Je reviens du Sénégal, où je suis allé discuter enseignement et langues. Le français y est langue officielle et la langue parlée dominante, surtout à Dakar, est le wolof. On y rencontre aussi l’arabe dont l’alphabet et quelques éléments de vocabulaire sont diffusés par les écoles coraniques, les Sénégalais étant musulmans à 95 %
L’islam est une composante importante de l’identité nationale, alors que l’État est laïque. Mais cet islam est de variante soufie et « maraboutique » structurée en confréries. Cette variante est attaquée de front (« ce n’est pas le véritable islam ») par les étudiants ayant bénéficié de bourses de l’Arabie pour étudier dans ce pays. A leur retour ils sont de plus en plus ressentis comme une menace. Pour l’instant les Africaines « foulardées» ou voilées sont très minoritaires. Ce type de vêtements est plutôt porté par des femmes « blanches » originaires du Moyen Orient.
Le décor urbain est en quasi-totalité en français. Il y a pratiquement rien en wolof , en arabe ou en anglais (à part quelques expressions publicitaires de Total ou Peugeot identiques à celles de France).
L’enseignement public, dit « école française, » est exclusivement en français. Comme ailleurs en Afrique, il est admis qu’un enseignement en langue maternelle en préscolaire ou début du primaire permettrait de diminuer considérablement l’échec scolaire et de faciliter l’apprentissage du français. Quelques expériences pilotes le confirment, comme dans les autres pays africains francophones, mais la généralisation en paraît impossible dans un avenir prévisible, notamment pour des questions de formation des instituteurs et de choix de la langue «maternelle ». Cette dernière n’est en effet pas toujours le wolof. Et pour ce dernier faut-il choisir sa version académique ou le « parler réel » plus ou moins mâtiné de français selon la classe sociale ? Ce problème est encore plus aigu dans les pays où il y a un plus grand nombre de langues « nationales » et où les populations sont plus mélangées.
Cette question est distincte de celle de l’abandon du français langue officielle au profit du wolof, souvent agitée sur Internet, mais dont mes interlocuteurs me disent qu’elle n’intéresse pas grand monde.
Le gros problème de l’enseignement sénégalais est celui des écoles coraniques dont l’objet principal est l’apprentissage par cœur du Coran. Une croyance populaire dit que les parents iront au paradis s’ils dirigent leurs enfants vers cet apprentissage. Ces écoles sont de niveau très varié, les pires apprenant surtout aux enfants à mendier pour payer l’enseignant, les meilleures donnant de bonnes notions d’arabe « et des principes moraux ». Les partisans de cet enseignement poussent à utiliser le wolofar, wolof transcrit en caractères arabes, puisque ces derniers ont été appris avec le Coran. Le problème est qu’il y a peu de textes en wolofar, mais des militants transcrivent des textes français pour les multiplier.
Les autorités essayent de convaincre les meilleures écoles coraniques d’accepter un assistant apprenant le français et le calcul aux enfants. Un autre compromis est d’envoyer les enfants à l’école coranique le soir, après la fin des cours à l’école publique. Cette dernière étant de toute façon de qualité insuffisante, l’enseignement privé francophone se développe, surtout dans les matières touchant la gestion des entreprises. En effet la population a réalisé depuis quelques années que l’administration n’embauchait plus et qu’il fallait donc se tourner vers le privé. C’est un phénomène touche toute l’Afrique et bien au-delà, en réaction à l’impossibilité financière de continuer à embaucher des fonctionnaires.
Yves Montenay
Dakar, août 2017
Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant. J’ai fait quelques séjours au Sénégal à des périodes différentes, entrecoupées par de longues interruptions. J’ai un aperçu un peu différent du vôtre, que je vous livre ci-dessous.
S’agissant de l’enseignement primaire, on a assisté à un développement important de l’enseignement privé. Beaucoup de parents, dans les classes moyennes et supérieures notamment, préfèrent envoyer leur enfant dans une école privé. On constate désormais des écoles qui mixent enseignement traditionnel (français et matières générales) et enseignement coranique : il n’est pas rare de voir des écoles « franco-musulmane » ou « franco-islamique » dans Dakar et sa banlieue. C’est cette évolution qui me semble notable ces dernières années.
