident à tous les praticiens que les premières années du primaire devraient laisser une place aux langues locales, la généralisation de leur enseignement pose des problèmes jusqu’à présent insolubles.

Le véritable problème, tant pour la francophonie que pour le développement, est la pauvreté quantitative et qualitative des systèmes scolaires, malgré l’appui du secteur privé, religieux ou commercial.

 

En conclusion, la francophonie est en train de devenir un phénomène de masse en Afrique, malgré des mésaventures dans certains pays. C’est aussi l’occasion de l’apparition d’une nouvelle culture, comme en témoignent les succès des auteurs africains francophones, parmi lesquels Mohamed Mbougar Sarr, sénégalais et lauréat du prix Goncourt 2021 pour La plus secrète mémoire des hommes (3).

Par Yves Montenay, docteur en démographie politique, ingénieur de Centrale
Paris et économiste à Sciences Po ; coauteur avec Damien Soupart de La langue
francaise : une arme d’équilibre de la mondialisation (Les Belles Lettres, 2015).

 

Notes
(1) Source pour tous les chiffres actuels et prospectifs de population : ONU (scénario median pour 2050).
(2) Source : Rapport de l’OIF, 2019.
(3) Éditions Philippe Rey et Jimsaan, 2021.

2 commentaires sur “L’évolution de la « francophonie d’usage » en Afrique”

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