Au Pakistan, les gouvernements en butte à l’anarchie l’anarchie et l’insécurité, devront-ils laisser la place aux militaires ? A lire également les réflexions d’un historien belge, celles des services secrets sur la lutte contre la radicalisation et le revirement des opinions musulmanes après les attentats en Europe.
Pakistan : anarchie et radicalisation vont-elles ramener les militaire au pouvoir ?
Pour vous mettre dans l’ambiance, cet extrait résumé de The Economist du 5 septembre 2015 : Karachi était connue pour sa grande insécurité et sa quasi guerre civile. Aller chez le bijoutier pouvait signifier se faire dépouiller de son argent à l’aller et des bijoux au retour. Des groupes d’auto-justiciers, qui se sont baptisés « Rangers », exécutent les délinquants. Ils sont devenus puissants et s’attaquent maintenant aux dérives mafieuses des partis politiques. Les Rangers ont d’abord ciblé le parti localement majoritaire, le MQM, dont de nombreux membres ont été arrêtés, informellement jugés voire exécutés. Ils se tournent vers l’autre grand parti national, le PPP, très lié aux mafias locales. Ces actions brutales des Rangers sont populaires tellement la vie était devenue impossible. Les partis politiques s’indignent évidemment, mais il faudrait l’appui de l’armée pour contrer les Rangers. Or les civils essaient sans grand succès d’éviter le retour périodique au pouvoir des militaires.
Parallèlement un très important mouvement musulman considéré comme modéré, les Barlévis, se radicalise. Rappelons qu’un chrétien pakistanais avait été dénoncé par ses voisins musulmans dans le cadre de la loi « anti blasphème » (envers l’islam bien sûr). Salman Taseer, le gouverneur du Pendjab, donc un des principaux hommes politiques pays, avait alors demandé l’abrogation de cette loi. Il a été assassiné par son garde du corps, Mumtaz Qadri, qui considérait qu’il agissait en « mécréant ». Le meurtrier a été condamné à mort et exécuté le 29 février dernier, mais voilà que les Barlevis en font un « martyr » et déplacent de très grandes foules pour le célébrer. Dans ce contexte, les talibans n’ont pas hésité à massacrer des enfants chrétiens à Lahore le 27 mars.
Cette anarchie et cette radicalisation pourraient bénéficier aux islamistes aux prochaines élections, au détriment des grands partis issus initialement de la bourgeoisie occidentalisée, ce qui précipiterait peut-être le retour à un régime militaire. L’armée était discréditée par sa relative tolérance envers les islamistes et par sa mauvaise gestion du pays, mais tout cela s’oublie depuis que les civils ne gèrent pas mieux et se sont révélés incapables de maintenir l’ordre public.
Un témoignage belge sur la radicalisation
Selon l’historien belge Pierre Vermeren, la radicalisation des musulmans belges s’explique par l’abandon aux prédicateurs salafistes de l’immigration marocaine. Un extrait résumé : Les musulmans de Molenbeek viennent du Rif. Beaucoup sont viscéralement hostiles aux autorités marocaines depuis la répression du mouvement séparatiste de cette région par Hassan II. (cette jeunesse a donc rejeté l’influence pacifique du gouvernement marocain sur sa diaspora, notamment en France), ce qui a laissé le champ libre aux prédicateurs salafistes.
Pierre Vermeren rappelle que l’Arabie saoudite a financé la construction de milliers de mosquées dans le monde, où elle place ses prêcheurs, le Qatar et la Turquie d’Erdogan font de même avec les Frères musulmans, et l’Iran avec les siens. Et, derrière les mosquées, il y a les télévisions, les sites Internet, les livres et les DVD, exportés par centaines de millions…
Il rajoute : En France, on peut travailler à la fabrication d’un islam endogène, financé sur place, parlant notre langue, et avec des imams formés par les musulmans de France, dans un cadre laïque (ce qui a enfin commencé : Le Parisien : »Laïcité : les imams se mettent au français » ). L’intégration passe aussi forcément par une excellente maîtrise de la langue et des référents culturels. Or on a renoncé à être exigeant à l’école pour ne pas pénaliser les défavorisés. En fait, on les pousse ainsi vers l’obscurantisme ou l’aventure sans retour.
