Ça n’a pas traîné : 6 mois après sa prise de pouvoir, le président Xi faisait disparaître de la constitution la limite des deux mandats. Une illustration supplémentaire de la montée de l’autoritarisme, voire du despotisme qui gagne le monde depuis quelques années, après l’espoir de la généralisation de la démocratie qui avait suivi la chute du mur dans les années 1990.
Mais, dira-t-on, c’est faire du mauvais esprit que de comparer le dirigeant d’un grand pays en voie de modernisation rapide avec tel dirigeant africain laissant croupir son pays dans la misère au bénéfice de sa fortune personnelle.
Cela nous mène à la nature du développement chinois, mais aussi d’abord à sa tradition du pouvoir absolu
Une tradition impériale
Pendant des millénaires, les empereurs chinois avaient un pouvoir absolu en tant que représentant du ciel sur la terre. Mao également, le ciel étant remplacé par le parti.
Et justement Xi Jinping vient de décider un renforcement supplémentaire du rôle du parti. L’article 1 de la constitution définit désormais » le rôle dirigeant du parti comme le trait le plus essentiel du socialisme aux couleurs chinoises « .
Les entreprises étrangères ont d’ailleurs noté la multiplication et surtout des interventions dans la gestion des cellules d’entreprises du parti.
Orwell l’avait rêvé
Le projet de présidence à vie de Xi Jinping a suscité critiques et moqueries sur les réseaux sociaux. Une image sur WeChat montre le portrait de Mao sur la place Tiananmen remplacé par celui de Xi. Tout cela a bien sûr été rapidement censuré tandis que les médias officiels lançaient une campagne de propagande en faveur du chef de l’Etat.
Une armée de fonctionnaires contrôle l’Internet chinois qui est coupé du monde. Comme il faut bien des passerelles vers l’extérieur, les logiciels pour cela doivent être déclarés et on pourra vérifier que vous « ouvrez la fenêtre sans laisser passer les mouches ».
Le sinologue François Godement a remarqué que Xi Jinping ne s’embarrasse plus d’allusions aux réformes démocratiques ni au libéralisme du marché : » Grâce à Internet et au big data, son ambition dépasse Orwell »
Il a surpris la planète entière avec la mise en place d’un Super Big Brother, avec la reconnaissance faciale pour tous d’ici 2020, et la notation de tous les citoyens chinois à partir de leurs bons ou mauvais comportements, recensés à partir de leurs pratiques numériques observées 24h/24.
Le pouvoir, c’est aussi pour l’argent
Xi ainsi que de nombreux hauts dirigeants actuels sont des « princes rouges » c’est-à-dire les descendants de proches collaborateurs de Mao. Ils ont un pouvoir politique qu’ils peuvent monnayer. Par ailleurs le parti est maintenant ouvert aux « capitalistes », princes rouges ou pas, dirigeants de sociétés privées.
Il est donc tentant de s’aider entre camarades du parti, surtout si les intérêts sont complémentaires, par exemple une attribution de crédits pour les travaux publics d’un côté, la réalisation de ces travaux de l’autre, ou encore des renseignements sur de futurs classements de terrain de zones rurales en zone urbaine. Il est humain ensuite d’aider un camarade capitaliste malheureux en adaptant un marché en cas d’imprévu.
Bref le régime a certains défauts classiques des régimes autoritaires. Mais, disent ses admirateurs, cela pèse peu au regard de ses réussites économiques.
Ce régime est-il au moins économiquement efficace ?
Un peu d’histoire peut éclairer le présent.
L’exemple soviétique
Le régime communiste chinois a été inspiré par l’URSS qui l’a soutenu jusqu’à la rupture des années 1970. On y retrouve certains traits de l’économie soviétique : succès dans le domaine des armements et de l’industrie lourde et plus généralement dans les productions « simples », c’est-à-dire ayant un petit nombre de clients contrôlés par l’État : production de charbon pour les aciéries, ventes des aciéries aux usines d’armement, ventes des usines d’armement à l’armée.
L’économie soviétique n’a pas été capable par contre de gérer une économie complexe au bénéfice des citoyens : « nos dirigeants mangent de l’acier, nous préférons la goulash ».
Le précédent soviétique, c’est aussi l’écroulement du régime suite au relâchement de l’autocratie par Gorbatchev. Le régime chinois y a vu à juste titre un danger mortel, et veille au contrôle total de la population, et surtout de tout ce qui pourrait générer un groupe. Une fédération d’associations de gymnastique apolitique en a fait les frais.
