L'Acadie et les tribulations des Acadiens

L’Acadie et les tribulations des Acadiens

Étude publiée dans « Population et Avenir » N°2011/2 (n° 702)
et sur Avenir de la Langue Française

Le terme Acadie désigne aujourd’hui la partie francophone de trois provinces canadiennes situées à l’est du Québec : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. Or, lorsqu’on pense francophonie au Canada, c’est souvent le Québec qui est cité. Heureusement les Acadiens sortent peu à peu de l’oubli.

Pour les Acadiens, le mot signifie aussi « le paradis perdu ».

Histoire de l’Acadie

Aujourd’hui on appelle Acadie la partie francophone des trois provinces canadiennes en rouge sur la carte du Canada ci-dessous : la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’île du Prince-Édouard.

Carte politique du Canada

Un paradis perdu

L’Acadie, c’était la colonisation heureuse : des eaux poissonneuses, des fermes prospères, d’excellents rapports avec les indiens Micmacs, un statut de neutralité entre les empires français et anglais. Mais les habitants de Boston étaient jaloux et ont appelé l’armée anglaise pour éradiquer cette anomalie

Au 16ème siècle, jusqu’à Henri IV, les pêcheurs français de la côte atlantique s’y installaient l’été, ainsi qu’à Terre-Neuve et dans l’extrême ouest du Québec d’aujourd’hui.

Ensuite il y eut quelques établissements permanents (carte ci-dessous), le reste du territoire étant forestier ou rocheux et habité de manière très clairsemée par des tribus indiennes dont les Micmacs.

Français et Indiens s’entendaient bien car il n’y avait pas de concurrence pour l’occupation des terres comme ce fut le cas ailleurs ou plus tard. Les Anglais s’installèrent plus au sud dans la région de Boston.

Acadie en 1700

On sait que les Anglais voulurent très tôt s’approprier les bouches du Saint-Laurent, d’autant que les Bostoniens n’appréciaient pas leurs concurrents français. En 1713 Terre-Neuve et l’Acadie furent enlevées à la France et passèrent sous la domination de la couronne britannique.

Toutefois les Acadiens furent dispensés du serment d’allégeance à un roi protestant et furent déclarés neutres comme on le constate sur les cartes de l’époque.

En 1755, les Bostoniens obtinrent de Londres qu’on les débarrasse de ces concurrents qui continuaient à prospérer malgré leur séparation d’avec la France. Ils les firent déporter par l’armée anglaise et s’approprièrent leurs terres et leurs zones de pêche.

Cette épuration ethnique, et leur dispersion sur les rives de l’Atlantique, de New York aux Malouines et des côtes anglaises à la Bretagne et au Poitou, était censée régler définitivement la question acadienne.

Une survivance discrète et effacée 

En fait trois groupes gardèrent leur identité : ceux qui se retrouvèrent en Louisiane, ceux qui s’installèrent au Québec et celui dont nous allons maintenant parler.

Ce dernier groupe était composé d’un tout petit nombre d’individus qui s’éloignèrent dans la forêt ou y revinrent de leur lieu d’exil. De toute façon il s’agissait de vivre discrètement dans des zones n’intéressant personne notamment sur le plan agricole.

Ce fut très nettement le cas en Nouvelle-Écosse, un peu moins au nord du Nouveau-Brunswick, sur la côte ou dans l’intérieur où il n’y avait que peu ou pas d’anglais et où ils se mélangèrent aux colons québécois dans la région d’Edmunston (« la République du Madawaska »), aujourd’hui partagée entre les États-Unis, le Québec et Nouveau-Brunswick.

Installation discrète, car « on n’avait pas le droit d’être là », jusqu’au traité de 1763, et même, en pratique, bien après car certains villages durent de nouveau déménager au fur et à mesure de l’avancement du peuplement anglais sur « les terres de la Couronne ».

De cette série de traumatismes résulta une attitude plus passive et résignée que celle des Québécois, qui eux étaient protégés par le traité de 1763 garantissant leurs biens, leur langue et leur religion, même si le territoire en question, au départ le Canada jusqu’aux Rocheuses (donc une grande partie de l’Ontario, du Manitoba et Saskatchewan actuels, voir la carte du Canada), fut peu à peu rogné pour devenir le Québec actuel.

La littérature acadienne et le musée de la déportation à Grandpré (en nouvelle Ecosse, mais maintenant de peuplement anglais) sont basés sur le thème de l’exil et de ses suites.

