MEDEF et francophonie

Le MEDEF entre en francophonie

Retour sur l’initiative inédite du MEDEF qui a consacré la francophonie économique en organisant, lors de son université d’été, sa première Rencontre des Entrepreneurs Francophones les 24 et 25 août 2021, sous le haut patronage d’Emmanuel Macron, président de la république.

Une initiative bienvenue

Ce 24 août, le MEDEF a inauguré son université d’été 2021 par 2 demi-journées d’exposés et de débats internationaux sur la francophonie économique, avec des délégations venues de 4 continents, des chefs d’Etat et des personnalités issues de la communauté francophone d’affaires.

Les débats de la REF 2021 – rencontre des Entrepreneurs Francophones ont été rediffusés en direct sur YouTube (14 vidéos disponibles) :

Avec les autres organismes patronaux de la plupart des pays francophones, le MEDEF a publié à cette occasion la Déclaration de Paris sur le renforcement de la francophonie économique dont je reprendrai des extraits plus bas.

Les militants pour la promotion de la langue française, et notamment ceux de l’association Avenir de la langue française, sont très heureux de voir les entreprises rejoindre certaines de leurs préoccupations.

Et moi le premier ! Avec mes deux casquettes d’ancien chef d’entreprise et d’universitaire dans ce domaine, j’ai toujours souligné le rôle très important des entreprises.

Je l’ai matérialisé en menant la mienne à la conquête de l’Amérique du Nord à partir du Québec et en publiant plusieurs livres sur ce sujet, et en dernier « La langue française arme d’équilibre de la mondialisation » .

La Langue Française, une arme d’équilibre de la mondialisation (2015)

 

Situons maintenant le contexte historique de cette action du MEDEF dans les principaux événements politico-économiques depuis l’époque des indépendances.

Histoire rapide de la francophonie économique

Il y a d’une part le Québec qui s’est économiquement et politiquement réveillé depuis 1963, a renoué beaucoup de liens avec la France et avec les pays francophones.

A titre d’illustration, Il m’est parfois arrivé de participer à des colloques axés sur la francophonie dans des pays lointains et de constater la participation très active d’un représentant du Québec.

Mais je vais me concentrer ici sur les relations franco-africaines, car l’Afrique représente aujourd’hui le gros de la francophonie tandis que les problèmes de cette région sont d’une actualité brûlante.

La redécouverte de la francophonie et de ses enjeux

J’ai fréquenté dans les années 1950 et 60 les acteurs français et africains de la fin de la colonisation et de la période néocoloniale. À cette époque beaucoup de Français étaient des « fous d’Afrique », très attachés à ce continent, qu’ils soient fonctionnaires coloniaux devenus coopérants après les indépendances ou entrepreneurs privés.

On était très loin de l’image négative que l’on donne aujourd’hui de ces acteurs, et certains sont morts navrés de se voir accuser des pires défauts par des intellectuels français ou africains. Et puis, cette génération a disparu.

Côté français, le nouveau souci pour les entreprises a été la mondialisation pratiquée en général en anglais et tournée notamment vers la Chine et les États-Unis.

Les États d’Afrique francophone furent alors confusément considérés comme des marchés très limités par le nombre de consommateurs, par la faiblesse de leur niveau de vie et surtout par leur insécurité.

La part des exportations françaises dans les pays africains s’est effondrée.

La Chine est le premier fournisseur de l’Algérie et il n’y a pas à ma connaissance d’entreprise minière française en Côte d’Ivoire, au Mali ou au Burkina, pays dont le sous-sol est riche, notamment en or, et où opèrent non seulement des individus et des mafias, mais aussi des sociétés internationales.

Le handicap de l’insécurité

Car, parallèlement, côté africain, il y a eu des « révolutions » ou des luttes pour le pouvoir qui ont précipité le départ de nombreux Européens et d’une partie de l’élite locale.

Il s’en est suivi des catastrophes économiques, et, s’il y avait un peu plus de lucidité dans les discours actuels, on s’apercevrait que la « période néocoloniale », sous-entendu avant ces événements, a souvent été la meilleure depuis l’indépendance.

L’obsession anticoloniale retarde le développement africain

Cela a été notamment illustré à Madagascar. Ce pays s’est effondré lors du régime de « l’amiral rouge » Ratisiraka, faillite illustrée notamment par le départ non seulement des entrepreneurs français mais aussi de la quasi-totalité des médecins malgaches.

En Côte d’Ivoire, ce fut la guerre civile de 2002 – 2010 entraînant le départ des très nombreux petits entrepreneurs français. Si le pays ne s’est pas effondré aussi profondément que Madagascar, de nombreuses années de développement ont été perdues.

