Emission « LE FRANÇAIS EN PARTAGE » du 27 septembre 2021
Animée par Albert Salon, assisté de Lydie Cassarin-Grand, qui reçoit Yves Montenay, ancien chef d’entreprise, président de l’Institut Culture Economie et Géopolitique (ICEG) sur le thème de « La francophonie économique ».
Vous pouvez réécouter l’émission :
Synthèse des principaux points abordés par Yves Montenay lors de cette émission
Qu’est-ce la francophonie économique ?
Remarquons d’abord que le terme même de Francophonie est construit à partir de « la langue » donc, pour certains, de la culture. Alors que son homologue anglophone, le Commonwealth, fait directement allusion à une richesse (wealth) commune, richesse qui pour les anglo-saxons est automatiquement la conséquence de l’action des entreprises. Inutile donc de parler « d’anglophonie économique » !
En face, les intellectuels français ignorent en général les entreprises, et le concept de francophonie économique n’est apparu que récemment. De plus, contrairement aux Anglo-saxons, les Français aiment bien définir logiquement et même administrativement toute entité, et j’ai même participé à des colloques où des hauts fonctionnaires essayaient de définir la francophonie économique pour mieux la structurer.
C’est un travail inutile et même contre-productif, comme le savent très bien les Anglo-saxons, car les entreprises tiennent à leur indépendance et fuiront à la moindre contrainte.
Disons que la francophonie économique rassemble tout ce qui se passe en français en matière économique et notamment dans le monde des affaires. C’est une réalité informelle, inorganisée et inorganisable.
Quelle est son histoire ?
Elle remonte à avant la colonisation, lorsque par exemple la ville française de Saint-Louis, aujourd’hui sénégalaise, faisait commerce avec les tribus de l’intérieur, commerce qui comprenait l’achat d’esclaves proposés par des chefs de tribus locaux.
Dans la première moitié du XIXe siècle les Européens abolissent esclavage et cette fraction du commerce franco-africain disparaît.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle commence la colonisation de vastes espaces. Donc à une époque où les Européens n’étaient plus esclavagistes. Ils suppriment donc l’esclavage en Afrique et arrêtent notamment la traite arabe qui était devenu génocidaire du fait de l’armement moderne des esclavagistes.
Des entreprises françaises s’installent, notamment dans le domaine agricole et minier, mais aussi celui des infrastructures. C’est l’époque des « fous d’Afrique », fonctionnaires ou entrepreneurs français tombant amoureux du continent
À l’indépendance, ou quelques années plus tard, de nombreuses révolutions « socialistes » dont la plus extrême est celle de Madagascar, nationalisent certaines entreprises françaises et chassent les autres. C’est une première raison de l’affaiblissement de la francophonie économique.
Une deuxième raison est la disparition de la génération des « fous d’Afrique » qui explique l’ignorance des entrepreneurs de France pour le continent.
Une troisième raison est le tournant « mondialiste », illustré au MEDEF par François Périgot, qui encourage les entreprises à conquérir le monde en anglais, constatant que les pays africains francophones ont une population faible et pauvre, et sont donc des marchés peu intéressants.
Ce n’est que récemment que plusieurs responsables et notamment Roux de Bézieux, président du MEDEF, se sont de nouveau penchés sur la francophonie économique.
Que représente la francophonie économique à l’échelle mondiale ?
On cite souvent le chiffre de 16 % du PNB mondial. Ce chiffre n’a pas grand sens, d’une part parce que la notion de PNB n’en a pas non plus, mais aussi par ce qu’une grande partie du commerce mondial concerne des flux massifs de charbon, de pétrole, de minerai de fer, de bauxite qui emploient peu de gens et que l’on peut trouver en France suffisamment d’anglophones pour y participer.
Les entreprises plus petites, mais employant davantage de personnel, n’ont pas le personnel anglophone nécessaire et sont plus sensibles à la langue de travail. Elle touche proportionnellement plus de monde tant en France qu’en Afrique et pourrait donc représenter davantage que les 16 % cités plus haut.
