Internet  payer les vrais coûts et se libérer des algorithmes

Internet : payer les vrais coûts et se libérer des algorithmes

Face aux dégâts environnementaux et intellectuels de la diffusion sans limites de tous les contenus transitant sur le réseau mondial Internet, il me semble que la question de l’internet payant proportionnellement aux coûts mérite d’être (re)posée. D’autant que cela éviterait les inconvénients sociétaux du financement actuel.

Brusquement, la presse internationale, et pas seulement économique, se passionne pour les dégâts causés par l’usage d’Internet sur l’environnement. Cela s’ajoute aux critiques plus anciennes sur l’environnement mental de ses utilisateurs.

Les spécialistes se disputent sur les différentes réformes à apporter. Il me semble pourtant que la solution est simple : répercuter à l’utilisateur la vérité des coûts, ce qui aurait aussi comme avantage de se passer des algorithmes actuels et de leurs effets pervers.

Les dégâts physiques des usages d’Internet

Jusqu’à présent, la masse des utilisateurs ne pensait pas à la fabrication puis à la destruction de leurs appareils électroniques, ni aux infrastructures nécessaires à leur fonctionnement. L’état d’esprit est en train de changer rapidement.

Par exemple, on se demande aujourd’hui si un journal papier est vraiment plus polluant que sa version numérique, car la fabrication du papier a fait de grands progrès en consommation de bois, d’énergie et d’eau, alors que les infrastructures nécessaires aux journaux numériques deviennent gigantesques.

La fabrication

Une partie croissante des 8 milliards d’habitants de la planète est maintenant raccordée, indépendamment du niveau de développement : même des tribus isolées en Afrique ont adopté depuis quelques années les téléphones portables. Ils sont devenus indispensables pour toucher un médecin ou faire des paiements puisqu’il n’y a ni praticien ni banque. Quant aux masses asiatiques, le raccordement date déjà de quelques années.

Donc, avec l’augmentation du nombre des utilisateurs il se construit chaque année des milliards d’objets électroniques : tablettes, ordinateurs, téléphones intelligents, télévision connectée, ainsi que les infrastructures nécessaires.

Dans un appartement parisien que je connais bien, il y a 6 de ces objets pour 2 personnes. Il faut y ajouter l’arrivée de la fibre (trois fournisseurs, j’espère qu’ils se partagent l’infrastructure physique), et une boîte de raccordement et d’émissions de Wi-Fi (la « box »), une antenne 4G sur le toit et même maintenant une antenne 5G.

Pour installer tout cela, il a fallu d’énormes besoins en énergie pour l’extraction et le travail des métaux nécessaire. Un ordinateur nécessite par exemple 240 kg de combustible fossile, 22 kg de produits chimiques et 1,5 t d’eau. Il s’y ajoute l’énergie nécessaire au montage et à la circulation des pièces détachées en amont.

Les déchets

La durée de vie d’une grande partie de ces matériels est de 3 à 5 ans. Ensuite ils sont rangés dans un tiroir ou jetés. Une partie de leurs composants, pourtant précieux, est perdue.

Ceux des matériels qui ont été triés partent dans les pays pauvres, après une seconde vie dans 20% des cas. On (souvent des enfants) y récupère sommairement ce que l’on peut. La Chine vient d’interdire ces importations de déchets, pas seulement électroniques d’ailleurs, d’autres pays ont suivi et il ne reste que les plus misérables pour les accepter.

C’est dans ce contexte que j’ai noté la promesse d’Apple de faire elle-même son recyclage. Encore faudra-t-il que les appareils lui reviennent. Espérons que cet exemple s’étendra à d’autres fabricants.

La consommation d’énergie pendant l’utilisation

Pendant longtemps, on s’est concentré sur les cas extrêmes du minage c’est-à-dire la fabrication numérique des cryptomonnaies, dont la plus connue est le bitcoin.

Les consommations d’électricité sont telles que ce minage a été interdit d’abord en Chine, puis dans d’autres pays. Or la technique de la blockchain et du minage est en train d’être élargie à d’autres applications, la « finance décentralisée » et des services non financiers. Cela se développe du fait de ses avantages, en particulier celui de pouvoir fonctionner sans autorité centrale.

