Mise à jour du 27 mai 2022 : retombant par hasard sur cet article de 2015, je vous partage mes réflexions sur ce qui s’est passé depuis sept ans en Algérie.
Contrairement à la situation de 2015, le prix du pétrole est maintenant au plus haut, ce qui a rendu le régime plus solide, alors que l’on voyait venir la banqueroute assez rapidement. En attaquant l’Ukraine, Vladimir Poutine a sauvé économiquement son allié algérien.
Surtout, l’Algérie a connu le « Hirak », une série d‘impressionnantes manifestations qui ont fini par entraîner le départ du président Bouteflika.
Mais « le système » a fini par étouffer le mouvement et même à reprendre le contrôle total du pays qui lui avait en partie échappé au profit du « clan Bouteflika ».
Le gouvernement algérien a orchestré une reprise du sentiment antifrançais, malgré les efforts du président Macron, et y a ajouté une vive tension contre le Maroc.
Bref, comme dans beaucoup d’autres pays, on essaie de faire oublier les problèmes intérieurs en se focalisant sur des ennemis extérieurs.
Maintenant, retournons en 2015.
Nous vous proposons une formule d’été en images, cette fois sur l’Algérie, pour illustrer quelques-uns des multiples contrastes de ce paysÀ Notre-Dame d’Afrique, Alger
Concert exceptionnel du chanteur arabo-andalou Farid Khodja à la Basilique Notre Dame-d’Afrique d’Alger le 5 juillet 2015.
«Chanter de l’arabo-andalou dans cette basilique nous réconcilie avec nous-mêmes et nous réconcilie avec les autres religions. Nous vivons dans un monde où l’intolérance est reine. On veut qu’à travers la musique, on arrive à apaiser les esprits et installer un dialogue». A déclaré le chanteur après son spectacle, qui a imaginé ce projet lors d’un déjeuner avec Mgr Teissier. (El Watan du 7 juillet)
«La musique arabo-andalouse appartient au monde arabe et vient aussi de l’Espagne. Là, où pendant longtemps, chrétiens et musulmans ont su vivre ensemble en harmonie et en toute convivialité. Cette musique a un sens particulier donc» Le Père Aldo dans Missionnaire d’Afrique
NDLR : Il renouvellera l’expérience en se produisant à nouveau en concert à la Basilique Notre Dame-d’Afrique d’Alger en 2017 et en voici la vidéo :
Pendant que dans un quartier voisin
J’avais inséré ici le Dessin du jour El Watan du 7 juillet 2015. Cette caricature amusante n’est malheureusement plus accessible sur leur site. Je laisse néanmoins le commentaire qui l’accompagnait.
Les mauvaises nouvelles s’amoncellent sur le front du pétrole et exacerbent ainsi les craintes quant aux lourdes répercussions de la chute continue des prix du pétrole sur l’économie algérienne. Et pourtant, à part le fauteuil roulant du président, beaucoup d’Algériens ont l’impression d’un grand vide au sommet de l’État.
Rénovation de la place du 1er novembre (ex-place d’Armes) d’Oran
Oran a longtemps été une ville espagnole, puis à grande majorité pied-noir (dont beaucoup de descendants d’Espagnols). C’est notamment le décor du livre de Camus « La peste ». En 1962, le massacre de plusieurs milliers d’Européens a accéléré les départs vers la France, mais l’architecture est toujours là.
Et la ville garde une personnalité distincte du reste du pays, notamment avec son journal La Liberté,
Connaissez-vous le Mzab ?
Saviez-vous que la Vallée du Mzab, ensemble d’oasis située à 600 km au sud d’Alger, au cœur du désert saharien, est mondialement connue pour son architecture et son système d’irrigation millénaire modernisé par les Français ? L’Unesco l’a promue « Patrimoine de l’humanité » et la vidéo qui suit vous permettra de comprendre pourquoi :
Le Mzab était depuis Xè siècle le refuge des ibadites berbérophones fuyant la future Algérie pour se réfugier en plein Sahara. Voici une vue de la ville de Ghardaïa, une des 7 villes du Mzab, et de son oasis :
Une précision pour les non géographes : les cartes semblent montrer que le Mzab est au cœur de l’Algérie.
En fait la quasi-totalité de la population de ce pays est très loin au nord. Nous sommes au Sahara et le rattachement tant du Mzab que des Touaregs, Berbères eux aussi, plus au sud, est un hasard de l’histoire coloniale : les frontières de l’Algérie, pays inventé par les Français, ont été tracées par ces derniers et englobent des peuples totalement étrangers aux populations de la côte méditerranéenne loin au nord. Mais, parce que les Africains tiennent au principe du maintien des frontières coloniales, et aussi parce que c’est là que se trouve le pétrole, les Algériens se sont persuadés que le Sahara est algérien… Je ne vais pas plus loin pour ne pas froisser mes amis de ce pays.
La fin du paradis : le Mzab à feu et à sang
Depuis l’indépendance, tout Algérien peut s’installer où il veut, et ce petit paradis a subi une forte immigration extérieure aux oasis, donc sunnite, arabophone et même particulièrement « arabe », puisqu’il s’agit souvent de Chaambas, se proclamant descendants de tribus arabes d’Égypte, tels les Bénis Hillal, qui ont ravagé le Maghreb pendant trois siècles. Résultat : ce refuge des Ibadites berbérophones s’est transformé en champ clos pour la possession des terres, des logements et des postes.
Chez les Mzabites, il se dit, à tort ou à raison, que le pouvoir a favorisé « les Arabes ». Bref les deux communautés s’affrontent depuis les années 1970, avec une recrudescence depuis deux ans, entraînant des destructions et des victimes. Et bien sûr, quelques « barbus » originaires du Moyen-Orient ou financés par lui ont mis de l’huile sur le feu. Le pouvoir a tardivement envoyé la troupe mais cela ne résout pas le fond de la question.
Pour le reste de l’Algérie, c’est une illustration de l’incapacité du régime actuel à exercer sa mission de base de protection de l’ordre public. Ou, pire, de son indifférence envers ses propres citoyens.
Pour plus de détails sur ces troubles, citons un article algérien publié par Le Libre Penseur: Le Mzab à feu à sang parmi de nombreux autres (Google : violences au Mzab) et un excellent article de Mustapha Sehimi dans l’Economiste (journal marocain), pour une vision de l’extérieur.
Yves Montenay
Echos du Monde Musulman n°263 – 26 juillet 2015