Le temps professionnel : histoire, économie et politique

L’émergence historique du temps professionnel et ses conséquences économiques et politiques.
Communication d’Yves Montenay dans le cadre du colloque « Le temps : Approches pluridisciplinaires »
de l’Université Hassan II Mohammedia, à Casablanca, le 26 avril 2011

 

Il faut avoir du temps pour écrire sur le temps, mais ceux qui en vivent les contraintes n’en ont pas le temps !

Le temps est-il de l’argent ?

Quand j’étais jeune, j’ai découvert la formule « le temps c’est de l’argent » dans un de ces livres de vulgarisation à succès venus des États-Unis, et qui se veulent très pratiques. J’ai compris plus tard qu’ils jouaient un rôle important dans le cadre du « rêve américain » avec pour ambition d’aider les classes modestes des États-Unis à progresser dans la pyramide sociale ou, à défaut, à estimer que c’était possible, de manière à conserver le consensus qui fonde cet État.

J’ai trouvé cette formule étrange et ne l’ai pas comprise. Plus tard, lors de mes études secondaires et le début de mes études supérieures (mathématiques puis école Centrale de Paris), avant que je n’étudie l’économie, j’ai lu mille fois dans les manuels et dans la presse que c’était une formule barbare, déshumanisante, capitaliste etc. Les gens « vraiment civilisés » savaient prendre le temps de vivre, de réfléchir et de penser. Les références étaient mondiales : chinoises, gréco-romaines, méditerranéennes… Et venaient de philosophes, d’écrivains, de poètes  … tant religieux (écouter le créateur, méditer…) que profanes (profiter de la vie…).

Ensuite j’ai étudié l’économie à Sciences-Po tout en travaillant dans la journée. J’étais salarié dans une entreprise moyenne qui étudiait le rachat de PME, et me demandait pour cela de les analyser à fond. J’ai alors commencé à comprendre.

Plus tard encore, ayant des responsabilités opérationnelles en entreprise, j’ai compris que le non-respect de cette formule entraînait rapidement la faillite, c’est-à-dire la ruine et la honte pour les dirigeants et le chômage pour les salariés. Puis, comme universitaire, j’ai constaté que l’attitude des diverses civilisations face à cette notion de prix ou de coût du temps avait été très variable dans l’espace et dans … le temps. Je pouvais donc continuer le soir à en discuter philosophiquement, mais dans la journée j’y étais tout aussi soumis que le marin des bateaux à voile l’était au vent et aux courants : « être contre » semblait être de la poésie pure et rapidement mortel. J’ai compris également que tous ceux qui connaissaient la valeur financière du temps n’avaient … pas le temps de l’écrire, et que ceux qui savouraient le temps gratuit étaient protégés financièrement par des mécènes ou par la fonction publique, à part quelques héros ou quelques poètes maudits préférant vivre dans la précarité.

Ce qui suit va donc porter sur ce sujet. Je précise qu’il s’agit davantage d’un témoignage synthétisant une expérience professionnelle que du résultat d’une recherche universitaire.

Dans le monde professionnel, il y a d’abord le cas particulier mais important des financiers, et celui de la partie financière de toute activité économique, je veux parler de l’intérêt et de l’actualisation. Il y a ensuite toute la structuration du temps professionnel qui a généré, accompagné ou suivi le développement. Tout cela sera vu en tant qu’historien et économiste et non en poète ou philosophe, ce que je regrette pour le lecteur.

Le temps professionnel et la finance

La finance, qu’elle soit un métier propre comme la banque ou la bourse, ou qu’elle soit une partie de l’activité de toute entreprise est doublement concernée par le temps professionnel, qu’il soit structurant comme nous le verrons dans la deuxième partie ou qu’il soit sa « matière première » comme nous allons en parler maintenant.

L’éternelle question des taux d’intérêt

Aussi loin que l’on trouve des traces de l’écriture humaine, les professionnels facturent diverses formes d’intérêt lorsqu’il y a décalage dans les mouvements d’argent. Mais les religions, notamment catholique et musulmane, se sont opposées à ce qu’on fasse payer le temps « qui n’appartient qu’à Dieu ».