Une autre consommation massive d’énergie est en train de se mettre en place, celle de la mise en place du Metaverse, un univers parallèle destiné, dans l’esprit de ses promoteurs à prendre une importance fondamentale dans la vie quotidienne de chacun. Il ne s’agit pas ici de spéculer sur l’avenir de cette nouvelle idée, mais simplement de rappeler qu’il y aurait là une nouvelle consommation importante d’énergie.

D’autant que ces univers virtuels risques de se multiplier. Après le metaverse américain annoncé par Facebook, on parle par exemple d’un métaverse chinois qui serait contrôlé par le pouvoir, pour éviter que les citoyens ne s’égarent dans des espaces virtuels occidentaux.

Il y a aussi tout simplement l’énergie nécessaire au fonctionnement courant des appareils : messages, photos, vidéos etc.

Elle est notamment massive dans les centres de données (data centers) utilisés pour le relais et le stockage des données. Chacun de ces centres consomme beaucoup d’énergie, dont une partie pour les refroidir !

Il faut également de l’énergie pour le fonctionnement des câbles de sous-marins, après en avoir consommé pour les construire et déposer. Et on pourrait faire ainsi le tour de toutes les infrastructures.

Ces infrastructures nécessitent d’énormes consommations de béton, de câbles et d’acier, le tout surdimensionné pour faire face aux pointes d’activité.

La production de ces matériaux demande l’énergie, donc l’extraction massive de charbon dans de nombreux pays, la construction de centrales électriques ou de barrages et finalement consomme 10 % de l’électricité mondiale.

Tout cela est presque invisible, physiquement et financièrement, pour l’utilisateur de base, dans la mesure où sa consommation n’est pas facturée proportionnellement à son usage, ce qui le déresponsabilise.

Les dégâts intellectuels

Il n’y a pas que les défenseurs de l’environnement qui cherchent à limiter l’activité sur Internet.

Les critiques pointent l’auto-intoxication de groupes de plus en plus divergents, la diffusion de fausses nouvelles qui peuvent avoir un impact sanitaire catastrophique, ou qui sont volontairement répandues par des ennemis politiques.

C’est ce que les Russes ont réussi au Mali et au Burkina, où la population est maintenant persuadée que les troupes françaises aident les djihadistes et pillent les ressources naturelles du pays.

Et l’idée selon laquelle tout cela est compensé par une pression en faveur de la liberté intellectuelle et politique n’est plus d’actualité, non seulement pour les raisons ci-dessus mais aussi et surtout par ce que les régimes autoritaires ont réussi à contrôler toute expression personnelle.

Les contrôles et régulations

Ceux des régimes autoritaires

Les régimes autoritaires contrôlent maintenant l’Internet national, soit en le coupant pour gêner des manifestations, soit par des moyens beaucoup plus sophistiqués.

En Chine, « la grande muraille numérique » de l’Internet (le firewall) a maintenant plus de 20 ans et le citoyen de base ne peut savoir de ce qui se passe à l’étranger que ce que la propagande nationale autorise et souvent déforme.

La population de Hong Kong qui pouvait s’informer librement et éventuellement informer des amis de l’intérieur a perdu sa liberté.

À ce contrôle de l’Internet national s’ajoute la création et l’animation de médias spécialisés dans « l’influence » comme les plates-formes VK, RT et Sputnik pour la Russie, avec des tentatives d’influence sur le référendum du grec (2016), catalan (2017), les élections américaines de 2016 et les élections françaises de 2017. Sans parler des piratages et harcèlement d’opposants.

En interne, les Chinois ont limité le nombre d’heures hebdomadaires de certains programmes pour enfants (40 minutes par jour pour Tik Tok en dessous de 14 ans)

Le débat dans les démocraties

Aux États-Unis, certains envisagent d’en finir avec la neutralité du net, c’est-à-dire l’égal accès de tous à l’ensemble des services.

Pour cela, il y aurait par exemple l’attribution de priorités d’usage : un hôpital passera avant le porno, et on déterminera toute une gamme d’utilité décroissante, les moins utiles devant attendre que les plus utiles soient satisfaits.