S’agissant de l’Islam, il y a de plus en plus d’ « Ibadou », ces personnes (voilées pour les femmes) qui souhaitent vivre un Islam plus proche des texte et des origines, et donc plus rigoriste. Les Ibadou étaient rares il y a vingt ans, ils-elles sont frénquent-e-s aujourd’hui.
Avec deux évolutions contradictoires : certaines femmes portent le voile mais des vêtements occidentaux très modernes et parfois très moulants. Une amie me parlait de « fausses Ibadou ».
Cette même amie me disait que les vrai-e-s Ibadou, quant à eux – à elles -,s’inscrivent en faux vis-à-vis des confréries, et reprochent à ce type de pratique de dénaturer l’Islam, en mettant le Khalife de la confrérie (quasi) à l’égal du prophète. Ils y voient une remise en cause de l’unicité de Dieu, principe fondamental de l’Islam.
Je n’ai pas d’élément sur le nombre de leurs représentants, mais j’ai cru comprendre qu’il excédait largement le nombre d’étudiants boursiers allés en Arabie Saoudite.
Bien cordialement,
Pour l’enseignement primaire je confirme votre impression. Je n’ai tout simplement pas parlé de tout. Le passage au privé même pour des gens assez pauvres est un phénomène mondial.
Pour les « voiles » ma remarque (autant de blanches, pourtant assez rares, que de noires) vaut pour le Plateau et la Corniche et je veux bien croire que ce n’est pas la même chose partout. Une des raisons qui m’a été donnée est : « on se donne suffisamment de mal pour la coiffure, on va pas la cacher » (Sic !)
Quant aux intégristes et à leurs attaques des confréries, je suis d’accord avec vous qu’ils ont pris une certaine ampleur, ce qui n’est pas propre au Sénégal. Le retour des boursiers n’était qu’un exemple, mais l’enseignement reçu leur donne une certaine autorité.
Bonjour,
Je reviens également du Sénégal après une mission de 3 semaines. Président d’une association (Ecoliers du Sénégal) développant des écoles en brousse pour promouvoir l’enseignement primaire en zones rurales, je dispose d’une petite expérience basée sur des séjours annuels réguliers depuis plusieurs années.
Le C.I. (Cours d’initiation), situé entre la maternelle et le primaire permet d’enseigner le français avant l’entrée en CP. Extrait du site de l’Education Nationale au Sénégal : « L’inscription au cours d’initiation est obligatoire pour les enfants âgés de 6 ans révolus et de 5 ans révolus pour ceux ayant terminé le cycle préscolaire. » Toutes les écoles que nous soutenons en sont dotées. Ce cours est indispensable car la majorité des enfants parlent la langue de leur ethnie, le wolof ne constituant que 40% de la population. 22 ethnies sont dénombrées. Les Séréres sont majoritaires dans certaines zones côtières. Pour en avoir discuté avec des enfants Wolofs, Peulhs et Séréres, les dialectes sont totalement différents. Mais les enfants parviennent à se comprendre (Ce qui veut dire qu’ils sont déjà multilingues avant d’apprendre le français !). Le wolof n’est donc une langue maternelle que pour une petite moitié de la population mais comprise par tous. D’où l’importance du français, qui ne fera que s’accroître avec la nécessité d’accompagner le développement des échanges économiques avec le reste du monde. Tous les professionnels s’accordent à dire que le développement du préscolaire, la maternelle, est capital dans l’accès correct à la connaissance : les enfants, en brousse où vit la majeure partie de la population, sont très souvent livrés à eux mêmes, sans jouets, sans medias qui les ouvrent sur le monde, avec des parents rarement instruits, qui ne parlent pas français et ne peuvent apporter de ce fait aucune aide aux devoirs.
Quant au problème de la religion, nous nous trouvons dans un pays qui, je l’espère pour encore longtemps, est dans la tolérance. Très peu de filles voilées dans nos écoles. Les enfants musulmans qui le souhaitent, sans que cela leur soit imposé, vont assister aux cérémonies religieuses catholiques et apprendre les prières traditionnelles car ils aiment apprendre, être ensemble et que les parents ne sont pas dogmatisés. Les parents catholiques vont donner un coup de main aux musulmans pour retaper la mosquée quand c’est nécessaire. Par contre on se passerait bien des miracles de la technique qui équipent les mosquées avec des hauts parleurs tonitruants dès 5h du matin pour relayer la voix du muezzin. Et là, c’est encore une autre langue. Ils sont forts ces Sénégalais !
Merci pour toutes ces précisions !!!