On parle beaucoup du « monde d’après ». Il arrive. Les discours sur la reprise se multiplient, mais les inquiétudes face à la dette aussi. Une énorme masse d’argent a été dépensée pour soutenir les entreprises et leurs employés et cet argent vient « de la dette ». Mais encore ? Il y a ceux qui disent « la dette, il faut s’asseoir dessus », et ceux qui prévoient des années d’austérité pour pouvoir rembourser…
Je reprends donc le titre de la célèbre collection d’initiation « pour les nuls » pour vous présenter cela de façon simple.
Il y a un peu plus d’un an, à la fin de la première vague, il se disait fréquemment que la reprise serait lente et difficile. J’ai alors écrit qu’au contraire elle serait rapide et vigoureuse, bref en « V », et les chiffres d’il y a un an, après la fin du premier confinement m’ont donné raison. Avec un avertissement : ne pas vouloir tout faire comme avant et accepter le changement !
Malheureusement sont arrivés la deuxième puis la troisième vague et leurs dégâts économiques.
Maintenant que cette troisième vague s’estompe, et en supposant que la vaccination nous en épargne une quatrième, la discussion reprend.
D’un côté l’optimisme est général, mais de l’autre nous avons pris conscience de l’importance de la dette dont on perçoit mal les conséquences économiques.
Un optimisme en gros justifié
Il y a un an, mon optimisme était fondé sur le fait qu’il n’y avait pas eu de dégâts matériels, et que très peu d’actifs avaient perdu la vie, les morts étant surtout « des vieux ». Donc que tout pouvait repartir rapidement. Cette constatation est toujours valable aujourd’hui.
À cette première raison d’optimisme s’ajoute le soutien de l’économie par une aide massive de l’État français, et celle, encore à venir, de l’Union européenne. Ces mesures de soutien ont notamment permis à l’investissement des entreprises de se maintenir ce qui est fondamental pour leur compétitivité à venir.
Par ailleurs les personnes dont le revenu a été garanti : les retraités, les fonctionnaires, les personnes remboursées par « le chômage partiel » ont épargné énormément, un peu par crainte de l’avenir, mais aussi parce qu’il y a eu beaucoup moins de dépenses de voyages, de restaurants, de spectacles…
Cette épargne commence à se déverser dans l’économie, dans les restaurants pour commencer et dans les réservations de voyages, par exemple.
Jusqu’à présent j’ai raisonné comme si la France était seule et autosuffisante, mais tout cela dépend aussi de l’international. Voyons comment.
L’influence de l’international
Les plans de relance des autres
D’abord, un point positif : beaucoup de pays, et principalement les États-Unis, ont lancé des distributions d’argent massives, pour les individus comme pour les entreprises. Le gouvernement américain a notamment promis aux entreprises d’énormes travaux d’infrastructure.
Il faut dire que l’Amérique en avait grand besoin, car, contrairement à sa réputation, ce n’était un pays moderne que dans certains secteurs, alors que ses routes, ses ponts et bien d’autres choses étaient en très mauvais état.
Il y a aussi les commandes des pays qui ont redémarré avant nous, la Chine en premier lieu, qui est un énorme marché pour les entreprises françaises certes, mais aussi et surtout pour les entreprises occidentales en général, allemandes notamment, qui sont nos clients. Et si nos clients se portent bien, ils nous commandent.
Mais, en sens inverse, les confinements dans les autres pays ont ralenti la production de biens qui nous manquent maintenant
Les pénuries
Le cas le plus médiatisé a été la pénurie de semi-conducteurs, indispensables aux ordinateurs et beaucoup d’autres choses.
Mais c’est aussi le cas de beaucoup d’objets courants, eux-mêmes nécessaires à la fabrication d’autres biens : pour vacciner il faut non seulement des vaccins, mais aussi des aiguilles, des flacons, des frigidaires, des camions… qui eux-mêmes ont besoin d’autres matériaux ou objets pour être fabriqués.
On peut en tirer deux leçons.