Le problème est que vendre un mouton au comptant dans un marché n’est pas la même chose que de le livrer dans trois mois à 1000 km. Même si le prix du mouton ne varie pas pendant ces trois mois, le mouton peut mourir ou être volé en route, l’acheteur peut ne pas payer et il sera compliqué de le forcer à le faire, tandis que le vendeur n’aura ni mouton ni argent pendant un temps assez long. Cet exemple a beau avoir 5000 ans, chacun de ses détails peut être développé jusqu’à ce qu’on y retrouve la finance actuelle avec ses marchés à terme et sa cotation des risques d’assurance, qui ont fait la joie ou le malheur des acteurs de la crise de 2008-2009.

Rappelons au passage que nos ancêtres ont dû alors résoudre un problème bêtement matériel : le message à l’acheteur situé 1000 km plus loin et à trois mois de marche. Pour cela, ils ont tout simplement inventé l’écriture. En effet, au Moyen-Orient, les premiers signes gravés sur l’argile, puis cuits, étaient des documents comptables valant reconnaissance de dette. Le comptable a été antérieur au poète !

Tout cela se ramène à la question du taux d’intérêt, comme l’avaient très bien senti nos ancêtres lointains soumis au temps professionnel. D’ailleurs ce qui est « pécuniaire », c’est-à-dire relatif à l’argent, vient du mot pecus, « bétail », comme l’illustre la tête d’un bœuf sur les monnaies romaines.

Il a donc bien fallu trouver des solutions à l’interdiction de l’intérêt, sauf à mourir de faim sur un tas d’or à 1000 km d’un berger ayant pourtant trop de moutons. Je ne vais pas vous décrire les arcanes de la finance islamique et la façon dont elle contourne le problème, qui ressemble d’ailleurs à d’autres solutions rencontrées dans ma vie industrielle indépendamment de toute religion. Je me bornerai aux conséquences géopolitiques en disant que cette question a été sous-traitée à des croyants de religions différentes, par exemple les Juifs en Europe et au Moyen-Orient, ou plus tard aux protestants. Cette spécialisation dans des métiers religieusement incorrects, couplée à la méfiance envers tout étranger, surtout s’il a une langue et des habitudes « bizarres », a entraîné toutes sortes de conséquences humaines et politiques dont certaines sont encore sensibles aujourd’hui

L’usage général de l’actualisation

Le fait que le décalage dans le temps soit un facteur important dépasse très largement les professions financières. Par exemple si on veut choisir entre un barrage hydroélectrique et une centrale brûlant du pétrole, il faut tenir compte du fait que l’investissement nécessaire pour construire le barrage sera à trouver immédiatement, et qu’ensuite le courant sera presque gratuit, et comparer avec une centrale thermique qui coûtera moins cher à construire, mais dont il faudra par contre payer le pétrole. La comparaison directe est impossible et il faut passer par des techniques d’actualisation, que je ne vais pas développer ici sauf pour signaler qu’elles utilisent les taux d’intérêt. Dans tous les métiers où l’on doit investir, on utilise donc le prix du temps professionnel pour prendre les moins mauvaises décisions possibles.

Mais ce ne sont pas les seuls exemples concernés par le rôle et l’importance du temps. La vie économique en est imprégnée, car la notion de temps professionnel est à la fois une des origines et une des conséquences du développement. Cela se répercute sur toutes les professions et sur tous les États et explique notamment des décalages de puissance économique et militaire.

Prenons comme angle d’attaque le processus du développement économique.

Le temps professionnel et le développement

Rappelons d’abord brièvement la notion de développement dans ce contexte

Qu’est-ce que le développement ?

C’est le fait que chaque personne dispose de davantage de biens et de services, donc que chaque producteur (au sens large, y compris les producteurs de savoir que sont les enseignants et les chercheurs) puisse en fournir davantage. Et cela dans un temps donné, mettons 8 heures par jour, 280 jours par an et pendant 40-45 ans, pour prendre des ordres de grandeur assez répandus « au Nord ». Cette enveloppe est relativement fixe pour des raisons sociales et même physiques, et a d’ailleurs décru depuis environ 200 ans dans les pays développés. Donc non seulement chaque producteur a fourni davantage, mais il l’a fait en moins de temps. Ce processus est classiquement résumé par la formule « augmentation de la productivité horaire », ce dernier mot étant là pour rappeler de ramener la production à un temps donné.

Ce processus a deux faces. La première, malheureusement peu connue du grand public, est de déterminer le pouvoir d’achat. La deuxième est l’organisation scientifique du travail, avec, par exemple, la décomposition fordiste en fractions de quelques secondes des gestes des ouvriers, le salaire étant une autre façon de mesurer le coût du temps.