Retenons que n’est pas une question de chiffres mais de nombre de personnes en contact.
Quel est son intérêt pour la France ?
À mon avis, il est énorme. Une grande partie des Africains apprennent le français non pas parce qu’il est langue officielle du pays, ce qui est certes important notamment en matière d’enseignement, mais parce qu’il est utile professionnellement.
Je vais illustrer cela par un exemple marocain, que j’appelle le « complexe formation, entreprises et médias ». Le Maroc a eu la sagesse d’être moins brutal envers les entreprises françaises que l’Algérie et la Tunisie. Cela, combiné à l’enseignement en français, dans le cadre de la coopération a fait que le travail salarié dans les entreprises aussi bien françaises que marocaines se faisait en français.
L’arabisation de l’enseignement a entraîné la création d’une foule d’écoles professionnelles (secrétariat, informatique…) où l’enseignement était en français pouvoir trouver du travail ensuite. La pratique du français se faisait dans l’entreprise et les cadres lisaient la presse professionnelle puis la presse généraliste, toujours en français. Le système se nourrissait de lui-même et le nombre de francophones augmentait.
Cela montre l’importance de la francophonie économique, mais ne doit pas cacher que si la langue de travail devient l’anglais, toutes ces écoles privées professionnelles vont basculer vers l’anglais. Ce mouvement est en train de s’amorcer et est soutenu par des intellectuels marocains actifs sur les sociaux que je m’efforce de contredire.
Cet exemple est probablement valable dans toute l’Afrique francophone. C’est donc la langue de travail qui va enraciner le français.
Et ce français africain est nécessaire pour que notre langue garde un rôle international, sinon elle deviendra une simple langue locale comme l’allemand ou l’italien qui sont pourtant des langues de vieille civilisation qui ont longtemps été parlées bien au-delà de ces pays.
Le regain d’intérêt pour la francophonie économique par le MEDEF (*), et dans une moindre mesure par le gouvernement français et l’OIF, sera-t-il efficace ?
Il n’y a pas de réponse mécanique à cette question puisque la francophonie économique n’est pas une organisation.
En particulier le MEDEF n’a aucune autorité sur les autres entreprises. Son action se borne à attirer l’attention, ce qui est déjà beaucoup.
Quels sont les concurrents économiques en Afrique francophone ?
Ce sont dans l’ordre la Chine, la Turquie et la Russie. Ces pays sont bien plus colonialistes que la France, par exemple la société russe Wagner participe au maintien de l’ordre en République Centrafricaine moyennant un prélèvement de 25 % sur les revenus miniers. J’imagine la brutalité nécessaire pour que ce prélèvement se concrétise…
Un autre élément qui explique la progression de ces pays est la corruption : en France, aux États-Unis et probablement dans bien d’autres pays occidentaux, on peut être condamné pour avoir participé à la corruption dans un État étranger, ce qui prive les entreprises de ces pays des moyens d’action traditionnels et d’usage courant en Afrique.
Un autre élément est l’invasion des réseaux sociaux par des sympathisants ou des stipendiés de ces pays qui se livrent à une propagande anti-française et anti-francophone. Il paraît que les services de renseignements français viennent tout juste d’affecter un peu de personnel aux discussions sur ces réseaux.
Et l’avenir ?
L’avenir du français en Afrique, et donc à mon avis son avenir tout court, dépend largement de la stabilité politique de chaque pays, ce qui peut expliquer une certaine ingérence française, mais qui a le défaut de nous faire accuser de néocolonialisme.
La disparition du français en Russie et au Vietnam et son important déclin à Madagascar s’explique par les révolutions dans ces pays
Mais le combat se joue aussi en France, car j’entends souvent des francophones africains faire campagne pour l’anglais « comme vous le faites en France »
Yves Montenay
(*) Cf article « Le MEDEF entre en francophonie »