Le problème est qu’au-delà de cet exemple facile de l’hôpital avant le porno, il sera très difficile d’établir cette gamme d’utilités décroissantes.

Faudra-t-il classer le télétravail par nature d’entreprise ? On voit qu’il faudra beaucoup de temps pour finalement prendre des décisions arbitraires qui soulèveront des protestations.

Sauf cas extrême, comme l’hôpital, ce n’est pas réaliste.

Alors que faire ?

Payer les coûts directs et stopper les algorithmes

Les libéraux, et les praticiens de l’économie concrète vont immédiatement penser au rôle du marché. En effet, qui arbitre entre la carotte et la salade ou entre un logement à Paris ou en banlieue ? Le marché !

On en est très loin car la consommation marginale est apparemment gratuite et ne rencontre pas de limite… Pour l’instant.

Par ailleurs l’Internet n’a pas seulement les coûts et les inconvénients que nous avons signalés. Il a aussi des avantages fantastiques, ce qui explique d’ailleurs sa croissance. Il faut donc trouver un mécanisme qui concilie ces impératifs contradictoires.

Commençons par rappeler comment se passe actuellement son financement.

Le système actuel de rémunération d’internet…

Aujourd’hui l’usager paye en général un abonnement téléphonique et parfois des abonnements spécifiques et le stockage des données à partir d’un certain volume.

Parallèlement, des entreprises spécialisées comme Facebook (qui vient de se rebaptiser en Meta, pour signifier son virage vers le métaverse) collectent les données des usagers, les communiquent, moyennant redevance, à des entreprises qui les utilisent pour des publicités ciblées destinées aux usagers.

Nous avons vu qu’il s’agit non seulement de publicité commerciale mais de plus en plus souvent d’interventions politiques masquées. Les algorithmes utilisés à cette occasion, outre ces publicités regroupent les usagers par affinités, d’où les inconvénients signalés plus haut.

… devrait être remplacé par une facturation répercutant les coûts

D’où l’idée que c’est le marché, s’il reflète les coûts, qui se chargera de la sobriété, ou, pour parler carrément, du rationnement par l’argent.

Ce terme va inévitablement choquer le grand public. C’est bien pourtant ce qui se passe dans la vie courante où chacun fait ses choix en fonction de son budget.

Le marché mettra en évidence que le plus coûteux est la vidéo à la demande, puis les jeux en ligne puis les échanges de photos.

Il faudrait aussi faire payer (très légèrement) les messages électroniques, car s’ils sont peu coûteux individuellement, il ne faut pas oublier qu’il y en a 10 milliards par heure, ce qui équivaut à la production de 15 centrales nucléaires.

Et surtout ce serait complété par une interdiction d’utiliser les données des utilisateurs, sauf si ces derniers choisissent de les monnayer. Les données n’appartiendraient plus à un fournisseur, mais à des utilisateurs devenus client directs.

Cela aurait pour effet de supprimer les algorithmes menant aux publicités ciblées. Cela libérerait du trafic, puisque ces publicités utilisent largement des images, voire des vidéos. Allègement qui s’ajouterait à celui de la diminution du streaming devenu coûteux.

Surtout cela éviterait de renforcer les groupes dans leurs propres convictions, et rendrait beaucoup plus difficile la circulation des fausses nouvelles ou de l’influence politique.

Bref cela supprimerait une partie des inconvénients intellectuels signalés plus haut.

 

En résumé, une tarification reflétant les coûts atteindrait deux objectifs de nature différente : diminuer la consommation d’énergie et sortir du système moutonnier actuel des réseaux sociaux.

On peut aussi imaginer des règles du jeu aussi différentes amèneront une foule d’innovations techniques et commerciales, ouvrant à l’Internet un avenir que personne ne peut imaginer aujourd’hui.

Yves Montenay

12 commentaires sur “Internet : payer les vrais coûts et se libérer des algorithmes”

  1. Une bonne blague ! J’ai deux logiciels bloqueurs de publicité sur l’ordinateur. Or, il m’est impossible de laisser un commentaire si je ne les désactive pas. En réalité, votre site se nourrit aussi de la pub, tout au moins indirectement.
    Deuxième bonne blague. Vous écrivez « interdiction d’utiliser les données des utilisateurs ». Mais, qu’essaient de faire les gouvernements français successifs et quels sont leurs résultats ? Il semble que la collecte non-consentie des données utilisateurs relève plutôt du contrôle d’internet. Or les GAFAM, eux, contrôlent internet. Ouille Ouille !