On voit donc l’importance de la gestion du temps dans la réalisation du développement. Il a donc fallu inventer des instruments pour la maitriser.

Les instruments de gestion du temps

Il y a toujours eu une attention des producteurs à leur temps professionnel, à commencer par celui des agriculteurs pour le rythme des saisons (merci au collègue marocain qui vient de me montrer des rémanences du calendrier romain en zone musulmane, du fait de sa meilleure adéquation aux rythmes naturels).

Je passe sur l’évolution des outils individuels, pendule ou montre par exemple, pour passer à ceux de la gestion systématique du temps collectif, donc au moment de la révolution industrielle (par opposition à la vie agricole, où le même cycle naturel est certes suivi par tous, mais en général individuellement). Ces outils de gestion du temps collectif sont très simples et n’ont donc pas fait à ma connaissance l’objet de travaux universitaires pointus. Le plus basique est tout simplement le tableau de planning des grandes organisations, qui se serait répandu à partir des Etats-Unis dans le courant du XIXe siècle. Donc une invention très simple et ayant eu cependant d’immenses conséquences économiques et organisationnelles, donc politiques car ayant contribué à la puissance de l’État où elle est née.

De même nature est « l’emploi du temps » dont les établissements d’enseignement connaissent la difficulté, pourtant infiniment moins grande que dans les établissements industriels. Avant l’arrivée des ordinateurs on constatait nombre de salles vides et de matériels inutilisés, pendant qu’une partie des opérateurs attendaient que d’autres se libèrent.

Cette optimisation des emplois du temps est l’ancêtre du « chemin critique ». Il s’agit dans les chantiers complexes, et ils le sont de plus en plus, de faire en sorte qu’aucun retard de livraison ne bloque le chantier, mais qu’aucun matériel ne reste inutilisé ou ne soit livré trop tôt, ce qui est bien sûr contradictoire. Je passe sur les techniques d’optimisation de cette question, qui ont largement contribué à diminuer le coût des grands chantiers (Bouygues a été un précurseur mondial dans ce domaine) et a permis par exemple à tel pays d’avoir davantage d’autoroute ou de TGV pour un budget donné, et les réaliser plus rapidement.

 

Voyons maintenant rapidement quelques illustrations du temps professionnel dans des domaines très variés

Lecture rapide et littérature

Un grand nombre de métiers modernes, le mien pour commencer, supposent de parcourir ou de lire attentivement une masse considérable d’informations sur papier ou sur écran. C’est à l’opposé de la lecture savoureuse de la littérature et de la poésie. Une technique apparaît spontanément ou par apprentissage : la lecture rapide. L’œil sélectionne un mot ou deux par paragraphe ; si le cerveau estime que l’information est connue, l’œil passe au paragraphe suivant, sinon il sélectionne un ou deux mots supplémentaires et recommence. Le processus peut aller jusqu’à la lecture attentive du paragraphe, par exemple si le passage devient juridique. C’est assez efficace, mais il ne faut pas que ça devienne un réflexe permanent, sous peine de perdre le contact avec le culturel.

A l’assaut du millionième de seconde

Le profane n’a qu’une idée très réduite de la masse de données brassées par un ordinateur. Rappelons seulement qu’un point d’une image sur un écran nécessite ses coordonnées (deux nombres, plus tous les messages de raccordement au reste de l’ordinateur : la fenêtre, le logiciel etc.) et des nombres définissant l’intensité de la lumière et sa couleur. Or un nombre, pour être compréhensible par un ordinateur qui ne peut manipuler que les zéros et uns (le courant passe ou ne passe pas), doit comprendre de très nombreux caractères. Et il y a des dizaines de milliers de points par image, et 24 images par seconde s’il y a un mouvement. Donc pour que l’ordinateur réagisse en une seconde, il faut qu’il traite des millions de caractères pendant cette seconde, donc que l’on mette au point des appareils travaillant au millionième de seconde. C’est pourtant un temps professionnel comme un autre puisque l’ordinateur fait une partie de notre travail.

Dans un domaine voisin, je citerai la mésaventure de la bourse de Paris, associée minoritaire de la bourse de New York, et dont les Américains ont décidé de déménager de Paris à la banlieue de Londres le centre informatique pour gagner quelques millisecondes dans la passation des ordres.

