Philippe Rossillon héros méconnu de la langue française

Philippe Rossillon, héros méconnu de la langue française – La Traversée du Siècle #18

Poursuite de La Traversée du Siècle, l’histoire depuis les années 50 et suivantes, évoquée à partir des souvenirs personnels d’Yves Montenay, avec un hommage à Philippe Rossillon, militant méconnu choisi par de Gaulle et Pompidou pour les missions délicates pour la défense de la langue française.

Pour De Gaulle, la langue française était une composante essentielle de la nation. Pompidou partageait cette opinion, et avait écrit une Anthologie de la poésie française, livre magnifique dont je connais une grande partie par cœur.

Dans cet article, je vous présente le militant qu’ils avaient choisi pour les missions délicates dans ce domaine, Philippe Rossillon, injustement méconnu.

Je vais commencer par évoquer mes souvenirs personnels de Philippe Rossillon, que j’ai rencontré en 1963 et que j’ai connu jusqu’à sa mort en 1997.

Convoqué par Rossillon à mon retour d’Acadie

Je suis allé en Acadie en 1963, mandaté à titre personnel par Robert de Caix, personnalité de la IIIe République, journaliste, diplomate, alors âgé de 96 ans

Robert de Caix s’était passionné pour les Acadiens, ce peuple français abandonné de tous, et même ignoré à l’époque par les Québécois : « Jeune homme, voici 500 Francs, profitez de votre voyage au Québec pour renouer le lien entre la France et l’Acadie ».

Philippe Rossillon

Je fis de mon mieux. Bien sûr les contacts de Robert de Caix avaient disparu depuis longtemps. Mais je fis connaissance des personnalités acadiennes qui faisaient ce qu’elles pouvaient dans la province canadienne du Nouveau-Brunswick où vivait le gros des Acadiens et qui était alors juridiquement purement anglophone lien.

A mon retour, je fus convoqué par un dénommé Philippe Rossillon, futur organisateur du voyage de de Gaulle au Québec, futur rapporteur général du Haut comité pour la défense et l’expansion de la langue française* (1966-1978), et désigné comme « l’homme de De Gaulle pour le français ».

Tel un espion en mission rentrant en France après mission à l’étranger, je fus accueilli par un «Montenay, au rapport ! ».

La  coopération franco-acadienne relancée

Le résultat fut impressionnant. Dans la foulée mobilisatrice du « Vive le Québec libre ! » de 1967, les représentants informels de l’Acadie que j’avais rencontrés, furent reçus par de Gaulle le 20 janvier 1968.

De Gaulle reçoit les acadiens
De Gaulle reçoit les acadiens (source Amitié France -Acadie)

Ils signèrent en 1968 un traité avec la France enclenchant la coopération franco-acadienne. Une curiosité juridique, l’un des signataires n’étant pas un État.

Puis le français devint langue officielle au Nouveau-Brunswick, à égalité avec l’anglais.

Enfin, à côté de mon travail en entreprise, j’ai aidé Philippe Rossillon jusqu’à sa mort en 1997, notamment dans les associations qu’il soutenait, dont : « Population et avenir » pour le maintien de la fécondité française, « Avenir de la langue française » (qu’il a présidé de 1993 à 1997) et « France Haïti », associations où j’ai longtemps été très actif.

Et maintenant, je vous livre un portrait plus officiel de ce personnage méconnu.

De Gaulle, Pompidou, le français et Philippe Rossillon

Philippe Rossillon était un énarque, très « service public », et qui fonda un parti politique Patrie et Progrès, ancêtre lointain des souverainistes, avec son camarade Jean-Pierre Chevènement.

Il était marié à une Seydoux, une des premières fortunes de France, qui finançait ce que l’Etat ne voulait pas prendre en charge pour la défense du français.

Philippe Rossillon fut un « agent plus ou moins secret » (terme utilisé par Ottawa) du Général de Gaulle puis de Georges Pompidou, chargé des questions relatives à la langue française.

Philippe Rossillon in Le dernier felquiste (2020) – source imdb.

Ce qualificatif d’espion lui valut même d’être qualifié de « persona non grata » et expulsé du Canada après le voyage du Général de Gaulle au Québec, dont le « Vive le Québec libre ! » avait profondément irrité Ottawa.