Instruite par les échecs soviétiques, la Chine a perfectionné le modèle économique communiste
L’ouverture à l’étranger pour éviter des erreurs de l’URSS
Inspiré par les succès japonais, coréen et taïwanais, la Chine a profité de ses très bas salaires de l’immédiat après Mao pour faire venir les industriels étrangers qui lui ont apporté argent, emplois et exemples. Puis, dans un deuxième temps, après avoir formé en masse techniciens et ingénieurs, elle a imité puis dépassé les entreprises étrangères en favorisant de mille façons les entreprises chinoises sous-traitantes puis concurrentes.
Il en est résulté une percée technique et militaire qui la met au niveau des meilleures entreprises mondiales notamment en numérique. Ainsi l’Institut d’études stratégiques (IISS), à Londres, estime que la Chine pourra bientôt déployer une aviation et des missiles au moins aussi performant que les meilleurs matériels occidentaux.
Mais le régime se résume-t-il à ses succès ?
Le développement chinois est-il solide ?
Je suis réservé tant à long terme qu’à court terme
A long terme cette ouverture économique se heurte à la fermeture politique. Si la surveillance et la fermeture de l’Internet national, l’absence de liberté de débat n’ont pas de conséquence directe et immédiate sur la productivité, elles pourraient être désastreuses à terme en freinant les échanges intellectuels et la créativité.
Et demeure le problème démographique qui n’a pas été réglé par la fin de la politique de l’enfant unique : le creux démographique passé ne peut être effacé, et la remontée de la fécondité n’est pas suffisante.
À court terme, Xi Jinping a déclaré qu’il allait entreprendre trois « durs combats », la pollution, l’endettement, la guerre :
- le gouvernement est très conscient de l’impact de la pollution sur le mécontentement. Il y a eu des milliers de manifestations locales. Pour ne pas que cela dégénère en un mouvement national, le gouvernement a réagi en fermant les entreprises les plus polluantes, notamment près de Pékin où l’air était devenu irrespirable. Mais l’ampleur du problème montre que « le complexe politico-économique » fait passer les intérêts de ses membres avant ceux de la population. Par ailleurs cela justifie le besoin d’un pouvoir fort… pourvu qu’il soit vertueux.
- La dette approche les 200 % du PIB. Ce que le régime a prélevé sur la population est en partie caché là-dedans. Cette dette vient notamment des entreprises en surcapacité, donc fragiles, des travaux publics et de l’immobilier, illustrations de la partiellement « fausse croissance » chinoise. C’est là que s’alimente le capitalisme de connivence avec la question d’affectation des terrains, du financement des immeubles par des crédits au « camarade capitaliste » qui seront oubliés en cas de mévente et des dettes des particuliers qui achètent sur plan avec l’intention de revendre rapidement. Le régime a été obligé de rappeler que la spéculation n’est pas tout : « il faut y vivre ou louer » mais dans ce dernier cas, il ne faut « ni chiens ni migrants ».
- Derrière le problème des logements il y a en effet celui des migrants, campagnards venus travailler en ville sans avoir le droit d’y loger, de de bénéficier de ses écoles et services sociaux. Leur présence contredit « l’ordre » donné aux municipalités de ne plus augmenter leur population, d’où des travaux pharaoniques comme ceux de Tongzhou, ville qui sort de terre afin de bloquer la capitale chinoise à 22 millions d’habitants. Nouvelle occasion de travaux publics et d’opérations immobilières pour les camarades.
- Reste « la guerre ». Là aussi il y a contradiction entre le nationalisme orgueilleux qui est un des piliers du régime et le désir officiel de paix. Cette contradiction est pour l’instant résolue par la faiblesse ou le désintérêt américain qui permet d’avancer sans trop d’obstacles, par exemple en mer de Chine du Sud. Mais le problème de Taiwan n’est pas loin…
Ce retour à l’international nous mène au conflit mondial des idées et valeurs
Le rêve occidental, une vieille de lune ?
La montée de la Chine traumatise l’Occident, qui oublie qu’elle part de très bas et que c’est grâce à son appui technique et managérial qu’elle est revenue à un niveau normal.
Voltaire et les despotes éclairés
On date souvent de Voltaire le début intellectuel du libéralisme politique occidental, lui-même source du libéralisme économique inventé par Turgot. Depuis que, pour flatter les dirigeants européens Voltaire inventa la notion de « despote éclairé » agissant pour le bien de son pays, le rêve demeure d’un dictateur bousculant les traditions dans l’intérêt général. De nombreux militaires sud-américains et aujourd’hui le président Xi en bénéficient.
