Alliances conflictuelles autour de la Syrie

La Syrie est largement un terrain de manœuvre pour la Turquie, la Russie, l’Iran et l’Arabie. Tous ont des troupes ou des mercenaires sur place. Mais ces « grands » ont leurs propres problèmes qui compliquent encore la situation de ce malheureux pays… problèmes qui interfèrent avec la question kurde qu’il faut commencer par rappeler.

L’éternelle question kurde

L’empire ottoman, privé de ses provinces arabes par la France et l’Angleterre en 1918, est devenu la Turquie en éliminant les peuples non turcs d’Anatolie, qui avait le tort supplémentaire d’être chrétiens : Arméniens, Grecs et Chaldéens.

Restait un peuple musulman de langue indo-européenne, les Kurdes, présents non seulement en Turquie mais aussi en Iran en Irak et en Syrie. En Turquie, leur branche armée, le PKK, est en guerre civile contre Ankara. La branche « jeunes » du PKK a lancé une insurrection armée qui a été sévèrement réprimée en détruisant les vieux quartiers de nombreuses villes kurdes de Turquie.

Les Kurdes de Syrie ne sont séparés de leurs « frères » de Turquie que par une longue frontière poreuse. Ils suivent le PYD, branche syrienne du PKK, et sont donc considérés par Ankara comme des ennemis.

Or le PYD a pris le contrôle de la partie kurde de la Syrie, et même au delà. A l’est, ce territoire a été pris à l’Etat Islamique. A l’ouest il a échappé au contrôle de Bachar el Assad… et la Russie vient de s’y installer.

Ankara : « Mes alliés soutiennent mes ennemis.»

Des troupes russes ont en effet débarqué, le 20 mars 2017 dans ce nord-ouest kurde de la Syrie, au ras de la frontière turque renforçant ces « ennemis de la Turquie ». A proximité, la Russie a bloqué l’avancée de l’armée turque en Syrie vers Manbij, ville tenue par le PYD. Par ailleurs, les Russes irritent Ankara avec leur projet de paix en Syrie prévoyant l’autonomie officielle des zones kurdes de ce pays, ce qui, pour la Turquie, signifie des bases du PKK hors de portée de son armée. Russes et Turcs sont pourtant en principe alliés.

A l’est, toujours le long de la frontière turque, les Américains, et accessoirement les Français, eux aussi officiellement alliés de la Turquie dans le cadre de l’OTAN, sont heureux de voir le PYD s’attaquer sérieusement à l’EI. Ils lui fournissent donc des armes et un appui au moins aérien. Cela au grand dam d’Ankara qui préférait avoir comme voisin l’EI, « ennemi de mes ennemis kurdes » et bon client. Comme le PYD a maintenant dépassé la zone de peuplement kurde et libère de l’EI des régions arabes, les Américains ont adjoint aux Kurdes quelques bataillons arabes et baptisé le tout « Forces démocratiques syriennes ».

Une Turquie bousculée

A ces désagréments causés à Ankara en Syrie par ses alliés russes et américains s’ajoutent les ennuis internes : la rébellion kurde toujours, les suites de la « tentative de coup d’Etat güleniste » (qui laisse perplexes certains observateurs) et une répression massive. Cette dernière n’est pas seulement politique, mais aussi économique, avec la prise de contrôle de centaines d’entreprises et les craintes corrélatives des investisseurs turcs et étrangers, ce qui aggrave la situation économique.

Finis les succès qui avaient fondé la popularité d’Erdogan au delà de la partie musulmane traditionaliste de la population. D’où le succès très « étroit» (51 %) du  référendum lui donnant les pleins pouvoirs, malgré un quasi-monopole de l’information, l’abstention forcée d’une partie des Kurdes chassés de leur lieu de vote et le « zèle » des acteurs du dépouillement des suffrages. Comme dérivatif, la presse turque, maintenant « aux ordres » vomît Européens et Américains.

Mais on ne peut pas se fâcher avec tout le monde, et Ankara espère que les contacts « d’homme à homme » Erdogan/Trump pourraient amener ce dernier à accorder à Ankara l’extradition de son opposant Fetullah Gülen et la fin du soutien au PYD en Syrie. Sans succès pour l’instant.

Une Russie triomphante ?

