En janvier 2014, en pleine période de sinolâtrie, j’avais écrit pour les Échos « Quand la Chine s’effondrera ». Je rappelais alors les grands principes du développement économique et expliquais que si la Chine en respectait quelques-uns, c’était provisoire et s’arrêterait bientôt pour des raisons structurelles, démographiques et politiques.
Elle restera néanmoins intéressante pour les Français. Une comparaison avec le Japon est instructive.
Depuis, cette sinolâtrie s’est dissipée, au vu de « mauvaises » statistiques, (voir Chine, les statistiques cachaient le crash). Mais les analyses manquent pour la plupart d’aborder les questions qualitatives de long terme pourtant essentielles.
Dans ce contexte, Les Echos du 7 avril 2016 publient un article d’un conseil en investissement dans ce grand pays, qui se veut résolument optimiste, parlant même d’une « aubaine pour les entreprises françaises »: « En Chine, de nouvelles opportunités pour nos entreprises« . Pour cela, l’auteur commence par nier (à tort) les faiblesses du pays, pour en déduire (cette fois peut-être à raison) que c’est le moment pour les Français de s’y implanter.
Revenons sur ces deux points.
La crise chinoise est une affaire de long terme…
D’après cet article, la critique de l’économie chinoise serait « changeante, inconsistante, court-termiste ». J’ai rappelé au contraire qu’il s’agissait d’un raisonnement à long terme : d’une part, il y a les questions de démographie, avec la pénurie de jeunes adultes, puis d’adultes tout court, et d’autre part, il ne s’agit pas d’une réelle économie de marché, comme l’illustrent les énormes gâchis des surcapacités industrielles et immobilières.
Quant au caractère polluant de l’économie, une de ses causes est le manque de démocratie : pas de transparence, pas d’élections des responsables locaux, donc la tentation de ne pas tenir compte de l’environnement, voire de penser que l’on pourra toujours « s’arranger » en cas de problème. Certes la pression populaire est telle que la direction nationale est maintenant consciente du péril, mais elle semble manquer de moyens d’action sur les échelons intermédiaires.
À court terme, la pollution augmente le PNB (indicateur « brut »), puisque l’on a construit ce qu’on n’aurait pas dû construire ; à moyen terme un indicateur « net » sera en forte baisse, puisqu’il faudra bien déclasser une partie de ces investissements.
Depuis mon article, la baisse des prix du pétrole permet à la Chine de gagner du temps. Mais, la crispation dictatoriale du grand Xi (voir The Economist et bien d’autres) va freiner la mise en place de l’économie de marché, pourtant déclarée objectif officiel, détourner des vrais problèmes et freiner le nécessaire bouillonnement des idées.
En effet il s’agit maintenant de gagner en efficacité à personnel constant, alors que la partie « facile » du développement chinois bute sur ses limites physiques : il n’y a plus beaucoup de jeunes quittant la campagne, où ils avaient une productivité marginale quasi nulle, pour passer à une productivité industrielle normale. L’exode rural et la règle de l’enfant unique sont passés par là.
Les arguments en faveur d’une « mutation planifiée, assumée, voulue » par le gouvernement chinois me semblent incantatoires : a-t-on vu quelque part un gouvernement ayant effectivement piloté l’économie avec des manettes, a fortiori sans s’appuyer sur le marché ? Pensons aux mésaventures de l’URSS, de l’Algérie et de bien d’autres gouvernements « volontaristes ». Cette mutation se fera d’elle-même, à condition de vraiment passer à l’économie de marché et de cesser de détourner les ressources des entreprises indépendantes pour soutenir les grandes entreprises d’État ayant de solide relais au sommet.
Le fait que la consommation intérieure ne représente que 36 % du PNB chinois, signalé comme un point positif – car ne pouvant que croître ? – nous semble au contraire être une illustration de la catastrophe : il faut comprendre que les Chinois ne peuvent consommer qu’un tiers de ce qu’ils produisent, ce qui donne la mesure du gâchis !
Vers une évolution à la japonaise ?
Côté positif, je rejoins l’auteur sur le fait que les besoins en compétences françaises sont réels et le demeureront même dans le cas d’un effondrement. L’article cite les services publics, dont le traitement de l’eau, la distribution des biens courants dont la nourriture (comprendre : distribution « moderne et fiable » pour sortir des dangers sanitaires actuels) et bien d’autres secteurs.
En particulier l’effondrement écologique a poussé les autorités centrales (et non les pouvoirs locaux, voir plus haut) à multiplier les sources d’énergie moins polluantes, y compris les centrales modernes au charbon. Il y a là de gigantesques marchés dans lesquels peuvent se glisser des entreprises de taille moyenne.
Je rajoute qu’en cas de crise profonde, les implantations françaises seraient peut-être moins difficiles que dans un passé récent, en pensant à l’évolution japonaise. Plus généralement de nombreux points de l’évolution chinoise rappellent celles du Japon, en accéléré, comme toutes les évolutions contemporaines.
Vous vous souvenez que, comme en Chine, la modernisation a commencé le jour de l’ouverture (le Meiji), puis a progressé en invitant les industriels du monde entier à venir y construire des usines … et en les imitant dans le plus grand mépris de la propriété industrielle. Puis la croissance rapide a généré une phase d’orgueil, dont la guerre aux États-Unis a été l’une des manifestations. Cela jusqu’au moment où le vieillissement démographique combiné à la fin de la « croissance facile », a mené le Japon à une coopération fiable et équilibrée avec l’étranger.
Ce dernier point a été vérifié sur place par un proche lorsque les dettes accumulées par les grandes entreprises (autre parallèle avec la Chine d’aujourd’hui) a fait apparaître certains Occidentaux – en l’occurrence AXA, mais on peut penser à d’autres – comme des sauveurs.
L’analogie avec la Chine est ainsi frappante, avec comme différence que le système économique et politique plus libre du Japon lui a permis de se stabiliser à un niveau élevé après rattrapage, alors qu’en Chine…
C’est dans les remous que les meilleurs capitaines font la différence
Bref, les affaires n’ont jamais été un long fleuve tranquille, en Chine comme ailleurs, mais cela n’a jamais découragé les hardis capitaines. Il ne faut pas leur dire que la mer sera d’huile !