Ces problèmes n’ont pas complètement disparu. Comme nous l’avons vu dans mon article récent, l’islamisme a fait, et continue à faire, de grands dégâts dans la francophonie.

La francophonie victime du communisme et de l’islamisme

Plus généralement, faute d’ordre public ou du fait d’une pression sociale islamiste, tant la scolarisation que l’activité économique « moderne » (je veux dire trafics non compris) peuvent disparaître.

Et une « simple » mauvaise gouvernance fait passer d’autres préoccupations avant la sécurité physique et juridique nécessaire aux entreprises. Le pire est au Sahel bien sûr, mais aussi dans une partie de la République démocratique du Congo.

Ces remous ont facilité l’arrivée envahissante de la Chine, suivie de la Turquie et de bien d’autres, dont une partie de l’argumentaire s’appuie sur une critique de la France pourtant de moins en moins présente. En particulier ils nourrissent les réseaux sociaux de virulents messages antifrançais… souvent avec l’appui d’intellectuels de notre pays !

Ils pressent même parfois les gouvernants de passer à l’anglais, à l’arabe, ou à telle langue locale (ce qui revient à terme au même résultat). En oubliant, qu’un changement de langue commence par déclasser les élites sans résoudre miraculeusement tous les problèmes…

Le réveil du MEDEF est d’autant plus bienvenu !

L’intérêt de travailler en français

Je rappelle à mes lecteurs que j’ai travaillé dans 12 pays de langues très variées, ce qui me fait répéter depuis des dizaines d’années dans de nombreux articles et livres, que chacun travaille mieux dans sa langue maternelle ou d’éducation.

Etre obligé de travailler en langue étrangère (souvent l’anglais) ne permet pas à beaucoup de faire la preuve de leurs capacités et donc prive les entreprises de certaines compétences au bénéfice de bons anglophones pas forcément plus efficaces.

À cela s’ajoute qu’il vaut toujours mieux parler à un client ou à un fonctionnaire du pays hôte dans sa langue.

Suicide ou meurtre de la langue Française ?

Il m’a donc toujours paru évident que les entreprises travaillant en français bénéficiaient d’un avantage compétitif et concurrentiel dans les pays francophones. Et pas seulement les entreprises françaises, puisque des Libanais, des Canadiens et des Marocains réussissent en Afrique francophone en travaillant en français.

Par ailleurs il serait intéressant, tant pour les Français que pour les Africains, qu’un grand nombre de PME du Nord s’installent au Sud, et dans les PME on parle en général mieux français que toute autre langue.

Si beaucoup de PME françaises ont fui les pays francophones à l’occasion de révolutions, il y a maintenant un mouvement de sens inverse, qui vient d’ailleurs en partie d’immigrés africains en France retournant entreprendre au pays. Depuis maintenant plusieurs années, les initiatives se multiplient dans ce domaine.

La réaction du MEDEF

Ces initiatives ont contribué au réveil du patronat.

Parallèlement la démographie a considérablement augmenté la dimension du marché francophone.

Et le développement des pays relativement stables (Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, partie francophone du Cameroun, Gabon…) et les régions épargnées par les désordres dans le bassin du Congo, avec notamment Kinshasa et ses 15 millions d’habitants (2021), a généré des couches sociales relativement aisées.

Tout cela contraste avec le Sahel, mais dans ce dernier circule également l’argent des opérations militaires de tous les camps et d’importants trafics… argent qui finit toujours par se retrouver en pouvoir d’achat quelque part.

Enfin l’idée reçue selon laquelle l’Afrique francophone serait forcément à la traîne de la partie anglophone est maintenant réfutée par les études statistiques du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF).

Voir notamment son rapport de mars 2021 « La situation économique en Afrique subsaharienne francophone en 2020″ : frappée par la crise liée au Covid-19, l’Afrique subsaharienne francophone continue à tirer l’économie africaine.

Et lorsque l’on dit « la partie anglophone » on y comprend des pays comme la Lybie, le Soudan, l’Éthiopie ou l’Égypte où l’anglais n’est utilisé que pour une partie des échanges internationaux, à côté de l’arabe par exemple, et non pas profondément implanté dans les couches moyennes voir populaires de la population comme le français dans les pays cités ci-dessus.

Or c’est ce contact francophone entre des gens de niveau moyen qui facilite considérablement le travail. Et réciproquement les possibilités de travailler en français enracinent cette langue.

Bref les marchés à l’exportation sont là et le MEDEF relève que la francophonie (pas seulement africaine cette fois) représentait 16 % du PIB mondial en 2016 et était en croissance rapide.

