Le développement n’est pas une question d’argent

Dans mon livre « Le mythe du fossé Nord-Sud » paru en 2005, je dénonçais tous les clichés sur le sous-développement, clichés qui ignorent les situations concrètes des pays pauvres et faussent l’analyse et, donc, les remèdes. Ce texte n‘a, me semble-t-il, pas vieilli. Le voici tel quel en première partie et j’analyse ensuite dans une deuxième partie ce qui est survenu depuis et qui confirme cette analyse.

Cet article est également disponible en version espagnole

Une question qui divise depuis longtemps

Les idéologues contre le développement

Les vrais problèmes du développement n’intéressent pas les idéologues, car ils ne permettent pas d’attaquer le capitalisme ou le libéralisme, alors que c’est cela que cherchent d’abord les soi-disant défenseurs du Sud.

Certes les plus sincères sont persuadés que nos sociétés sont profondément injustes, voire haïssables. Mais les accuser de la pauvreté de certains pays est une fausse piste qui ne fait que conforter les vrais responsables et perdurer des régimes bien pires que nos démocraties imparfaites.

Le résultat concret est que les peuples les plus pauvres voient leurs bourreaux parader dans les forums en s’appuyant sur des idéologies ne tenant aucun compte des succès des pays plus sérieux.

Il est navrant de voir ces idées diffusées et enseignées par des gens de bonne volonté. Se souviennent-ils qu’une mode intellectuelle très voisine régnait naguère en Sorbonne, et qu’un étudiant attentif expérimenta « un autre développement » s’écartant délibérément de ce modèle occidental honni par ses maîtres ?

On a reconnu Pol Pot qui élimina un tiers de la population cambodgienne dans l’horreur que l’on sait. Il ne faisait pourtant que « réorienter la population vers les cultures vivrières » et autres belles formules virant au cauchemar puis à la terreur au fur et à mesure de l’application concrète.

Les discours anticoloniaux et de réforme agraire du Zimbabwe sont en train de mener sous nos yeux au même résultat, sous les vivats du « sommet » de Johannesburg.

Le développement, c’est trivial

Il est vrai que les recettes éprouvées du développement sont d’une banalité méprisable pour bien des intellectuels : analyser les réussites occidentales et donc généraliser une scolarisation laïque, veiller à l’ouverture économique et intellectuelle sur l’étranger, et donc voir arriver les multinationales et les idées démocratiques.

Les premières vont casser les féodalités économiques locales, les secondes les féodalités politiques, qui sont souvent les mêmes. On comprend l’intérêt pour certains d’éviter de tels sujets !

Si l’on rajoute que tout cela ne marche vraiment que dans un Etat de droit, qui veillera à des choses aussi triviales que le respect des contrats et le paiement des fournisseurs, on voit tout l’intérêt de discours déconnectés de ces réalités sordides.

Culpabiliser pour ENCAISSER

Surtout si ces discours culpabilisent le Nord et l’amènent à ouvrir sa bourse, mais l’argent de l’aide est perdu s’il n’est pas distribué par un organisme efficace à un gouvernement compétent le diffusant à des citoyens entreprenants et sérieux, telle l’Allemagne du plan Marshall.

Toutefois, ce pays idéal n’aurait pas besoin d’être aidé, ses exportations étant bien supérieures à ce qu’on pourrait lui offrir.

C’est d’ailleurs ce qui se passe, nous l’avons vu, pour la majorité des populations de ce qu’était le Sud il y a 50 ans : l’Inde et la Chine –qui regroupent à elles seules la moitié de la population du Sud – progressent, depuis leur libéralisation, bien plus vite que le Nord (respectivement 6 et 8 % par an, contre 0 à 3 % au nord, suivant les pays et les années).

Même si ces chiffres sont imparfaits, on voit l’ampleur du progrès… et aussi, considérant le chemin qui leur reste à parcourir, à quel point ces économies étaient tombées bas à leur époque « socialiste ».

Des hommes et un gouvernement compétents ont toujours trouvé eux-mêmes l’argent du développement.

Inversement, il y a des pays où l’argent tombe du ciel : aide, crédits, hausse des cours des matières premières et – don suprême des dieux – découverte pétrolière.

Or qu’arrive-t-il ? On ruine des économies qui progressaient honorablement (Mexique, Nigeria), on permet la survie de systèmes politico-économiques désastreux (Tanzanie, Kenya, et des pays plus proches que, par pure amitié, nous ne citerons pas).