En fait, le gros de son activité s‘est effectuée à des postes officiels, tel le secrétariat général du Haut comité de la langue française, avec comme tâche concrète de multiplier les contacts avec les associations francophones, leurs journaux… et les soutenir.

Atlas de la langue française : histoire, géographie, statistiques., Paris, Bordas, 1995
Atlas de la langue française : histoire, géographie, statistiques., Paris, Bordas, 1995

Il fonda ou réveilla ainsi des associations comme France-Québec, plus indépendantiste que France-Canada, fédéraliste par nature, ainsi que les associations que j’ai nommées plus haut…

On lui doit également un des premiers recensements mondiaux des francophones à partir de statistiques scolaires, travail qu’il m’avait demandé de superviser, et d’où il tira plus tard L’atlas de la langue française.

Malgré une santé fragile, il se fit parachuter sur les Iles Rodriguez, dépendances de l’île Maurice, pour prendre la tête des associations francophones du lieu contre l’installation d’une base américaine, qui d’ailleurs s’installa malgré tout, et fit expulser ces « indigènes ».

On lui prêta aussi une obscure mission en vallée d’Aoste, ce qui est l’occasion de présenter à mes lecteurs cette magnifique région francophone mal connue.

Deux mots sur la Vallée d’Aoste

Cette grande vallée, rassemblant aujourd’hui 123.000 habitants, faisait humainement partie de la Savoie, avec son dialecte franco-provençal évoluant rapidement vers le français.

Mais la manie des « frontières naturelles », en l’occurrence la ligne de partage des eaux dans les Alpes, avait laissé cette région en Italie lors du référendum organisé par Napoléon III pour le rattachement de la Savoie à la France.

Cette francophonie a été insupportable à Mussolini, qui transférera dans la vallée une forte population sicilienne qui n’avait rien de commun avec les habitants, et se lança dans une italianisation brutale.

Agacement du général De Gaulle qui veilla à ce que l’armée française l’occupe en 1944 après le débarquement en Provence. Et du coup fureur des Américains qui voulaient ménager leur nouvel allié italien après le renversement du Mussolini, et qui menacèrent de couper le carburant à l’armée française si elle n’évacuait pas la vallée.

De Gaulle dût renoncer, gardant de cet épisode « une dent » de plus contre les Américains.

Il y eut finalement un compromis : l’Italie accorda une autonomie à la vallée et sa population mixte, comme elle le fit pour la région italo-germanique du Trentin-Haut Adige.

On comprend donc l’intérêt de De Gaulle pour cette région et la consigne pour Philippe Rossillon d’y jeter un œil.

panneaux bilingues en valle d'aoste
Panneaux bilingues français / italien en Vallée d’Aoste

Philippe Rossillon, de l’action publique à l’action privée

La politique volontariste en faveur du français ne fut plus une priorité de Valéry Giscard d’Estaing après la mort de Georges Pompidou.

Philippe Rossillon fut mis à l’écart, mais ses relations et ses moyens financiers lui permirent de conserver une activité importante, notamment via l’association Cultura Latina, qui avait pour objet de fédérer les pays de langue française, italienne, espagnole et portugaise.

Hélas cette association est tombé en sommeil après sa mort.

Ses idées souverainistes se manifestaient également en démographie, où il dirigea l’Alliance Nationale Population et Avenir dont l’objet était de lutter contre la dénatalité française.

Il donnait par ailleurs priorité au français et donc et à la liberté de circulation nord-sud pour la cohésion de la francophonie sur les problèmes que pourraient poser une immigration africaine massive.

On sait aujourd’hui que la restriction des visas est une des causes de rupture entre l’Afrique et la France.

centre Alcibiade Pommayrac de Jacmel
Centre Alcibiade Pommayrac de Jacmel, financé par Véronique Rossillon en Haiti.

Son épouse, Véronique Rossillon, fut également une militante très motivée. Elle finança notamment un lycée classique, avec des cours de latin, à Jacmel en Haïti, d’où je l’ai vu revenir de la distribution des prix après une nuit en avion.

Il faut aussi signaler l’amitié et la coopération étroite de Philippe Rossillon avec le diplomate Bernard Dorin, autre croisé de la francophonie, disparu en 2019.