La lutte contre le terrorisme en France et en Occident
J’ai assisté à un exposé d’une personne proche de nos services qui ne tient pas à avoir son nom dans la presse. Il estime que les services français ont totalement réussi à nous préserver des attentats d’Al Qaïda, mais pas de ceux d’autres mouvances et aujourd’hui ils sont très gênés par ceux préparés par l’État Islamique. En effet, ils connaissaient bien l’organisation de Ben Laden, créée au départ par les Américains et l’Arabie contre les Soviétiques, alors que l’on découvre à peine actuellement la culture et la pensée de l’État Islamique. D’après lui pour la plupart des services occidentaux préfèrent confier à des ordinateurs le traitement de l’énorme masse de données prélevées notamment sur les conversations téléphoniques, plutôt que d’étudier la culture et les comportements des djihadistes si : il nous faut des cerveaux, pas des robots.
Un revirement de l’opinion musulmane ?
On retombe alors sur l’idée que je répète depuis des années : pour contrer les djihadistes, il faut veiller à ce que la masse des musulmans soit de notre côté, ne serait-ce que pour nous renseigner et alerter à temps la police. Or il semble y avoir des mouvements dans le bon sens : dans un premier temps la partie des musulmans qui se sentait méprisée, à tort ou à raison, a bien accueilli les attaques anti-occidentales relayées par Internet en Occident, et par des émissions agressives de télévision au Sud. Mais dans un deuxième temps, quand la réalité du terrorisme est devenue plus concrète, de nombreux mouvements de rejet sont apparus dont les moins connus sont peut-être les conversions au protestantisme au Sud et à l’agnosticisme ou l’athéisme au Nord.
Voir notamment le « Forum des Ex-Musulmans » avec ses 20.000 abonnés sur Twitter et ses 5.000 sur Facebook : «Nous sommes d’anciens musulmans d’origines et de croyances diverses. Nous sommes pour le sécularisme, la liberté de conscience et d’expression. Nous sommes contre la bigoterie, l’extrémisme et les lois sanctionnant l’apostasie. (résumé extrait du MEMRI, un site de traduction de textes en arabe, ourdou… vers l’anglais et le français, à destination notamment du milieu universitaire et des médias).
Sans aller jusqu’à cet abandon de leur religion, qui coupe les intéressés de leur communauté et de leur famille, les islamologues notent de plus en plus de critiques du salafisme et du djihadisme depuis les attentats de Paris. Et Daech se plaint de voir les musulmans poursuivre leur « collaboration » avec les Occidentaux.
Maroc, Tunisie : des islamistes bien sages ?
Les partis islamistes de ces deux pays ont en commun de participer à des gouvernements de coalition, ce qui gomme leur spécificité. Précisons qu’ils ne sont ni salafistes ni djihadistes.
Le PJD (Parti de la Justice et du Développement) marocain a laissé quasiment tout le pouvoir au roi et a décidé de reporter son congrès pour aborder les prochaines séances électorales dans l’unité. Il part favori.
Les islamistes tunisiens d’Ennahdha ont décidé, eux, de ne plus être islamistes. Ils avaient déjà accepté une constitution « de compromis » avec les « laïques » qui proclame notamment la liberté de conscience et donc de religion, de croyance, voir l’athéisme. D’après leurs dirigeants il vont abandonner leur activité religieuse pour se concentrer sur la politique. Cela change tout, disent-ils ; ça ne change rien disent leurs adversaires.
Dans les deux pays, les islamistes réussissent à rendre une partie notable de population plus religieuse qu’avant, ou du moins à s’afficher ainsi, mais se rendent compte également qu’il ne faut pas aller trop loin, comme l’a montré le rejet des Frères musulmans par les Égyptiens.
Yves Montenay
Echos du Monde Musulman n°272 – 2 juin 2016
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