ChatGTP sauvera-t-il le français ?

On ne parle que de lui, on salue ses prouesses techniques ou on le dit inepte. Je parle bien sûr de ChatGTP, l’agent conversationnel d’OpenAI mis récemment à la disposition des internautes dans une version 3 assez avancée (*). Faut-il s’en inquiéter et quel sera son impact sur les langues et notamment la nôtre : le français ? 

D’abord, assurons-nous que nous parlons de la chose et non du mythe. Mythe qui lui-même relaie celui de l’intelligence artificielle (IA).

Un enfant de l’intelligence artificielle

Comme je l’expliquais dans un précédent article, l’intelligence artificielle n’est ni intelligente ni artificielle.

L’intelligence artificielle

ChatGPT est un outil mis au point par les humains pour des humains.

En effet, cet outil ne fait  « que » consulter quasi instantanément une énorme masse de données et les utilise pour répondre aux questions qu’on lui pose. C’est une sorte de super Google… et Google justement compte bien faire face à ce concurrent pour se développer également dans ce domaine.

En attendant, c’est un succès financier et le cours de bourse de BuzzFeed, l’entreprise d’intelligence artificielle, une star déchue, a bondi lorsque qu’a été annoncée sa convention avec Facebook et Instagram pour créer des contenus.

Pour l’instant, ChatGTP n’est qu’un outil d’intelligence artificielle d’OpenAI, et sa célébrité vient du fait qu’il est utilisable par tous les internautes depuis novembre 2022. En particulier parce qu’il a réussi à passer un examen de MBA à l’école de commerce de Wharton. Du coup, il s’est fait interdire dans les écoles new-yorkaises … et à Sciences-po !

Ça me rappelle l’interdiction des calculettes dans les examens et concours, mesure maintenant oubliée.

Mais contrairement aux calculettes, il peut se tromper.

Pourquoi quelques erreurs ?

Il y a plusieurs raisons.

  • La première est que ses bases de données sont incomplètes. Pour l’instant elles s’arrêtent à courant 2021 et il faudra le mettre à jour en permanence, ce qui ne sera jamais parfait.
  • La 2e vient de sa conception même : comme il ne sait pas ce qui est vrai ou faux, il choisit le plus vraisemblable, par exemple s’il constate que des présentateurs de télévision écrivent souvent des livres, il dira « X a écrit de nombreux livres », même si c’est faux. Il peut aussi inventer le titre et les auteurs d’une revue qui n’a jamais existé. Ou encore attribuer à quelqu’un un diplôme qu’il n’a jamais obtenu. Si deux réponses lui semblent statistiquement probables, il peut dire une chose et son contraire.

A quoi va-t-il servir ?

En bref c’est un immense savoir à disposition, comme Google, en mieux (et on peut compter sur Google pour lui bâtir un concurrent costaud), mais qui ne fait que refléter les sources.

Ces dernières peuvent être involontairement biaisées de 1000 façons, puisque c’est la quantité qui compte. Or le nombre de données sur Shakespeare mettra ce dernier au premier rang devant d’autres brillants auteurs.

il servira aussi à former des créateurs et des influenceurs pour Facebook et Instagram

On peut imaginer des dialogues du genre :

« Monsieur, la machine, elle vient de me dire que la terre est plate ».

« Montre-moi ta question »

« Bien sûr, c’est toi qui lui a demandé de le dire »

il peut varier le style (ou le ton si on lui fait lire son texte) : humour, colère, poésie…

Peut-on le démasquer ?

On peut le soupçonner en cas d’erreur, ou d’ignorance de faits produits après 2021 (même si cela va vite évoluer, la version 4 de ChaGPT est annoncée plus complète), mais ce n’est pas vraiment une preuve : un humain peut se tromper aussi.

En fait il semble que seul le concepteur puisse le prouver.

Mais Google prépare une riposte qui permettra de trier ce qui vient de la machine et ce qui vient d’un humain : Panique chez Google : les fondateurs reviennent pour contrer ChatGPT  (01 Net) 

Son rapport aux langues

Certains détracteurs de la généralisation de l’anglais dans le monde comment déjà à se plaindre : « Encore une machination des Américains pour imposer leur langue ! »

Au stade actuel, ce n’est pas évident.