La première est une confirmation de mes remarques d’il y a un an, alors que des médecins préconisaient un confinement total « pour sauver des vies ». J’écrivais que l’économie forme un tout et que tout arrêter sauf l’hôpital et la nourriture de base, finirait par paralyser assez vite les soins et l’alimentation.
C’est devenu évident ensuite, et les pouvoirs publics se sont contentés de confinements partiels, les moins paralysants possibles.
Il reste toutefois des nostalgiques de cette manière forte, qui reprochent à nos gouvernants leur manque d’énergie, voir « leur soumission aux intérêts économiques ».
La deuxième leçon à en tirer est que la reprise de l’offre va être freinée, ce qui est un facteur d’inflation.
L’inflation
L’inflation par la pénurie va s’ajouter à celle générée par la création monétaire. Bien que l’on ne sache pas très bien où arrive cette la monnaie créée par la Banque Centrale Européenne (peut-être nulle part pour partie, d’après Henri Lepage), une partie ira vraisemblablement à la bourse et à l’immobilier. Ce n’est pas un drame, des sommes importantes seront stockées là, qui éviteront de surenchérir sur des objets indispensables à la production.
Bien sûr on entendra les pourfendeurs des inégalités dénoncer que l’argent « aille aux riches »… alors que ces derniers ne le seront vraiment que s’ils vendent sans faire baisser les cours. Bien malin celui qui sait aujourd’hui s’ils seront gagnants ou perdants.
Ces traqueurs d’inégalités proposeront des impôts « sur les riches » (comprendre « sur les autres »), quitte à perturber encore un peu plus les producteurs et les épargnants et à retarder la reprise.
Les pessimistes disent que non seulement la création monétaire et les pénuries vont être une cause d’inflation, mais que nous allons être étranglés par le remboursement de la dette.
Quelle dette ?
En fait on ne sait pas très bien.
Dette française et dette européenne
C’est clair pour l’État qui a dépensé, est en déficit et s’est endetté pour pouvoir continuer à payer. C’est probablement vrai pour d’autres institutions nationales, dont les caisses de retraite, la SNCF, Air France… mais j’avoue ne pas avoir remarqué grand-chose dans la presse. Quelle pudeur !
C’est beaucoup moins clair au niveau européen, nous l’avons vu.
Quel sera l’impact du remboursement ?
C’est très difficile à évaluer. Si vous remboursez votre dette, votre créancier reçoit votre argent. Ce dernier n’a donc fait que se déplacer et ça ne change rien.
En fait tout dépend qui est le créancier et ce qu’il fera de l’argent, ce qui est imprévisible. On peut néanmoins imaginer qu’après une cascade d’intermédiaires, l’argent retombe chez un particulier ou une entreprise, qui elle-même va commander, consommer ou investir… donc, a priori, rien de bouleversant. Sinon qu’il faut être conscient qu’on ne sait pas, et qu’il faudra de l’agilité pour se placer commercialement au bon endroit !
Avec le rebond de la consommation, une grande partie des entreprises va retrouver une activité normale et remboursera ses dettes et le gros du problème de l’endettement disparaîtra de lui-même.
Celles qui ne pourront pas (Air France ?) vont en principe disparaître, ce qui est normal et sain en économie de marché. Toutefois certaines entreprises politiquement importantes recevront discrètement de cadeaux de l’État. C’est-à-dire que leur dette sera transférée à ce dernier, qui s’endettera un peu plus. Espérons que le marchandage qui aura lieu à cette occasion les obligera à s’alléger !
Mais, même en tenant compte de cela, on sera loin de ce mur de la dette qui affole tant de monde aujourd’hui. D’autant que l’inflation va diminuer indirectement les dettes.
Pourquoi ? Parce que les marges des entreprises vont augmenter, ainsi que l’assiette fiscale, donc les débiteurs auront des recettes en hausse alors que leurs dettes sont en général fixes. Comme il est normal et moral, c’est de l’argent distribué sans contrepartie de travail qui disparaît ainsi du porte-monnaie des consommateurs du fait de l’inflation. C’est donc bien une façon indirecte de rembourser la dette.