Napoléon, la Libye…

Dans la mesure où diriger militairement en France est une « profession », signalons la grande maîtrise du temps par Napoléon, avec notamment l’époustouflante campagne d’Austerlitz, une sorte de « chemin critique » (voir plus haut) sans ordinateur : la coordination d’une demi-douzaine d’armées dans toute l’Europe, avec tout ce que ça implique sur le plan logistique : des messagers à faire partir à cheval dans tous les sens, les dizaines de milliers de chaussures à produire et à stocker à l’arrivée des futures étapes, le tout pour que chaque homme soit là où il faut (et où l’ennemi ne l’attend pas) le jour qu’il faut ! Bien sûr, Berthier, son chef d’état-major a tout le mérite de l’exécution. Les retards catastrophiques de la journée de Waterloo, où il était absent, montrent bien que la conception pure ne suffit pas et que la gestion du temps doit descendre dans le détail.

On peut aussi évoquer, dans un contexte technique totalement différent, la décision éclair de Nicolas Sarkozy de détruire les chars libyens en train de prendre Benghazi, et donc le fonctionnement rapide de la chaîne logistique de l’armée française (probablement, cette fois, avec une centaine d’ordinateurs !). Rapidité qui a contrasté avec la relative lenteur de l’OTAN quelques jours après. Mais il est bien connu qu’une coalition est moins efficace qu’un acteur indépendant : voir de nouveau la campagne d’Austerlitz, mais du côté de la coalition austro-russe.

Deux exemples vécus : l’Espagne et l’Arabie

J’ai travaillé en Espagne en 1970 puis 1986, et en Arabie Saoudite en 1976.

L’Espagne de 1970 était un pays pauvre et sous-développé, sauf pour ce qui concerne la scolarisation. Le fossé Nord-Sud passait par les Pyrénées. On y observait toutes les caractéristiques « pittoresques » classiques du sous-développement : double comptabilité, importance de l’argent liquide, fraudes sur les achats, tricheries lors des appels d’offres … Et aucun respect de l’emploi du temps avec des retards imprévisibles, très gênants pour les investisseurs « du Nord » qui ne se bousculaient donc pas pour investir.

En 1986 c’était un pays émergent. Le fossé Nord-Sud passait par Gibraltar, avec toutefois des poches de pauvreté en Andalousie. Les caractéristiques « pittoresques » avaient disparu, on arrivait à l’heure, les investissements du Nord étaient nombreux, apportaient des emplois et des cadres qui entretenaient le mode de travail occidental.

En 1976, l’Arabie Saoudite était profondément sous-développée. L’argent du pétrole coulait à flot, particulièrement depuis le choc pétrolier de 1973-1974. Le pays était incapable de produire quoi que ce soit, et achetait tout à l’étranger. Les fournisseurs se précipitaient. Un mercredi, représentant mon entreprise, j’étais dans la salle d’attente d’un prince aux côtés de nombreux autres candidats fournisseurs dont un groupe de Japonais. L’heure du rendez-vous n’était pas précisée. À deux heures du matin, après 14 heures d’attente, on nous dit : « Les audiences sont terminées, revenez mercredi prochain ». Les Japonais pâlirent : « Nos visas expirent demain, nous avions décollent dans quelques heures et nous avons cinq rendez-vous à Tokyo après-demain »…
À ma connaissance, l’Arabie s’est peu développée depuis et tout ce qu’elle consomme, sauf le pétrole, est importé ou fabriqué en place par de la main-d’œuvre étrangère.

L’Espagne de 1970, pauvre et sans pétrole a été obligée d’évoluer, pas l’Arabie.

Mais il n’y a pas qu’en Arabie que les professions traditionnelles gardent leur gestion du temps d’avant le développement : dans un Occident censé être efficace, on perd des heures dans les salles d’attente des coiffeurs, médecins, notaires etc. !

 

Cette importance du temps professionnel a encore été accentuée par la mondialisation.

La mondialisation du temps

La mondialisation a accentué la pression du « temps professionnel » sur les autres « temps », ce qui a été accessoirement illustré par « l’occidentalisation » des calendriers et des horaires au détriment des rythmes traditionnels.

