Chasser l’EI est-il vraiment une victoire ?

L’Etat Islamique s’affaiblit, mais ça ne résout rien. Poutine a la gloire qu’il cherchait, mais doit maintenant gérer aussi le Caucase. En prime, des échos d’Arabie et d’Algérie.

La situation militaire

Alors que les forces pro-gouvernementales ont repris Palmyre et Al-Karyataïn à l’EI, l’Armée libre syrienne (ASL) progresse au nord d’Alep avec le soutien des Etats-Unis et de la Turquie, où elle a conquis en trois semaines dix-huit villages. Les rebelles comprennent un groupe de Turkmènes appuyés par Ankara, la légion Cham, affiliée aux Frères musulmans et la brigade Moutassem, nouvelle protégée des Etats-Unis. « Nouvelle », car après un échec de leurs premiers protégés qui avaient cédé les armes américaines aux islamistes, les États-Unis ont appuyé l’YPG, la milice kurde autonomiste syrienne, ce qui a permis à une coalition kurdo-arabe de progresser, au grand mécontentement des Turcs. Pour ménager ces derniers, Washington a fait une nouvelle tentative de soutien à un groupe de l’ASL.

carte AFP
carte AFP

Dans le sud de la Syrie deux groupes de l’ASL se sont « réveillés » et ont également attaqué l’EI. On peut imaginer qu’il a fallu des arguments concrets (armes, argent…) et qui ne venaient pas des Russes.  Ces derniers sont-ils vraiment partis ?
En tout cas ils continuent à aider Bachar à tenter de reprendre Alep, quitte à tuer les derniers civils de la partie rebelle, ce que l’ONU qualifie de « crime de guerre » … et permet à Poutine d’avoir « la gloire » de se voir supplier par les Américains arrêter le massacre.

Mais est-ce vraiment une victoire ?

Pour pouvoir parler de victoire, il faudrait que la question du «  ensuite, qui ?  » soit réglée. Le cas de la Lybie l’illustre dramatiquement. On ne peut certes que se réjouir du fait que Palmyre ne soit plus sous la coupe de l’EI. Mais après ? Quand l’EI a pris cette ville, non seulement il a détruit ou vendu une partie du patrimoine archéologique et décapité son directeur, mais il a exécuté aussi les partisans de Bachar et leurs familles, dont l’armée vient de découvrir les corps. Qui connait les racines tribales de cette armée et les habitudes de la police politique du régime, sait que les représailles vont être terribles – ce qui est considéré comme « normal » dans ce pays – mais surtout aveugles et vont donc déclencher des désirs de revanche. Tout ou partie de la population de la ville s’est d’ailleurs sauvée avant l’arrivée des gouvernementaux.

Problème analogue en Irak : la population sunnite (les fameuses « tribus » qui avaient chassé Al Qaida avec l’aide américaine) supportent de plus en plus mal l’EI. Mais elles ne se révolteront pas massivement tant qu’elles penseront que leur « libération » sera pire que le mal. En effet le gouvernement irakien, et son armée éventuellement libératrice, sont des chiites encadrés par des Iraniens, qui se souviennent des massacres de chiites perpétrés par les sunnites de Saddam. Non seulement ces chiites pourraient se livrer à des représailles dans les zones libérées, mais encore ils hésitent à armer « les tribus » de crainte qu’après avoir chassé l’EI, elles ne résistent grâce à ces armes au pouvoir de Bagdad.

Et il n’y a pas que la coupure chiites/sunnites. Les jeunes sunnites considèrent  leurs élites réfugiées à Bagdad comme corrompues. Pour eux, ce sont des gens vivant à l’abri en train de faire des affaires, tandis qu’eux souffrent. Ce n’est pas très motivant pour essayer de renverser l’EI à leur appel.

Si cette question de « l’après EI » n’est pas claire pour les sunnites, soit ils ne coopéreront pas à son élimination, soit ils se révolteront une fois de plus sous une autre forme après «la libération».

Alors ? On peut imaginer beaucoup de choses. Par exemple que les Russes réalisent que la situation est insoluble tant qu’Assad reste. Il pourrait alors y avoir une surprise. Un coup d’Etat, ou autre chose… d’autant que les Russes ont des difficultés ailleurs, et notamment au Caucase.

Les soucis russes dans le Caucase : Daghestan, Arménie, Azerbaïdjan

La république autonome  musulmane du Daghestan, membre de la fédération de Russie, a fourni le plus gros contingent de candidats russophones au djihad et Moscou peine à en garder le contrôle.

Au sud du Daghestan, le président turc a utilisé l’imbroglio du Haut-Karabagh pour soutenir « ses frères turcs » azerbaïdjanais et « se venger » de Poutine. Cette région appartient juridiquement à l’Azerbaïdjan mais est peuplée d’Arméniens. Ces derniers ont proclamé leur rattachement à l’Arménie qui les soutient, et a réussi à en chasser l’armée azerbaïdjanaise. En représailles l’Azerbaïdjan a expulsé sa très nombreuse communauté arménienne (peut-être 1,5 millions de personnes). Poutine soutient les Arméniens, chrétiens orthodoxes, mais ne voudrait pas perdre son influence en Azerbaïdjan, anciennement en URSS lui aussi et producteur de pétrole, en prenant trop nettement parti.

La police religieuse en Arabie

Je veux parler du  » Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice », la Moutawa, qui vient de voir son pouvoir considérablement diminué. Elle continuera à vérifier que les magasins ferment pendant la prière, que la ségrégation des sexes est respectée dans les restaurants et que les Saoudiennes portent le voile et le long manteau noir réglementaire. Mais leur rôle se bornera à signaler les suspects à la police civile. Le communiqué du gouvernement précise qu’ils devront accomplir leur mission de façon  » courtoise et humaine «  et porter un badge mentionnant leurs nom, horaires de travail et juridiction, de manière à éviter les excès de zèle.

Pour beaucoup de Saoudiens, il faut qu’elle devienne une police civile : « La Moutawa ferait bien mieux de surveiller les routes. Nous avons l’un des taux d’accidents les plus élevés au monde. »

Les universités algériennes sont loin des normes internationales

Aucune ne figure dans les 500 premières universités mondiales au classement de Shanghai. Les autorités expliquent, comme les Français dont la première université est au 38e rang seulement, qu’il y a un effet de taille car les critères de classement privilégient directement et indirectement le nombre d’étudiants, de professeurs, de publications… et l’anglophonie.

Du fait de leur nombre d’étudiants, l’Égypte avec ses plus de 80 millions d’habitants et l’Arabie qui distribue des bourses dans le monde entier ont, elles, un total de 6 places dans ce classement de 500. L’anglophonie d’une partie des enseignants (nationaux ou importés) peut également jouer. C’est du moins la position semi officielle algérienne, mais la presse est sceptique et pointe le faible niveau des universités du pays, les meilleurs étudiants partant à l’étranger, et les autres ayant des difficultés tant en français qu’en arabe (voir mes nombreux articles sur ces questions linguistiques).

Yves Montenay

Echos du Monde Musulman 271 – 2 mai 2016
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