L’Algérie s’est longtemps voulue un modèle pour le tiers-monde, et a donc beaucoup communiqué sur son mode de développement. Mais elle est maintenant une illustration du non développement d’une partie du Sud, malgré un bon acquis colonial en infrastructures et en pétrole.
25 ans de socialisme flamboyant
A l’indépendance, l’Algérie s’est voulue un modèle pour le tiers-monde et notamment en grande sympathie avec Cuba, modèle en vogue à l’époque. « Les révolutionnaires » du monde entier défilaient à Alger.
L’économie était « socialiste » et inspirée par les « Pieds rouges » venus de France par idéalisme tiers-mondiste.
Ils étaient en phase avec une partie des élites algériennes francophones, laïques et socialistes, suite aux contacts étroits établis pendant la guerre et dans le contexte de l’alliance entre le Front de Libération Nationale algérien et l’URSS. Étant de la même génération, je les croise dans des colloques. Ils n’ont « rien appris et rien oublié ».
Ce fut la période de « l’industrie industrialisante », échec coûteux en matériel et en main-d’œuvre qualifiée importée. Mais tout fut payé par le pétrole, et ce fut d’ailleurs peut-être un accélérateur de sa nationalisation au détriment des entreprises françaises.
Un homme politique algérien retraité m’a avoué en 2004 : « Nous avons fait beaucoup plus de bêtises que le Maroc, car nous avions de quoi les payer avec le pétrole ».
De toute façon, et indépendamment de toute opinion politique, les gouvernements du Sud ont toujours cherché à mettre la main sur la rente pétrolière, ou plus généralement minière, pour le plus grand dommage de leur pays.
Le Venezuela en est l’exemple le plus poussé, mais les autres pays producteurs sont plus ou moins en même cas. Voir notamment l’Angola et la République Démocratique du Congo.
Ruine et guerre civile
Ruinée par la mauvaise gestion et la guerre civile (1988-2000), l’Algérie finit par demander l’appui du FMI en 1994, lequel exigea l’abandon du socialisme.
Mais les mauvaises habitudes administratives demeurent, appuyées par les structures d’appropriation de la rente pétrolière, soit à la source, soit à l’occasion des importations qu’elle finance.
Ce qui mène des importateurs proches du pouvoir à bloquer toute création d’entreprise sur le territoire national qui viendraient diminuer lesdites importations. J’ai été témoin d’un de ces nombreux refus dans le domaine des médicaments vétérinaires.
Une autre façon de bloquer ou de contrôler les implantations étrangères est la règle des 51 % de parts sociales réservées aux algériens qui fait renoncer la plupart des investisseurs internationaux, ou les obligent à des accommodements avec des proches du pouvoir.
Une tentative de redressement par les petits entrepreneurs …
Restent les PME et TPE (entreprises moyennes, petite ou très petites), en faveur desquels les pouvoirs publics ont lancé toute une architecture institutionnelle, qui semble avoir échoué.
Elle comprenait notamment une politique de distribution de subventions ou de crédits aux entrepreneurs ou à des porteurs de projets. Des sceptiques disent qu’il s’agit dans ce dernier cas d’allocations de chômage déguisées.
Le nombre de ces petites entreprises s’est accru rapidement, passant de 245 000 en 2001 à 1 060 000 en 2017, mais leur effet sur l’économie n’est pas visible. Il s’agit à 98 % d’entreprises de moins de 10 salariés, pour moitié dans le secteur des services et pour le reste dans l’artisanat et le BTP.
Cela alors que, dans les pays émergents, c’est industrie manufacturière privée qui a été motrice, et que le nombre de PME par habitant reste très inférieur en Algérie à ce qu’il est à l’échelle mondiale (25 pour 1000 contre 45 pour 1000).
… de crainte de donner un poids politique au patronat
Par ailleurs les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine se sont au contraire appuyés sur l’alliance entre élites politiques et grand patronat, les entreprises importantes pouvant plus facilement transformer les structures économiques traditionnelles.
L’Algérie n’a pas pris cette voie pour les raisons exposées plus haut, et la crainte de voir le patronat prendre un poids politique.
