L’aggravation de l’état de santé du président Bouteflika, hors d’état de recevoir Angela Merkel, a rappelé le vide politique dont souffre le pays : non seulement le chef de l’Etat, mais le gouvernement et les élections ne semblent exister que pour la forme. Les déclarations d’Emmanuel Macron sur « le crime contre l’humanité » qu‘aurait été la colonisation française, officiellement très bien accueillies en Algérie, ont également attiré l’attention sur ce pays. Et l’on s’aperçoit que les problèmes se multiplient.
La crise économique algérienne
L’Algérie est en crise économique profonde du fait de la baisse des prix du pétrole. Cette crise a été partiellement contenue jusqu’à présent en consommant les réserves en devises du pays. Le grand bénéficiaire de ces devises est la Chine, premier fournisseur loin devant la France.
Les déficits, et probablement des sorties de capitaux effrayés par le vide politique, font baisser le dinar algérien. Les prix montent. L’investissement public se tarit, aggravant un chômage déjà élevé, officiellement de 10 %, probablement de plus de 20%, et de plus de 30 % chez les jeunes, sans parler des emplois publics de complaisance payés par la rente pétrolière qui s’effondre.
La corruption s’aggrave en Algérie
Une des causes du chômage est le manque d’enthousiasme des investisseurs étrangers, qui doivent donner 51 % de leur capital à un associé algérien, ce qui tend à renforcer la corruption. L’indice de perception de ce fléau par l’ONG Transparency International la classe à la 108e place sur 176 pays, soit un recul de 20 places par rapport à 2015. Si l’Algérie est ex-aequo avec l’Egypte, elle derrière la Tunisie, 75e et le Maroc, 90 e. Et plus loin encore des Emirats arabes unis, 24 e, et de l’Arabie Saoudite 62 e (source : Corruption Perception Index 2016)
Ahmed FATTANI, journaliste de L’Expression s’interrogeait, le 9 février 2017, sur l’intrusion de l’anglais sur la façade des édifices publics : « Les inscriptions en anglais pullulent aux frontons de nos édifices publics … les Algériens découvrent avec stupéfaction que l’anglais a envahi leurs espaces de vie. Et cela ressemble bien à un viol… linguistique ». Cette bizarrerie est-elle le fruit d’actions du lobbying anglo-saxon ?
L’érosion des libertés en Algérie
Les libertés sont à mi-chemin entre le niveau occidental et celui des pires dictatures. Mais d’après Amnesty international, la situation s’aggrave. L’ONG pointe des reculs sur tous les fronts et notamment :
- sur la liberté d’expression : le directeur de la chaine de télévision KBC et plusieurs journalistes ont été emprisonnés ; un est mort en détention.
- sur la liberté de conscience : elle est constitutionnelle, mais les Ahmadis, musulmans d’un rite différent du malekisme majoritaire, subissent un harcèlement policier et judiciaire. 20 d’entre eux viennent d’être condamnés à des amendes et à des peines allant de un mois à un an d’emprisonnement. Slimane Bouhafs, converti au christianisme a été condamné à trois ans de prison ferme pour « insulte au prophète« .
source : Rapport Amnesty International Algérie 2016/2017
La création de l’Académie de tamazigh (berbère)
Le tamazigh (berbère) est « langue nationale » depuis 2002, mais il a fallu 14 ans pour qu’elle devienne «langue officielle » et que l’on envisage la création de « L’Académie algérienne de tamazigh ».
Son promoteur, Mohand Oulhadj Laceb, rappelait dans El Watan du 7 août 2016 que cette académie aura pour mission « de recueillir et sauvegarder la langue puis de la codifier », mais aussi de « tenir compte des variantes que sont le kabyle, le chaoui, le chenoui, le m’zab, le touareg, le ouargli, … », ce qui sera difficilement compatible.
L’académie devra créer des prix pour les meilleurs ouvrages, attribuer des subventions pour études ou recherches. Elle devra également les publier, afficher les normes orthographiques, les grammaires, les dictionnaires … sans parler de l’organisation de rencontres scientifiques nationales et internationales.
Mon avis : il s’agit donc de poursuivre l’œuvre largement entamée par les « pères blancs » de l’époque coloniale en Kabylie. Et je crains qu’il ne s’agisse plus de reconnaissance honorifique et de donner quelques postes universitaires à des militants contestataires, que de mesures efficaces pour sauvegarder ces langues, que le pouvoir n’est pas mécontent de voir régresser.
A lire aussi : mes précédents articles sur la situation algérienne
Après ce tour d’horizon en Algérie, revenons sur les évolutions de la situation turque.
La Turquie s’enfonce dans la paranoïa, la crise et les contradictions
La paranoïa de l’opinion publique est entretenue par le pouvoir pour justifier la répression tous azimuts : anti-kurdes et anti-modernistes, laïques ou gülenistes. Cela commence à avoir des conséquences économiques et affaiblit la position Internationale de la Turquie face à la Russie.