Jusque que dans les années 1960, les Acadiens supportèrent une série de brimades où l’action publique annulait les progrès associatifs, principalement de l’enseignement privé catholique francophone, dont le financement par cette partie la plus pauvre de la population s’ajoutait à l’impôt finançant l’enseignement général anglophone.

Quelques manifestations témoignaient cependant de la permanence officieuse des Acadiens, par exemple leur adoption d’un drapeau (non officiel, mais souvent affiché) qui devrait rappeler quelque chose à nos lecteurs :

Cette permanence fut soutenue, comme au Québec par une « revanche des berceaux», avec une bonne proportion de familles de 15 à 20 enfants, sans la mortalité infantile et maternelle des pays du Sud. La disponibilité des terres à défricher y fut aussi sûrement pour quelque chose.

Aujourd’hui, où sont-ils ?

Ils ont donc été chassés de la province actuelle Nouvelle-Écosse, à part quelques groupes repliés sur des terres moins fertiles comme indiqué sur la carte ci-après. Ils se sont réfugiés dans les forêts du Nouveau Brunswick :

Carte dessinée de l’Acadie
Les zones acadiennes des « Provinces Maritimes » (en grisé)

Cette carte est une carte d’artiste, je veux dire dessinée par mes soins et non coloriée par un ordinateur sur la base des circonscriptions du recensement. La zone de peuplement acadien en grisé est simplifiée : sur la côte nord les villes de Campbelton et Bathurst sont statistiquement à demi acadiennes mais, de fait, socialement« anglophonisées », et Moncton, la plus grande agglomération de la province est d’abord « anglaise » avec 33% de francophones et peu d’anglais bilingues.

Et pourtant c’est là qu’est installée l’université francophone. J’y suis passé récemment et ai été rassuré : cette université est à l’écart de la ville et « collée » à la ville voisine voisine de Dieppe, francophone comme le reste de la région en allant vers la mer et en arrivant à Shédiac, « la capitale du homard ».

Les  zones anglophones sont en arc de cercle le long de la frontière américaine et de la côte sud, le centre de la province étant vide.

La renaissance des années 1960

Congrès acadien de 2004 à la Pointe de l’Église (Nouvelle Écosse : cf. carte)
Congrès acadien de 2004 à la Pointe de l’Église (Nouvelle Écosse : cf. carte)

Je fus envoyé en Acadie en 1963 pour « reprendre contact » par Robert de Caix, rédacteur au Journal des Débats, diplomate en Syrie, à la SDN, puis en Acadie, alors âgé de 96 ans : « Jeune homme, voici 500 Fr. aller continuer mon œuvre ! ».

Via Philippe Rossillon, plus tard président de Population et Avenir, les responsables associatifs que je pus effectivement contacter grâce aux souvenirs laissés par Robert de Caix signaient avec le général De Gaulle le traité franco-acadien, probablement un des rares entre un État et un peuple sans structure officielle et donc représenté par des associations.

À partir de cette date, des progrès continus furent effectués et en 1981, le gouvernement du Nouveau-Brunswick reconnut enfin l’égalité des droits linguistiques des deux communautés de la province, et donc son bilinguisme.

La même année, les familles acadiennes de la Nouvelle-Écosse purent envoyer leurs enfants à l’école française, ensuite prolongée par l’Université Sainte- Anne, la seule université francophone de la province.

 

Sur le plan démo-économique, on note pendant cette époque deux évolutions de sens inverse :

  • l’industrialisation amène une part des Acadiens vers les villes, où la fécondité baisse et où l’on travaille en anglais; dans un deuxième temps la désindustrialisation pousse à l’émigration des francophones comme des anglophones, notamment vers l’Alberta pétrolier,
  • la tertiarisation, qui multiplie les élites acadiennes, notamment dans le commerce et les professions libérales ; les« villages » deviennent alors de petites villes où l’on peut vivre dans des circuits entièrement francophones, alors que le déclin du forestage et des pêcheries avaient fait craindre la nécessité d’intégrer les circuits anglophones.

Finalement, le noyau du peuple acadien, environ 400 000 personnes hors du Québec, est probablement sauvé. Mais pour certaines franges et certaines communautés isolées, il est trop tard.

De plus, comme au Québec, maintenant que « la dignité » est reconnue et que la revendication linguistique n’est plus nécessaire pour les besoins les plus criants, le militantisme francophone a tendance à perdre de la vigueur. Il demeure néanmoins puissant dans la « capitale nationale » de Caraquet où un festival réunit régulièrement des francophones tous les pays.