Translangue

Il y a plusieurs « couches » de connaissance stockées dans le modèle ChatGPT.

Les couches inférieures contiennent des représentations abstraites et mathématiques des concepts et de leurs relations.

Les couches supérieures relient les couches inférieures à des modèles de langages : textes dans lesquels les concepts sont décrits et utilisés, grammaire et vocabulaire de différentes langues, etc.

Il est donc possible d’exprimer une connaissance contenue dans les couches inférieures dans n’importe quelle langue si les couches supérieures associées à celle-ci existent.

De plus, si des textes existent dans cette langue sur ce sujet, ChatGPT peut s’en inspirer.

Donc ChatGPT ne travaille pas en anglais mais dans un modèle abstrait. Le langage n’est que l’interface de communication.

C’est un peu comme les programmes qui peuvent reconnaître les chiens dans les images : ils sont capables d’extraire l’essence d’un chien de nombreux exemples sans se soucier des différences entre les races.

De plus des textes de nombreuses langues différentes peuvent venir enrichir ce modèle. Donc le programme n’a pas besoin d’utiliser la traduction automatique. Peut-être le fait-il ponctuellement.

Quelle influence sur la langue française ?

Ma première réaction est la suivante : De quoi se plaint –on ? On produit des textes en bon français, sans fautes d’orthographe ni de grammaire, ça nous change un peu !

C’est même paraît-il, comme ça qu’on repère que ces textes viennent de la machine et non d’un élève ou d’un collègue. C’est dire à quel point nous sommes tombés bien bas !

On pourra dire « voilà un corrigé tout fait ». On verra fleurir les : « élève Lagaffe note les différences avec ton texte » et autres exercices pédagogiques.

On va sauver des précisions disparues. On va voir le retour du conditionnel, du passé simple, et peut-être de l’imparfait du subjonctif !

Fatie Toko, directrice « Data et IA » de La Poste, l’a testé et estime que l’intelligence artificielle représente donc « un énorme potentiel pour l’éducation »… à condition de continuer à faire fonctionner ses neurones.

Rappelons-nous que le calcul mental a disparu avec les calculettes. Moi qui suis d’une génération antérieure, j’ai longtemps « bluffé » les commerçants de mon quartier en annonçant un total plus rapidement que leurs calculettes … mais maintenant je suis battu par leurs ordinateurs.

Donc, contrairement aux craintes suscitées par l’hégémonie de l’anglais, voici que les Américains lancent un produit qui semble neutre sur le plan linguistique. Et qui de plus nous donne de bons modèles de rédaction en français.

Conclusion

Je pense donc qu’il faut réfléchir à une utilisation féconde en français pour les francophones. Cet outil remarquable et qui sera sûrement sans cesse perfectionné doit être présenté et surtout maîtrisé pour stopper la progression du franglais.

Dans cet article, je me suis focalisé sur l’impact de ChatGPT sur la langue française. Le grand public se pose bien d’autres questions, notamment l’impact sur l’emploi de tous ceux qui seront déclassés par cette nouvelle technique.

Mon avis est que l’histoire nous montre que l’on peut être raisonnablement optimiste, comme pour tout progrès technologique. Nous en reparlerons dans lors d’un prochain article !

Yves Montenay

 

(*) Pour ceux qui n’ont pas encore entendu parler de ChatGPT, en voici la définition Wikipedia : prototype d’agent conversationnel utilisant l’intelligence artificielle, développé par OpenAI et spécialisé dans le dialogue. L’agent conversationnel est un modèle de langage affiné par apprentissage supervisé et par apprentissage par renforcement.

10 commentaires sur “ChatGTP sauvera-t-il le français ?”