Mais là aussi il faut regarder de plus près si les valeurs sous-tendues sont bien celles des Lumières.
Valeurs occidentales et valeurs asiatiques
L’Occident s’est bâti sur un socle gréco-romain, qui a notamment introduit la notion de droit de la personne. Après 2000 ans d’évolution, il en est résulté la conviction que les libertés intellectuelles et politiques sont à la fois une valeur en elle-même et une condition nécessaire du progrès scientifique et économique. Cette conviction s’est diffusée dans le reste du monde, et « désoccidentalisée » par l’Indien par Amartya Sen.
En réaction à ces valeurs occidentales ont été proclamées les « valeurs asiatiques » dérivées de Confucius avec le respect quasi absolu de l’autorité politique et familiale. Dans un tout autre contexte, l’autorité en pays musulman participe de la même idée, puisque qu’elle rappelle que « si le chef est en place, c’est que Dieu l’a voulu ».
Un profond conflit de valeurs divise donc les sociétés non occidentales :
- Leurs élites constatent que c’est l’apport de l’Occident qui permet la liberté et le développement, mais ces élites font face à une majorité traditionaliste instrumentalisée par les pouvoirs en place.
- Les modernistes sont affaiblis par les doutes de l’Occident sur lui-même, doutes nourri par le marxisme qui a engendré les partis communistes, puis par un désenchantement récent envers la démocratie « le pire des régimes à l’exception de tous les autres » d’après Wilson Churchill.
Ce sont ces idées occidentales que combat ouvertement le régime chinois. Mais il oublie qu’elles ont permis le redressement du pays. L’histoire nous rappelle les dégâts de l’ubris , orgueil du succès, et que « le pouvoir absolu corrompt absolument »
Yves Montenay
Bonjour,
Il faudrait nuancer l’affirmation selon laquelle les conquêtes militaires chinoises en Océan Pacifique Sud se font sans trop d’obstacles. En réalité, du durs combats existent, par exemples, entre forces chinoises et vietnamiennes depuis la fin des années 70. Mais ces obstacles sont bien sûr balayés dans le silence international le plus complet. Le mouchoir que le monde (occidental, en particulier) met sur les conquêtes militaires chinoises, au cours du 20ème siècle (Le Tibet, autre exemple), risque d’être celui gorgé de sang que le monde sera obligé d’utiliser pour pleurer ses erreurs et, surtout, pour pleurer sa soumission politique, sinon militaire, à la Chine.
Symptôme éclairant de la disposition occidentale à valider l’impérialisme chinois: l’utilisation du terme Mer De Chine, pour désigner des eaux territoriales qui ne sont pas chinoises (les autres riverains de cette mer n’utilisent pas ce terme). Imaginons que la Méditerranée soit dénommée…Mer De France ! Quelle serait la réaction des riverains…?
Pour finir: regardons un peu toutes ces propriétés viticoles achetées par les Chinois dans le Sud de la France! Quand ils seront devenus maîtres de notre économie, comment ferons nous pour refuser leurs diktats s’ils jouent la carte sociale du chômage…? Vinh BINH
Je suis d’accord avec vous, mais je ne parlais que des événements récents, pas du Vietnam (que je connais bien), ni du Tibet
Merci pour cet article très intéressant.
L’autoritarisme – et le populisme aussi – se développe aussi en occident pour faire face à l’incompétence politique des dernières générations de dirigeants de nos démocratie, incompétence aggravée par leur abandon de la notion d’intérêt général. Rien ne permet de dire aujourd’hui si le système chinois ne produira pas de meilleurs résultats économiques que nos vieilles démocraties malades. En particulier, à l’ère des disruptions technologiques, l’agilité dont font preuve les Chinois dans une ligne stratégique très structurée est un atout considérable qui a déjà fait ses preuves en termes de leadership économiques. Si les démocraties occidentales veulent garder le cap face à une telle machine de guerre économique, en particulier la France qui souffre d’archaïsme et d’immobilisme, il serait grand temps qu’elles se dote d’une vraie stratégie économique et de l’agilité que requière l’utilisation des nouvelles technologies. A cette seule condition, l’occident peut espérer concurrencer économiquement la Chine.
Bien d’accord sur le développement mondial de l’autoritarisme, voir la deuxième partie de https://www.yvesmontenay.fr/2018/01/06/que-retenir-de-2017-pour-anticiper-2018/
Concernant l’efficacité, ma crainte sur le long terme n’est pas mesurable ni vérifiable : une perte de créativité par isolement.