La Russie semble ainsi mener le jeu, définir l’avenir de la Syrie et peser sur celui du Moyen-Orient. Poutine aurait ainsi atteint son objectif de  refaire de la Russie une grande puissance  internationale.

Le culot de son président semble néanmoins primer sur sa puissance réelle : la Russie  ne pèse qu’environ 50% de la France en PIB, soit 4 fois moins par tête. Certes, elle a aussi son armement nucléaire, son siège au Conseil de Sécurité à l’ONU, ses pirates informatiques et ses médias de désinformation intervenant dans les élections occidentales. Poutine s’en sert fort habilement, et profite de la faiblesse ou des problèmes des Occidentaux et de ses propres “alliés” turcs et iraniens. Mais la Russie reste d’abord une machine à distribuer la rente pétrolière aux amis intérieurs ou extérieurs, alors que son potentiel géographique et humain pourrait en faire un véritable « grand ».

Un Iran empêtré

L’Iran vient de faire un grand pas avec la réélection à une large majorité du président Rohani, relativement modéré.

Toutefois ce n’est pas le président, mais le guide suprême qui mène la politique extérieure et celle-ci semble toujours donner priorité à « l’arc chiite » qui, partant de l’Iran, comprend le sud et le centre de l’Irak, les Alaouites du président Assad en Syrie, le Hezbollah libanais et les Houtis du Yémen.

Or autant le président Poutine n’a pas d’amour particulier pour Assad dont le comportement bloque la recherche d’une paix avec les rebelles alors que les objectifs russes sont atteints, autant il n’est pas question pour l’Iran d’une solution qui limiterait le rôle des Alaouites syriens, pourtant très minoritaires.

Par ailleurs, si l’électorat a su gré au président Khatami d’avoir conclu l’accord de 2015 qui a permis un début de réinsertion de l’Iran dans l’économie internationale, cette insertion reste partielle du fait notamment de l’hostilité du président Trump. Et ce dernier a profité de son voyage en Arabie pour désigner Israël et l’Arabie comme représentant « le camp du bien», l’Iran étant « le mal ».

Concernant la Syrie, Israël n’a officiellement pas pris position, Mais officieusement on n’est pas mécontent de l’affaiblissement réciproque des acteurs régionaux. Quant à l’Arabie,  elle a dans un premier temps soutenu discrètement l’EI par solidarité pro sunnite et anti chiite, et aide toujours certains adversaires islamistes sunnites d’un Bachar chiite. Mais elle est maintenant absorbée par d’autres problèmes.

Arabie : jeux de pouvoir dans des sables mouvants

Ses soucis sont la baisse du pétrole, la guerre au Yemen (là aussi contre des Chiites) et des luttes de pouvoir.

A 50/55 $ le baril, l’Arabie consomme ses réserves financières, d’autant que la guerre au Yémen coûte cher et est de plus un échec militaire et une catastrophe humaine. Le roi Salman et son fils, le vice-prince héritier Mohammed Ben Salman ( » MBS « ), tentent un traitement de choc. Ce fut d’abord la fin des subventions qui entrainaient d’énormes gaspillages réduisant les exportations de pétrole et multipliant les pollutions. Ce fut ensuite une tentative de diminuer les revenus directs par des impôts et des suppressions de primes, vite bloquée par la réaction des habitants.

La réussite du plan de redressement permettrait à MBS de court-circuiter le prince héritier en titre, Mohammed Ben Nayef, et de succéder directement à son père.

Parallèlement, le roi viennent de nommer deux de ses autres fils à des postes-clés. Khaled Ben Salman, 30 ans devient ambassadeur à Washington. Il a lui-même bombardé de son F-15 l’Etat islamique en Syrie et les milices houthistes armées par l’Iran au Yémen. Il vient d’obtenir de Donald Trump, un soutien plus marqué contre l’Iran. Son frère, Abdel Aziz Ben Salman, 57 ans, est nommé ministre de l’énergie, une autre position clé.

Et les Syriens ?

Les fils de la situation syrienne sont donc bien embrouillés. Pendant ce temps perdurent massacres réciproques et les répressions tant du régime que des différents islamistes. Et donc la fuite des habitants vers les pays voisins.

Yves Montenay
Echos du Monde Musulman n°281 – 26 mai 2017

 

 

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