Le MEDEF signale également dans le programme de sa manifestation que le fait d’avoir une langue commune stimulait les flux commerciaux de 65 %.

J’espère que cette prise de conscience fera réfléchir les entreprises françaises travaillant en anglais avec leurs cadres africains, voir avec leurs cadres français en France.

Non seulement ces dernières sous-utilisent leurs compétences et leur compréhension de l’environnement, au nord comme au sud, mais elles contribuent à faire perdre à l’ensemble des autres entreprises et à l’économie l’avantage concurrentiel indéniable qu’est l’usage du français.

L’économie, c’est du concret

Les militants de la francophonie, tant au Nord qu’au Sud, sont souvent des intellectuels issus de la fonction publique, donc éloigné des problèmes concrets des entreprises.

Outre mon expérience personnelle, j’ai noté une remarque du président du patronat ivoirien, Jean-Marie Ackah : « Nous, francophones, mettions trop en avant des concepts intellectuels, au lieu de transformer nos rencontres en rencontres d’affaires ».

Le cap est donc mis sur le concret : les organisations patronales de 25 pays francophones vont lancer une « plateforme de dialogue et de coordination permanente des patronats francophones (pour que la langue française soit) un levier d’opportunités concrètes pour obtenir un financement, réaliser un projet ou accélérer un développement commercial ».

De même, Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’OIF lance « Les Pionnières de l’entrepreneuriat francophone » pour monter des échanges internationaux.

Outre son intérêt direct, cette implication des responsables économiques africains francophones devrait, j’espère, relativiser des oppositions idéologiques artificielles qui se traduisent par des déclarations flamboyantes mais irresponsables et profondément nuisibles aux pays africains.

Yves Montenay
Auteur du livre La langue française arme d’équilibre de la mondialisation (Les Belles Lettres)

14 commentaires sur “Le MEDEF entre en francophonie”

  1. Dommage que l’expose un peu creux du médecin n’ait pas inclus les efforts et surtout les insuffisances de moyens des alliances françaises. Ce n’est pas au ministre du tourisme de traiter ce sujet mais à l’economie De le prendre en main. Le Goeth Institut est plus riche et plus efficace au Cameroun par exemple.

  2. Voilà une bonne nouvelle !
    Mais les chefs entreprises et les cadres devraient commencer par donner l’exemple en cessant de valoriser ceux qui ont la manie d’introduire des mots ou des expressions en anglais dans des phrases construites en français (tant à l’écrit, qu’à l’oral). Les jeunes s’imaginent aujourd’hui que pour donner d’eux une image d’employé (ou de candidat a un emploi) dynamique, moderne, branché, créatif, il leur faut utiliser systématiquement des expressions de la langue anglaise dans leurs discours. J’ai même entendu une personne dire, dans un discours prononcé en français , « up grading  » pour signifier « monter en grade  » ; le comble de la double faute ! Journalistes, politiques, enseignants, communicants, gens du spectacle, ne cessent de soutenir cette mode debilisante dans leur façon de s’exprimer.

    1. Tout à fait d’accord ! Je milite pour cela aussi, voir mon site et mes discussions dans les groupes de francophonie. Il n’est d’ailleurs pas certain que ça les valorise toujours …

  3. Je complète mon commentaire précédent : « up grading » signifie mettre à niveau, et non pas monter en grade. Celui qui a utilisé cette expression a ainsi démontré à quel point cette manie est contre-productive (et en même temps montré son ignorance, pour ne pas dire plus…).

  4. Il était temps…! Rappelons que la francophonie économique existe depuis une bonne vingtaine d’années au Canada, preuve que nos amis Québécois ont encore une bonne longueur d’avance sur les Français dans la prise de conscience du danger de disparition du français. Un réseau est très actif en Amérique du Nord: le RDÉE (le Réseau de développement économique et d’employabilité). Site web (entre autres références): https://rdee.ca/

  5. Merci pour cet argumentaire qui résume bien la nécessité de travailler pour une francophonie économique. Je voudrais juste insister sur la fragilité du parler français mondial. Même en Afrique considéré comme foyer de la francophonie, la langue française n’atteint pas encore le seul d’irréversibilité dans la plupart des pays francophones. Cela veut dire qu’un jour, un gouvernement pourra aisément le remplacer par une autre langue véhiculaire. Par conséquent, je ne vois pas 36 solutions de « sauver la langue française » autrement qu’une langue utile et compétitive parmi tant d’autres (internationales, régionales et locales). Les jeunes très nombreuses en Afrique, se détourneront rapidement du français au profit de l’anglais ou du chinois s’il y a plus de débouchés professionnels et bourses d’études en ces langues, c’est évident.