Conclusion
Craindre à la fois l’inflation et le remboursement est donc incohérent. D’ailleurs ce dernier est habituellement considéré par des économistes comme déflationniste.
Par ailleurs, ce qui importe pour la masse des gens, c’est ce qu’ils peuvent acheter, donc ce qui est produit puisqu’il y a (momentanément) beaucoup d’argent à la suite de l’épargne accumulée et des sommes empruntées. Quelles que soit les péripéties financières liées à la dette, c’est donc la production qui leur apportera ce qu’il faut.
Or, sauf événement politique majeur (tension internationale, blocage de frontières donc accentuation des pénuries…), la production va retrouver un niveau normal, et peut-être davantage puisque la pandémie aura été un accélérateur de la numérisation de beaucoup d’entreprises, et l’occasion de lancer des idées nouvelles.
Le libéralisme et le capitalisme sont peut-être haïssables, mais ils ont comme qualité de s’adapter et d’innover. Ne les cassons pas !
Yves Montenay
» Si vous remboursez votre dette, votre créancier reçoit votre argent . . . l’argent retombe chez un particulier ou une entreprise »
humm. . . non le principe de la création monétaire fait que ces sommes seront effacées et disparaîtront !
« les banques ne prêtent pas l’argent de leurs déposants elles s’en servent de garantie »
Votre commentaire n’est pas compréhensible, pouvez-vous le refaire en décrivant le circuit de l’argent auxquelles vous pensez ?
il s’agit de toutes les dettes seul les intérêts reste après le remboursement d’une dettes auprès d’un établissement bancaire !
l’argent est créé par les banques privée quand elle accordent un crédit et détruit quand le crédit est remboursé .
les banques rechigne a prêter car elle estime le risque trop élever . seule la garantie accordé par l’état leur a permis d’accorder des prêts aux entreprises .
les banques ont placées l’argent des déposant auprès de le BCE en garantie se disant qu’elle le transformait ainsi en monnaie banque centrale qui serait accepté par leur créancier en cas de défaillance !
l’argent réellement créé par la BCE ne représente qu’un ou deux % de la masse monétaire réel !
Ce n’est toujours pas très clair, mais je vais essayer de répondre.
Ce que vous dites sur les banques privées (pourquoi privées ? Quand le Crédit Lyonnais était nationalisé ça ne changeait rien) est ce que l’on apprend classiquement dans les cours d’économie. Ce n’est pas faux, mais justement la BCE cherche d’autres moyens et l’évolution de son bilan, qui est censée refléter son activité de création monétaire, est attentivement scruté par les économistes de boursiers. Plutôt que de compliquer mon article en me lançant dans des considérations monétaires, j’ai préféré me borner à l’économie réelle : la production et son prix de vente.
parfois, j’ai vraiment du mal a vous suivre !
1°) il y a les banques centrale et les autres .
2°) « la BCE cherche d’autres moyens » d’autres moyens pour faire quoi ? faire de la création monétaire ?
mais elle en fait c’est juste qu’elle la stérilise en exigeant que les banque dépose chez elle l’équivalent de ce qu’elle leurs prête donc dépose chez elle le solde des dépôts clients !
la BCE veut avoir une balance équilibrée et c’est ridicule pour une banque centrale !
Attention, on va rentrer dans la technique, ce qui n’est pas le but de cet article. Ce que fait la BCE, c’est d’accepter en garantie de ses prêts des créances de qualité de plus en plus mauvaise. Échanger de la monnaie contre une créance de valeur presque nulle est une création monétaire. Dit autrement : la balance équilibrée est plus comptable que réelle
La dette publique est supportable tant que les taux d’intérêt sont bas et que les créanciers ne sont pas inquiets
Nous aurions tout de même avantage à nous désendetter pour nous positionner pour l’avenir.