    1. Je ne suis pas un président de GAFA, je ne suis pas un responsable politique, je suis un analyste. Je fais une synthèse de ce que certains connaissent très bien, mais le grand public beaucoup moins bien.

  2. Pour ce qui est de l’utilisation des données, la RGPD est en vigueur depuis quelques années déjà en France…
    Un site internet est censé signaler une collecte de données et demander l’autorisation.
    Il est possible que tous ne le fasse pas en pratique (avec des risques de sanctions), mais il y a bien déjà un cadre juridique.

    1. Oui, mais apparemment ça ne marche pas car la grande majorité clique sur « tout accepter » pour aller plus vite. Mais on sort de l’objectif de l’article qui est de lancer une réflexion sur les coûts et le lien entre mode de facturation et algorithmes. Aux responsables privés ou publics de voir comment y mener.

  3. Attention, tarification par les couts conduit à revenir 40 ans en arriere, au minitel et a sa facturation à la minute ! L’internet a apporté un réseau de transmission performant, et son usage sans limitation ( l’internet fixe, pas le sans-fil ). Il a malheureusement été  » phagocité  » par des entreprises qui ont profité de la paresse des utilisateurs pour tout faire à leur place, et » gratuitement « . La microinformatique permet à chacun d’utiliser l’internet, en stockant et traitant ses données lui même. Cela demande un peu d’efforts, et un état d’esprit volontariste. Je pense que deux solutions sont possibles, celle que vous évoquez, definie par des regimes autoritaires, peu souhaitable en occident. L’autre serait de former, d’informer les gens, et aussi de montrer l’exemple. Comme par ex , pour l’ Etat, de s’interdire l’utilisation des réseaux sociaux et plus generalement des Gafa. Je suis scandalisé par l’utilisation de facebook par le ministere des finances, ou de twitter par le President Macron !

    1. Sur le plan technique, je pensais davantage à une tarification au volume qu’à une tarification au temps passé. Je ne pense pas qu’il faille d’imposer, mais faire en sorte que l’on ait intérêt à l’utiliser. Aux spécialistes de voir.

      Par ailleurs, on ne peut pas reprocher à des responsables, politiques ou pas d’utiliser ce qui existe et là où il y a des lecteurs. Mais je pense effectivement qu’il faut en sortir.

      1. tarification au temps, tarification au volume, cela entraine des couts techniques importants, puis des politiques commerciales plus ou moins compréhensible, comme celles des operateurs gsm. La  » beauté  » de l’internet, c’est justement une utilisation à la demande, sans contrainte, d’un réseau de transport performant, sachant par nature agreger des flux de toute nature, des données, des sons, des images.

        1. La meilleure beauté, ce serait effectivement que tout soit gratuit et sans limite. Mais qui paiera les infrastructures, les dégâts climatiques etc. ?

          1. les infrastructures de transmission sont payées, largement, par l’abonnement à son fournisseur d’acces internet, d’environ 40 €/m pour une liaison en fibre optique.

          2. Oui, ça c’est clair, mais si il y avait moins de consommation (ou si elle augmentait moins vite) on aurait besoin de moins d’infrastructures, tant financièrement qu’écologiquement (matériaux, énergie…). Et puis c’est justement ce système d’abonnement au fournisseur qui rend nul le coût du trafic quelque soit la quantité. D’où mon insistance sur ce point : si on payait un abonnement pour sa nourriture, il y aura probablement beaucoup plus d’obèses et de déchets.

  4. Pourquoi pas une tarification comme l’eau: D’abord un abonnement à un prix variable suivant le débit maximum du compteur et ensuite en fonction de la consommation réelle à laquelle on pourrait incorporer une redevance pour l’auteur de ce qui est lu. Cela ferait un bon nettoyage des pubs infernales et des appareils branchés en permanence.

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