  1. Un outil remarquable ? Certes il ne passe pas inaperçu. Seulement avant de me demander si cet outils va participer, ou pas, à « sauver » le français, bien maltraité en effet, je me demande s’il n’y avait pas plus urgent que de développer ce truc. Et je ne vois pas ce que ce nouveau machin va réellement nous apporter, de plus. Ou plutôt de mieux. Et pas seulement nous les francophones, mais les 8 milliards que nous sommes. J’ai évidemment lu le chapitre « A quoi va-t-il servir ? » et je me suis également informé ailleurs. Tout ça est loin de me m’enthousiasmer. Bien au contraire. Je me vois déjà consulter un robot médecin. Encore mieux, un robot psy.
    Faut dire que je suis un peu fâché avec le Progrès, qui progresse, et les innovations, qui innovent, pour des siècles et des siècles amen.
    Inutile de répondre, je ne suis qu’un robot. Une machine quoi. Mais d’une autre époque.

    1. Ce sont les utilisateurs qui trancheront. Pour aller dans votre sens, jusqu’à présent le métavers, les NFT, et dans une certaine mesure les cryptomonnaies sont des échecs après une période d’engouement : peu de gens les utilisent. Après un emballement pour la nouveauté, ne demeure que ce qui est utile, les calculettes ou le téléphone portable par exemple.

  2. Article toujours aussi intéressant et qui explique très clairement ce qu est ChatLGTP explication très utile pour les personnes de ma génération !

  3. Merci beaucoup de cette information sur une nouvelle technique (et non technologie, étasunisme sournois) dont j’ignorais tout : j’admire votre constance à vous tenir au courant d’intéressantes innovations et de faire bénéficier vos lecteurs de votre travail.
    Je profite de cette occasion pour vous remercier également de votre article consacré à la soi-disant  » intelligence artificielle  » qui m’a permis de mettre de l’ordre dans mes idées à ce propos : là encore, vous adoptez une approche pragmatique en évitant et le rejet crispé de la nouveauté et l’emballement naïf pour toute innovation.

  4. comme 101 mots est recité, je redonne le lien vers ces Québécois https://datafranca.org/lancement/ super idée et super programme avec un riche menus en haut et à gauche…

    Perso, je reproche déjà à Google de ne pas assez expliciter ses choix et leur ordre de présentation, mais au moins il me me laisse le choix (qui lui rapporte mon temps d’attention) de parcourir les pages pour trouver les informations d’auteurs « solides » . Alors, recevoir une compilation secrète … Dans un article ou une thèse ou un livre, l’auteur cite ses sources . Que des incompétents ou ignorants se parent des plumes de ChapGPT et les autres, va valoriser les outils qui déconstruisent ces « synthèses ». Je suis prêt à payer pour!

  5. Oui. ChatGPT aura une utilité pour les textes répétitifs dans chaque domaine professionnel. En revanche, il faut craindre une logorrhée de mails ou de formulaires explicatifs, une dose d’abêtissement supplémentaire pour les jeunes générations qui se dispenseront de construire une phrase. La communication interpersonnelle en sera inévitablement impactée.

  6. Il n’est pas acquis qu’on doive aborder le sujet par les performances de la machine.
    C’est plutôt la réceptivité par les sujets humains qui est en cause.
    Je ne reviendrai pas sur l’accumulation administrative de textes obscurs , décourageants, et la réaction concomitante de l’abandon de la rigueur de la langue.
    Toute facilité est adoptée, en tout ou partie, tranchant souvent dans le vif de la connaissance au profit de la mollesse intellectuelle. GPT ne présente pas plus de dangers que l’adoption du globish, réputé plus concis. C’est le défaut d’exercice de l’esprit critique sur ces textes prédigérés qui peut tuer la faculté de résistance des hommes face à l’emploi sournois de formules dont l’autorité n’est plus que formelle.
    Copie : »Bien sûr, c’est toi qui lui a demandé de le dire » le GPT aurait-il mis le « s » relatif au sujet et non au complément indirect ? Sans « s » la phrase est vide de sens, à l’écrit. Alors, pour remonter au passé simple, il y a du chemin.
    Cela dit, votre article me paraît exagérément optimiste, mais le pire…..n’est pas certain.

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