Ainsi les médias officiels suggèrent que ce sont « des puissances étrangères », sous-entendu occidentales, qui sont à l’origine des difficultés actuelles. Le maire d’Ankara les a même accusées d’avoir envoyé un bateau, soi-disant scientifique, à la limite des eaux territoriales turques pour y déclencher le récent tremblement de terre ! (Turquie : le maire d’Ankara sûr qu’une force étrangère provoque les séismes, Le Parisien, 7 février 2017)
L’origine des difficultés turques est pourtant interne.
Les conséquences de la répression d’Erdogan sur l’économie turque
« Les tigres anatoliens », ces chefs d’entreprise moderno-islamistes (donc souvent gülenistes) qui ont fait le succès de l’économie turque après la période « étato-militaro-laïque » moins efficace, sont souvent maintenant derrière les barreaux, avec les intellectuels laïques et les militants kurdes. On craint une économie à la russe, où il faut être courtisan pour pouvoir exercer. La constitution en projet, qui prévoit la disparition des contre-pouvoirs au bénéfice du président aggrave ces craintes. Dans ce contexte, les investisseurs s’abstiennent.
La note de la Turquie sur les marchés financiers a donc été abaissée début février à « junk » (« emprunteur non fiable ») par l’agence Ficht pour cette raison, à laquelle s’ajoute le poids de ses dettes en dollars ou euros alors que baisse la livre turque.
Erdogan a donc plus que jamais besoin de Poutine notamment pour son gaz, ses touristes et ses importations vers la Russie.
Une position internationale affaiblie
La Turquie se considère comme la grande puissance sunnite et est effrayée par la montée des Chiites en Syrie et en Irak, qui sont appuyé par son grand rival, l’Iran. Russes et Iraniens ont sauvé Bachar al-Assad, chiite, auquel Erdogan est opposé. Mais il a dû se résigner à son maintien étant impuissant face à la coalition russo-iranienne. Pour revenir dans le jeu syrien il courtise donc Poutine dont il a par ailleurs économiquement besoin. Mais il se trouve alors allié de son ennemi iranien.
Contradiction supplémentaire, la Turquie doit aussi ménager Trump en espérant que, contrairement à Obama, il permettra l’extradition de Fetullah Gülen accusé d’avoir fomenté la tentative de coup d’État en juillet 2016. Erdogan voudrait également que Trump diminue son soutien aux Kurdes de Syrie qu’il considère liés à ses ennemis kurdes intérieurs … Ces Kurdes de Syrie sont pourtant plus efficaces dans la lutte contre l’EI que Bachar et ses alliés russes et iraniens … Et que l’armée turque.
Une petite note absurde pour terminer : vous-vous souvenez de l’attentat contre la discothèque Reina à Istanbul, qui a causé la mort de 39 personnes dans la nuit du Nouvel An, et où, paraît-il, l’alcool coulait à flots. Le terroriste a été arrêté et répète : «Je suis fier d’avoir tué des chrétiens ». Mais il s’agissait surtout de musulmans arabes venus « se distraire » dans un pays plus détendu que le leur (Le Monde du 16 février 2017).
Sur Erdogan et la situation économique et militaire turque, vous pouvez lire aussi :
1- la situation de la Turquie avant le coup d’État
2- les origines profondes de cette tentative de coup d’état
3- ses conséquences, notamment concernant l’Europe
Yves Montenay
Echos du Monde Musulman n° – 27 février 2017
Je me permet de souligner votre délicate allusion aux « pères blancs » universellement (du moins en Algérie) accusés d’avoir voulu remettre en cause le caractère arabo-musulman de la nation Algérienne en inventant cette histoire de berbères…
Bernard Lugan affirme, statistiques sur un caractère génétique mise en avant, que 85% de la population algérienne est bien berbère: qu’en pensez vous ? Beau problème d’identité à gérer, n’est ce pas ?
La Turquie doit faire face à un désaccord avec la Russie: en Libye.
Ce n’est bien sûr pas l’avis de nombreux Kabyles, comme en témoignent Jean et Taos Amrouche.
Par ailleurs presque toute la population maghrébine était bien sûr berbère, éventuellemnt romanisée ou « byzantinisée ». Les Arabes venaient soit des armées de conquête, soit de groupes nomades venu plus tard détruire l’agriculture et les villes (notamment les Hillaliens). Mais je ne suis pas certain que ces différences génétiques soient importantes. C’est plutôt la langue parlée, les liens claniques et l’image de soi donnée par les programmes scolaires et la famille qui sont déterminants à mon avis.
Je ne nie évidemment pas la revendication Kabyle qui structure au passé, présent et futur la politique de l’Algérie !!!
Et c’est bien le trouble et la véritable capture d’identité qui travaille au corps la société algérienne qui est à l’oeuvre. Les soubresauts islamistes sont au centre de ce pourrissement effroyable, malheur séculaire de l’Algérie…