 

Yves Montenay

Télécharger l’étude : Acadie, histoire heurtée d’un peuplement

 

La démographie politique francophone au Québec

 

Crédit photo de couverture : Acadiens et Acadiennes au tintamarre de Bouctouche, par Jean-Marc Doiron – Acadie Nouvelle

7 commentaires sur “L’Acadie et les tribulations des Acadiens”

  1. Pendant longtemps, pour moi, les Acadiens et acadiennes ont été le thème d’une chanson de Michel Fugain.
    Toutefois, à la fin des années 80, dans un club de Yaoundé (Cameroun), une petite fille que je pensais Québécoise, m’a expliqué qu’elle était acadienne. Elle m’a raconté, avec son accent « de là-bas » les tribulations des ancêtres de sa famille sur plusieurs générations depuis l’époque où elle avait été chassée du paradis. Je n’ai jamais plus écouté la chanson de Michel Fugain de la même façon quand elle passe encore à la radio… La petite n’avait probablement pas douze ans et connaissait sur le bout du doigt les étapes des installations successives de sa famille. Votre article m’a remis ce moment en tête. Merci.

  2. Merci pour ce témoignage.
    Il faut écouter les belles chansons du louisianais Zachary Richard, descendant d’Acadiens.

    Un entretien récent avec lui, sur: https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/medium-large/episodes/413454/audio-fil-du-mercredi-15-aout-2018
    (« Le destin et l’histoire des Acadiens et des Québécois sont liés. Un tiers des Québécois et même plus ont un ancêtre acadien dans leur arbre généalogique. » En cette Journée nationale de l’Acadie, qui se terminera par un concert du chanteur dans un bastion acadien à Saint-Liguori, dans Lanaudière, Zachary Richard rappelle que son peuple a maintenu une présence constante au Québec au fil de l’histoire, et vice-versa. L’artiste louisianais parle à Stéphan Bureau de l’importance, pour les Acadiens, de ne pas se considérer comme des victimes).

    Exemples de chansons de Zachary Richard : « laisse le vent souffler », ou « au bord du lac Bijou ».
    Et puis aussi, la chanson de Daniel Lanoix « Acadie ».

    1. Merci ! Rien qu’à voir les noms de famille, notamment en Gaspésie, il est clair que beaucoup d’Acadiens ont réussi à gagner le Québec. Je connais également les Acadiens de Louisiane et viens de participer à une pétition qui a réussi à débloquer l’arrivée des enseignants francophones étrangers malgré le virus

  3. On connaissait un peu l’histoire de l’Acadie, mais comme toujours avec vous on entre dans les détails et on apprend toujours. Cette.étude appelle de ma part la référence au traité catastrophique de Paris de 1763. Nous y avons perdu la Nouvelle-France, dont l’Acadie, tout notre empire colonial de l’Amérique du nord (et les Indes), laissant ainsi les Anglais dominer le monde et propager leur culture et leur langue pour plusieurs siècles. Ce rappel n’est pas dépourvu de lien logique avec les thèmes abordés dans votre étude précédente. A quoi pensait Choiseul-Praslin en signant ce traité inique ?

    1. Merci !
      Entièrement d’accord cette catastrophe de 1763. Il est probable que Louis XVI, qui avait redressé la marine française et contribué à l’indépendance américaine aurait été attentif à ces questions. Mais…

  4. Bonjour Monsieur Montenay, une petite anecdote vécue en décembre 2012. Avec ma femme nous étions attablés dans un restaurant chinois à Orlando, un peu plus loin était assis un couple avec deux fillettes d’une dizaine d’années. Nous entendant parler le français, le père s’est approché de nous et nous a demandé si nous étions « cajuns », donc descendant d’acadiens. Malheureusement nous n’avons pas échangé nos coordonnées, aucun de nous n’avait sur lui crayon et papier !
    Quant à la francophonie, mon fils est à Ottawa avec sa femme et ses deux enfants qui vont à l’école francophone catholique de l’Est de l’Ontario. Sa femme est sur le point de terminer sa formation pour enseigner dans une école francophone de l’Ontario, car la demande est très forte de familles anglophones d’inscrire leurs enfants dans des écoles francophones. Non, le français n’est pas encore une langue morte !

    1. Merci pour ce témoignage !

      Pour les autres lecteurs je précise que les « Cajuns » sont les Acadiens de Louisiane, qui vivent dans une région située à l’ouest de la Nouvelle-Orléans

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