L’Arabie prise dans le pétrin yéménite, une analyse politico-religieuse de la Turquie et de la Malaisie, et pour finir une pochette surprise à La Mecque.
Surprise : l’Arabie en guerre ! (suite)
Depuis notre dernière lettre, l’Arabie et ses alliés se sont contentés de bombarder le
Yémen, ce qui n’a pas semblé modifier le front terrestre, avec des insurgés toujours présents à Aden, tandis qu’Al Qaïda gagne du terrain dans l’est. Par contre, il y a eu de nombreuses victimes civiles, et nourriture et médicaments ne sont plus distribués.
L’Arabie dit arrêter les bombardements, qui continuent néanmoins, et déclare qu’elle
financera les secours aux civils. Elle veut renvoyer le problème aux diplomates, ce dont se
félicite l’Iran, accusé d’aider les rebelles houtis (une branche du chiisme). L’autre partie des rebelles rassemble des tribus du camp de l’ancien président Saleh, chassé par « le printemps yéménite ». Si on rajoute à ces deux armées celles du président élu, des séparatistes d’Aden et d’Al Qaïda, voici déjà cinq camps en guerre, et j’en oublie certainement.
Par ailleurs l’Arabie parle de s’allier militairement à la Turquie pour attaquer Bachar El
Assad. La Turquie est motivée, mais pas pressée, car les électeurs veulent la paix et le
président turc a besoin d’eux (voir ci-après). Certes l’Iran et la Russie soutiennent le régime
syrien, mais pas forcément Bachar.
Turquie : craquements à l’AKP
Au fil de ses succès électoraux personnels ou de son parti, l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi, Parti pour la justice et le développement), l’ex-premier ministre et maintenant président de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, semble de plus en plus islamiste et autocrate. Pour les uns, il l’avait toujours été en le cachant pour être accepté, pour les autres c’est le résultat d’une crise d’orgueil suite à un long séjour au pouvoir sans contradicteurs. Les deux peuvent d’ailleurs se cumuler.
Mais cette autocratie est non seulement dénoncée par les oppositions (dispersées entre
droite nationaliste, laïques, gülenistes et Kurdes …) mais commence aussi à peser dans son propre parti : Erdogan souhaite une révision constitutionnelle pour hériter des pouvoirs du premier ministre, et a besoin pour cela des deux tiers des députés. Il veut donc choisir lui même les candidats des législatives de juin. Mais c’est une prérogative du premier ministre. Ce dernier résistera-t-il au « grand chef » ?
Par ailleurs, cette majorité des deux tiers au parlement n’est pas garantie, car les
élections semblent libres et fiables et le vote kurde jouera un rôle important. A défaut de trucage, le président tente de contrôler l’information et emprisonne ou menace les opposants.
Mais d’où sort l’AKP ?
Vous savez que l’empire ottoman rassemblait des peuples très variés par leurs langues, leurs histoires et leurs religions, qui avaient une large autonomie juridique et culturelle. A partir du XIXe siècle, le caractère musulman de l’autorité était moins affirmé, mais l’empire restait archaïque par rapport à l’Europe occidentale devant laquelle il reculait.
Comme au Japon il y a donc eu une réaction à la fois nationaliste et moderniste pour copier le modèle occidental, celle des « jeunes Turcs », d’où l’arrivée au pouvoir d’Atatürk.
Ce nationalisme s’est concrétisé par « l’invention » de la Turquie en éliminant du territoire actuel les peuples à la fois non turcs et chrétiens (principalement Grecs et Arméniens) et en décrétant que les Kurdes étaient « des Turcs des montagnes », alors qu’il s’agit d’indo-européens proches des Iraniens (comme pour ces derniers, leur langue a une structure plus proche de celle du français que de l’arabe ou du turc)
Atatürk est bien connu en Europe pour ses réformes « laïques », mais un meilleur terme serait « occidentalisantes », avec les qualités et les défauts de l’Occident d’alors, et
notamment de la France (Atatürk était francophone et dévorait les écrits politiques français).
Cette « occidentalisation » fut symbolisée par l’adoption de l’alphabet latin en remplacement de l’alphabet arabe, pour couper les liens avec le monde arabo-musulman, et l’adoption du code civil suisse. Mais Atatürk était également étatiste, ce qui a eu l’inconvénient de lier, dans l’esprit d’une partie de la population, la laïcité aux entreprises d’État et à l’administration. Cet étatisme a par ailleurs bridé le développement économique turc qui a été médiocre pendant une grande partie du XXe siècle.
Les islamistes, au contraire promoteurs de l’entreprise privée, ont fait redémarrer le
développement, ce qui explique en partie leur succès électoral, et leur a donné l’image de
musulmans modernes. Ce succès vient aussi du sentiment religieux d’une grande partie de la population, entretenu par toutes sortes d’associations et de confréries, non islamistes, mais alliées à ces derniers dans l’opposition au régime semi militaire précédent.
Comme en Tunisie, en Égypte et en Iran, une fois les islamistes au pouvoir, une partie des musulmans réalisèrent leur erreur. Les deux premiers pays réussirent ensuite les écarter, mais pas le troisième. Je rajoute que les partis islamistes turcs ont dû, pour être officialisés, accepter la laïcité, qui est constitutionnelle. Il faudrait les deux tiers des députés pour le changer,… ce qui nous ramène au point précédent.
La Malaisie, une autre Turquie ?
On peut relever des points communs entre ces deux pays pourtant culturellement
éloignés : un développement économique honorable, des minorités « laïques » importantes et brimées et des craquements dans le parti au pouvoir.
La Malaisie a une nette majorité de Malais, unis par leur langue (voisine de celle de
l’Indonésie) et l’islam. Mais son développement vient d’abord des minorités indienne et
surtout chinoise, souvent chrétienne. Aujourd’hui, une partie des Malais ont rejoint les
minorités dans le « modernisme », tandis qu’une autre est devenue islamiste.
Or le parti majoritaire jouait sur deux tableaux :
– être multi-ethnique, pour sauvegarder l’unité nationale
– faire bénéficier les Malais d’une discrimination positive en tant que « fils du sol »,
car ils sont défavorisés (ruralité, moins bon niveau d’éducation …)
Au fil des décennies la contradiction entre ces deux objectifs s’est accentuée, les «modernistes » ont quitté le parti, ainsi que, pour des raisons opposées, les islamistes. Le parti dominant a certes gagné les dernières législatives (fraude ?), mais les prochaines se présentent mal pour lui. L’autoritarisme du vieux chef et les lois répressives qu’il fait voter commencent à rencontrer des oppositions à l’intérieur du parti.
Un sex-shop halal à la Mecque ?
C’est le projet d’un Marocain établi aux Pays-Bas, déjà propriétaire d’un sex-shop
halal en ligne, qui vient de fusionner avec un géant de l’érotique allemand, Beate Uhse, pour accéder au marché musulman mondial : « Nous allons diffuser nos 18 produits islamiques via Beate Uhse », qui, de son côté, souhaite « apprendre le marché érotique musulman ». Vu sur Bladi.net
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