Le temps professionnel envahit la famille

Obligation financière d’avoir deux salaires, et désir de sortir de chez soi, le temps professionnel s’impose de plus en plus aux femmes. Lorsque les femmes restent à la maison, la famille est déclassée par rapport à son environnement (cf. les Pakistanais de Grande-Bretagne, où, contrairement à la France, nous avons des statistiques de revenu par groupe ethnique). Certes les femmes ont toujours beaucoup travaillé, que ce soit dans un commerce ou à la maison, mais leur temps était moins réglé qu’à l’usine ou au bureau.

Les conséquences du travail salarié féminin sur le développement sont considérables. Non seulement l’augmentation du revenu familial va permettre toutes sortes de nouvelles consommations et donc de nouveaux emplois, mais la vie de la mère de famille va être transformée matériellement par la disparition des tâches les plus pénibles, et intellectuellement par les nouveaux horizons qu’elle voit s’ouvrir, ce qui, par ailleurs, va valoriser les efforts de scolarisation et de formation. Enfin, les enfants des mères qui travaillent sont mieux préparés aux études et à la vie professionnelle : c’est ce que j’appelle « le développement féminin» dans mes travaux sur le Maghreb.

Dans le domaine démographique le travail salarié féminin a une incidence directe sur la fécondité : les ouvrières de Casablanca, même analphabètes, on eu très tôt une fécondité aussi basse que celle des femmes scolarisées.

Le télétravail

Travailler chez soi ou en voyage est maintenant fréquent dans certaines professions, même si ce n’est pas allé aussi loin qu’on l’imaginait il y a quelques années. C’est un phénomène ambivalent : d’un côté, on se libère partiellement des horaires et des déplacements contraignants, de l’autre les responsabilités professionnelles vous poursuivent à domicile.

Calendriers, temps identitaires …

La mondialisation a amené de nombreux peuples à découvrir le temps occidental, ses calendriers et sa pression continue. Ce temps occidental a parfois remplacé le temps local (très varié selon les zones culturelles), ou a coexisté avec lui, s’agissant par exemple du temps religieux en terre d’islam. Comme il y a d’autres communications sur ce dernier sujet, je me bornerai ici à évoquer la diffusion mondiale du calendrier grégorien et celle du repos les samedis et dimanches, qui a pu poser des problèmes identitaires : adoptée sans problème par le Maroc et la Tunisie, elle a été rejetée par l’Algérie. Mais cette dernière s’est trouvée coupée de son environnement économique, et vient d’adopter un compromis avec un « week-end » les vendredis et samedis.

Cette diffusion du calendrier professionnel occidental me paraît particulièrement symbolisée par la création de « la ligne de changement de date » qui traverse le Pacifique pour ne pas trop perturber la vie économique : pour que l’on puisse travailler plus simplement de Tokyo à Los Angeles en passant par Paris, Londres et New York, il a été décidé qu’un habitant d’une île du Pacifique changerait de date en rendant visite à son voisin !

Le mot de la linguiste

En pensant aux collègues présents qui sont impliqués dans le domaine des langues et peuvent s’inquiéter de la pression du temps professionnel et mondialisé, je signale la réflexion ci-après :

« La mondialisation va avoir des répercussions énormes sur des habitants qui ont des rythmes temporels, historiques, biologiques et culturels fondamentalement différents.

Pour la première fois dans l’histoire, tout ce qui jadis pouvait prendre des siècles à s’opérer et à s’installer dans les mœurs, s’effectue, se concrétise et s’installe aujourd’hui en l’espace d’une génération, dans certains cas beaucoup plus rapidement, et bien souvent ne dure pas. Les langues aussi se retrouvent au sein de ce tourbillon de vitesse et d’immédiateté, elles sont touchées de plein fouet dans leur phonétique, leur lexique, parfois leur syntaxe ; les échanges internationaux les contraignent à assimiler rapidement une nouvelle terminologie. » [1]  

Conclusion

Finalement, le temps est-il de l’argent ? Professionnellement oui, car s’il n’a pas de prix, il a indubitablement un coût. Il ne faut cependant pas oublier que la réflexion a aussi son prix et la précipitation, son coût.

Mais le temps n’est pas seulement professionnel : c’est aussi la vie. Il y a un temps pour chaque chose, et chaque chose doit avoir son temps.

 

[1] Astrid GUILLAUME, États généraux du français en Francophonie – XIIIe Sommet de la Francophonie Langue, économie et mondialisation Cadrage géopolitique de la mondialisation : la dimension linguistique

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