    1. Vous avez largement raison, mais pas complètement. Vos arguments sont bons, mais en sens inverse il y a l’inertie des systèmes d’éducation. Ils ont énormément de défauts mais sont difficiles à changer. De plus, pour les classes moyennes le français est un impératif social et ce que vous dîtes concerne plutôt la couche supérieure de la population, un peu comme en France. C’est déjà un danger certain, encore accru par l’imprévisibilité de la situation politique dans beaucoup de pays.

  6. La fragilité du parler français, évoquée par ChloéPHAN, concerne en effet les supports économiques insuffisants (utilité) de cette langue (les emplois liés au monde francophone, comme les infrastructures permettant de favoriser cette langue: écoles, profs, textes officiels, télévision, stabilité politique du monde francophone africain, etc…), mais aussi son caractère compétitif (éviter son remplacement facile par l’anglais, par exemple): or, le caractère compétitif du français passera forcément pas sa simplification (ce qui d’ailleurs, explique la prolifération des parlers français spécifiques dans le monde « francophones », en Afrique particulièrement). Si la francophonie économique devient puissante, alors cette nécessité de simplification du français pourra être éviter (les emplois seront prioritaires pour les gens): mais si la francophonie économique échoue, la seule solution pour la langue française (pour demeurer en vie) sera de concurrencer l’anglais sur son terrain favori de conquête du monde: sa simplicité d’apprentissage. Super défi pour les Français, accrochés au mythe de la grandeur de leur langue en raison de sa complexité….

    1. Merci, mais comme dit ailleurs (et notamment sur ma page Facebook) le français n’est pas plus compliqué que d’autres. Presque toutes les langues le sont. Ce qui est simple, ce sont les créoles et le globish, qui est aussi une sorte de créole. C’est bon pour la conversation courante, mais au-delà ?

  7. enfin quelqu’un qui rappelle que baragouiner en anglais restreint considérablement le champ intellectuel. D’ailleurs, l’appauvrissement de la langue au profit des concepts rigides provenus des soi-disant grandes-écoles est aussi un facteur de contraction intellectuelle, et donc économique et technologique. Les gens n’ont pas compris que l’extension, le raffinement et la profondeur de la langue sont précisément destinés à faire entendre des concepts raffinés, complexes, subtils : et donc, notamment, à développer une profondeur scientifique, intellectuelle, technologique, politique, économique. // J’ajoute que les pays francophones n’ont pas forcément intérêt à se noyer dans la mondialisation, mais au contraire à se tailler un espace qui les privilégie. Ce qui ne veut pas dire un espace fermé sur le monde évidemment, mais un espace avantageux pour eux au sein de cette mondialisation.

  8. « baragouiner en anglais restreint considérablement le champ intellectuel ». C’est une évidence ! Mais baragouiner en français aussi, avec cette différence : il est plus difficile à apprendre le baragouinage français que le baragouinage anglais. Les « réfugiés » des cours d’apprentissage du français qui se ruent ensuite sur les cours d’apprentissage de l’anglais en témoignent. C’est peut-être triste à dire, mais le constat est incontournable. Donc, il faut savoir de quoi on parle: l’anglais peut être une langue difficile à parler couramment, certes. Mais pour accéder aux « concepts raffinés, complexes, subtils » du français, encore faut-il franchir les premiers mois de son apprentissage, pour l’approfondir ensuite. Pour ces premiers mois: le français n’est pas compétitif. Dire cela n’a rien à voir avec un dénigrement de la langue française: par contre, se voiler la face avec cette réalité relative à l’apprentissage du français, c’est aller tout droit dans le mur (et c’est ce qui se passe actuellement). Pour comprendre cela, peut-être faut-il être étranger ou français d’origine étrangère… Si la francophonie n’a « pas forcément intérêt à se noyer dans la mondialisation », on est bien d’accord, il faut quand même qu’elle attire du monde qui ait envie d’apprendre sa langue (dans un contexte de compétition linguistique). Avant de former des Proust, Sartre ou autre Gary (à supposer qu’il faille que le monde francophone ne soit composé que de grands esprits…!) , encore faut-il baragouiner français et « entrer en francophonie ». Ce sont les petits ruisseaux qui font les grands fleuves. Et « si la francophonie économique échoue », cette question de l’entrée populaire et facile dans la langue française se posera encore plus dramatiquement. S les élites françaises veulent faire du français une langue difficile d’accès (je répète: « d »accès ») alors elles resteront entre elles, mises au ban d’un monde qui avancera sans elles (c’est d’ailleurs ce que sont en train de faire les élites françaises partisanes de cette prétendue « écriture inclusive » qui, de fait, va exclure pas mal de monde de la francophonie).

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