Cela s’est notamment traduit par l’attribution de la réalisation des infrastructures à des entreprises étrangères, souvent chinoises, donc sans implantation durable dans le pays, et par une série de mesures administratives bloquant le secteur privé.
Il s’agit notamment de l’action du Conseil National de l’investissement, qui ralentit tous les projets et les sélectionne par « loyauté ». Les procédures d’octroi des marchés publics et l’accès au financement par les banques publiques jouent le même rôle.
Le gouvernement peut aussi bloquer les licences d’importation du matériel, des pièces ou des marchandises nécessaires aux entreprises « moins loyales », ce dont est victime notamment le groupe Cevital, d’après la presse algérienne.
Un mot sur cette dernière synthétisant l‘avis des personnes rencontrées : « les journalistes sont libres de ce qu’ils écrivent, et libres d’en subir les conséquences personnelles ou sur le financement de leur journal par la publicité des entreprises publiques »
À la source de tout, l’échec de l’éducation nationale
Une cause encore plus structurelle de la « non émergence » de l’Algérie, comme de nombreux autres pays, est « la faible employabilité du capital humain ». C’est le résultat d’une part d’un système scolaire calamiteux depuis l’arabisation, qui a cassé la diffusion rapide de la scolarisation avec l’appui massif des coopérants français.
Or cette arabisation n’a pas été seulement un changement de langue, mais surtout un changement de programmes et d’enseignants, souvent islamistes et de toutes façons habitués à faire réciter leur « polycopié » par cœur, méthode habituelle dans le monde arabe.
Par ailleurs, les écoles privées sont beaucoup moins libres qu’au Maroc, en Tunisie ou en Égypte. Or ce sont ces écoles qui forment le gros des élites locales de ces pays, en français et/ou en anglais.
Enfin une partie des élites algériennes émigre vers la France, et maintenant vers le monde entier.
Les causes en sont l’absence de débouchés, notamment du fait d’un recrutement clanique et non méritocratique, et la pesanteur de l’ambiance politique, sociale et religieuse, facteurs également présents dans de nombreux autres pays
Un modèle très répandu de non développement
Finalement, qu’elle soit « socialiste » non, l’économie algérienne reste paralysée par son administration, qui elle-même reflète le monopole du pouvoir par les capteurs de la rente. Lesquels sont peu soucieux des problèmes structurels, et notamment de l’éducation.
C’est un modèle très répandu de « non développement », que les intéressés s’efforcent de dissimuler en accusant des anciennes puissances coloniales ou « les marchés internationaux entre les mains des capitalistes », ce qui leur a longtemps valu la sympathie et l’appui d’une partie des élites occidentales.
Yves Montenay
Auteur des Échos du Monde Musulman
Crédit illustration : Caricature Dilem, Liberté | 03/03/2016
Totalement d’accord ! Le tiers monde africain fut dévoré et ruiné par le socialisme exporté (paradoxalement ) par l’occident en pleine guerre froide. Socialisme manipulé par le camp soviétique pour affaiblir l’occident avant et pendant les luttes pour l’indépendance et de fait responsable direct des féroces luttes pour le pouvoir partout menées par des assassins impitoyables dont le « nationalisme » n’a jamais pris en compte les véritables intérêts de leurs peuples saignés à blanc.
Que faut-il faire avec l’Algérie pour la pousser à entrer dans la vraie vie et à quitter ses délires d’un autre âge ? Le Hirak peut il avoir un effet, ou n’est-elle qu’un petit défoulement de candidats à l’émigration ?
L’Algérie part effectivement de loin pour les raisons que vous indiquez, aggravée par les « pieds rouges » des années 1960. J’ai participé il y a 2 ou 3 ans à un colloque où ils étaient très présents, et n’ont « rien appris et rien oublié ». Ils ont refusé de publier ma communication dans les actes du colloque (ma communication avait été acceptée sur la base d’un résumé très neutre)
Mes amis algériens me disent que le hirak est un mouvement profond, mais divisé entre toutes les oppositions, démocrates comme islamistes. À leur avis il faudrait que ces oppositions soient maintenant organisées en nouveaux partis politiques, ceux qui ont déjà participé au pouvoir étant discrédités