Une mauvaise décision de gestion en matière agricole, commerciale, industrielle ou militaire pèsera plus lourd que les rares mesures d’aide financière réussie.

S’endetter ou « coopérer » pour résoudre un des « vrais problèmes » évoqués dans notre deuxième partie sera fécond ; le faire pour importer sa nourriture alors qu’on détruit son agriculture, ou pour lancer des projets de prestige sur lesquels sont prélevés de confortables commissions, ne fait qu’enfoncer le pays.

Bref, comme le disait le baron Louis, ministre des finances de Louis XVIII, « faites-moi de la bonne politique et je vous ferai de bonnes finances » : le développement n’est pas une question d’argent.

 

Une démonstration toujours d’actualité en 2021, 16 ans plus tard

La preuve par la Chine

En 2005, date de la rédaction de ce qui précède, la Chine avait commencé son rattrapage, qu’elle a continué depuis. C’est bien l’illustration qu’il n’y a pas de « fossé Nord-Sud ». C’est-à-dire pas de fatalité à rester sous-développé parce que le système mondial favoriserait les pays riches, comme on le disait à l’époque, et comme beaucoup de pays africains le disent encore aujourd’hui.

Et pourtant la Chine partait de très bas après le massacre de sa population, de son économie et de sa culture par Mao. De bien plus bas que beaucoup de pays africains !

Le fait qu’un gouvernement sérieux trouve toujours de l’argent s’est vérifié pour la Chine. On peut en effet reprocher beaucoup de choses au gouvernement chinois (son autoritarisme, sa corruption…) mais pas son manque de sérieux.

Il a donc bénéficié d’abord d’une aide occidentale en tant que pays pauvre. Puis la Chine a gagné elle-même l’argent nécessaire à son développement par ses exportations et aussi, ce qui est moins connu, par l’épargne du reste du monde et notamment des États-Unis : souscription aux augmentations de capital des entreprises chinoises cotées à Shanghai, puis à Hong Kong, puis à New York.

L’actualité récente fait se demander si le gouvernement chinois n’est pas en train de tuer les capitalistes qui ont permis de se développer faisant perdre à ces épargnants du monde entier des centaines de milliards de dollars. Ce serait alors un manque de sérieux…

La preuve par le pétrole

Que sont devenus depuis 15 ans les pays pétroliers qui ont été, eux, couverts d’argent ? Je parle des Etats ayant une certaine population, et non des Etats fantômes comme les Emirats, le Koweït, le Qatar, et dans une moindre mesure l’Arabie.

  • Le Mexique est gouverné par les trafiquants de drogue, et le nombre de morts, notamment de journalistes, devient hallucinant.
  • Le Nigéria s’écroule entre corruption, Boko Haram et ses rivaux djihadistes, des bandits rançonneurs et des minorités séparatistes.
  • Le Venezuela a vu sa population fuir dans toute l’Amérique latine et ceux qui restent ont du mal à se nourrir.
  • L’Algérie est plus que jamais sous l’autorité inefficace de militaires prédateurs.

Tous ces pays ont pourtant eu beaucoup d’argent… mais le développement n’est pas une question d’argent !

Yves Montenay,
Auteur du livre Le mythe du Fossé Nord-Sud (Les belles lettres, 2005).

 

1 commentaire sur “Le développement n’est pas une question d’argent”

  1. Vous avez entièrement raison.
    Et d’ailleurs, on voit bien dans quel rapport de dépendance quasi « coloniale » continuent de se mouvoir certains élites ou États anciennement colonisés (ou pas). Ce serait d’ailleurs un erreur politique ou économique, pour l’Occident (ou autres pays riches), comme pour ces pays pauvres là (et seulement ces pays-là..), de continuer à les inonder de financements aveugles en croyant que cela les aidera à se développer de manière automatique car le développement est d’abord une affaire « politique » (culturelle, spirituelle, idéologique, etc). L’argent permettant, ensuite, d’accomplir le déclic politique vers le développement….Grosso Modo, dit rapidement:  » aide toi et le ciel t’aidera », c’est un peu ce qu’on devrait dire à certains États. A trop attendre du ciel, on finit au contraire par engendrer les conditions idéales à l’émergence et la pérennité de la pauvreté….

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