La destinée de cette politique de soutien du français

C’est enfin l’occasion de voir ce qui reste aujourd’hui de l’action en faveur de la francophonie de De Gaulle et Pompidou.

À mon avis ce dernier fit la grosse erreur de favoriser l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Europe, organisation alors pratiquement francophone, et à cette occasion d’y introduire l’anglais comme langue de travail.

Il veilla à ce que Londres promette de n’envoyer que des représentants bilingues pendant 10 ans … promesse donc éteinte depuis 40 ans et l’on connaît la suite… avec notamment le Brexit mais le maintien de l’anglais.

Il faut évoquer également la création l’OIF, l’Organisation Internationale de la Francophonie. Elle est présentée comme un instrument d’influence de la France, ce qui n’est pas totalement vrai, car De Gaulle avait veillé à ce qu’elle soit une initiative purement africaine pour ne pas que la France soit accusée de néocolonialisme, et à ce que le Québec y soit influent.

Les pères fondateurs de l’OIF :  Habib Bourguiba (Tunisie), Hamani Diori (Niger), Norodom Sihanouk (cambodge), Senghor (Sénégal),

Personnellement je regrette qu’un de ses présidents, l’Égyptien Boutros Boutros-Ghali en ait fait une petite ONU, organisation dont il avait été secrétaire général, diluant ainsi son activité en faveur du français dans des considérations très générales sur l’état du monde… auquel elle ne peut pas grand-chose malgré le budget qui leur est consacré. Qui trop embrasse mal étreint !

Yves Montenay

 

(*) Ce Haut comité pour la défense et l’expansion de la langue française deviendra la Délégation générale de la langue française, aujourd’hui rattachée au Ministère de la Culture.

Image de couverture : Philippe Rossillon reçu docteur Honoris Causa – Université de Moncton (1996). Crédits : Amitiés France Acadie 

 

La Traversée du Siècle, L’histoire depuis les années 50 et suivantes, évoquée à partir des souvenirs personnels d’Yves Montenay, féru de politique depuis son plus jeune âge.

Si vous avez manqué les épisodes précédents :
#1 – De la Corée au Vietnam (1951-54) : la géopolitique vue par mes yeux d’enfant
#2 – Algérie, Hongrie et Canal de Suez : 1954-56, tout se complique !
#3 – L’école, les Allemands et les Anglais des années 1950
#4 – Des gouvernants calamiteux et l’affaire algérienne achèvent IVe République 
#5 – URSS, 1964 : un voyage rocambolesque
#6 – 1963 et la francophonie américaine
#7 – Le Sahara
#8 – Une aventure au Laos (1974-1984)
#9 – Mon Chirac (1967-1995)
#10 – Le président Senghor, français et africain
#11 – La Roumanie, loin derrière le mur de Berlin
#12 – Le Moyen-Orient autour de 1980
#13 – Entreprendre au Moyen-Orient : la catastrophe évitée de justesse
#14 – La disparition des vieilles civilisations du Proche Orient
#15 – Ma Corée 
#16 – L’administration contre le terrain
#17 – Quand l’ordinateur semait la terreur en entreprise

3 commentaires sur “Philippe Rossillon, héros méconnu de la langue française – La Traversée du Siècle #18”

  1. L’article est passionnant. J’ai pu voir en 69-70 la fierté des Acadiens de voir leur langue reconnue à égalité avec l’anglais au Nouveau-Brunswick. Avec une aventure qui m’a touché? L’ami acadien qui m’invitait à passer un week-end de Pentecôte dans sa famille avait pris des précautions pour me prévenir que ses parents parlaient un français différent du québécois auquel j’étais habitué. Lorsque je suis arrivé, eux étaient tout intimidés, jusqu’au moment où je les ai entendus parler entre eux et où j’ai aussitôt sorti ma « parlange » vendéenne et où nous nous sommes trouvés un langage commun.

    1. Merci, j’ai également été très touché par mes séjours en Acadie. Caraquet est devenu mondialement célèbre avec son festival acadien. Mais la dénatalité et l’émigration, notamment envers l’Alberta et son pétrole, minent les Acadiens

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