C’est exact mais ça me paraît un peu statique. Je pense que l’économie de marché se chargera du problème sans qu’on s’en rende compte. Bien sûr on se plaindra d’autres choses, de l’inflation par exemple
Les mesures de relance actuelles marquent le retour des politiques keynésiennes (particulièrement s’agissant du plan Baden, – le plan Trump conservait une part de politique de l’offre). L’addition des effets multiplicateurs de ces politiques budgétaires à ceux des politiques monétaires accomodantes (ou quantitatives) devrait logiquement entraîner de l’inflation , sauf si l’offre s’adapte rapidement a l’évolution de la nouvelle demande.
Dans votre conclusion, vous pariez sur une reprise rapide de l’offre grâce aux innovations induites par les mutations générées par la pandémie ; espérons que votre prévision se révélera aussi juste que les précédentes !
Pour ma part , je crains que le renchérissement des matières premières et du coût des énergies vienne « gripper » la » machine ». Suis-je pessimiste ?
Le renchérissement des matières premières et des énergies est, d’après moi, un moyen indirect de rembourser la dette. Je ne pense pas qu’il grippera la machine. Par contre sa durée est aujourd’hui imprévisible tellement il y a de facteurs contradictoires
Il semble que les prix de beaucoup de matières premières agricoles ou non, augmentent depuis la reprise. N’est pas une certitude d’inflation à venir ?
Oui ils augmentent. Et à cette occasion chacun d’entre nous paiera une part de la dette. « Une certitude d’inflation à venir », non : les prix futurs dépendront du climat dans chaque pays et d’éventuels blocages de frontières
J’avoue ne pas bien comprendre pourquoi le renchérissement des coûts des matières et des énergies, et par conséquent l’augmentation des coûts de production , sera l’occasion de faire rembourser la dette par les consommateurs finaux ? Sachant , d’autre part, que ces renchérissements risquent d’aggraver notre déficit commercial, déjà bien supérieur à la moyenne de nos concurrents européens ( une balance commerciale excédentaire devrait, je crois , être le meilleur moyen de rembourser la dette). Mais peut-être faites-vous allusion à l’inflation qui relativise la valeur de la dette.
Votre dernière phrase : oui. Mais plus généralement, j’aime bien raisonner en termes « réels » : on est riche de la production que l’on peut acheter (qui en général est de la même valeur que celle qu’on produit). Comme on n’a pas pu acheter depuis un an (une place d’avion ne se stocke pas) et qu’on ne pourra pas acheter tout ce qu’on voudra pendant encore quelques mois (pénurie physique ou inflation, les deux se confondent), c’est une façon de payer. L’économie de marché inventera les intermédiaires pour que cela aille à la diminution de la dette (une parmi 1000 autres : souscription d’actions ou d’emprunts qui permettront aux entreprises de se désendetter)
Merci pour votre réponse toujours enrichissante.
Je n’ai toutefois pas réussi à comprendre immédiatement les résultats de votre mode de raisonnement , que vous appelez « en termes « réels ». Je dois dire que celui-ci est assez original. Mais je ne désespère pas d’y parvenir après un temps de réflexion.
J’utilise le mot « réel » par opposition à « financier » ou « monétaire ». Par exemple peu importe que l’on double les retraites (décision financière) si les Ehpad ne peuvent pas recruter (les emplois sont du « réel »). Bien sûr c’est un exemple simplifié, car il y a les autres achats, mais le raisonnement peut y être appliqué : un retraité n’aura pas plus sauf à le prélever sur un actif ou ses enfants. Image ultra-simplifiée : « On mange du pain, on ne peut pas manger de l’argent » ou « Ce n’est pas votre compte en banque qui vous fera une piqûre si il n’y a pas assez d’infirmières ».
J’ai enfin compris votre raisonnement ! et, du coup, votre démonstration précédente sur le processus de diminution de la dette.
Votre approche est séduisante. J’ai l’impression que vous inventez un nouveau concept de matérialisme économique (semblable à votre « cynisme démographique », pour reprendre votre propre terme « cynique « ).