Vieillissement on n’échappe pas à sa démographie !

Vieillissement : on n’échappe pas à sa démographie !

Retour sur ma contribution au groupe de travail de l’Institut Chiffres et Citoyenneté sur les mesures à prendre face au vieillissement et à la perte d’autonomie, où je suis intervenu pour parler de la composante démographique de ces questions.

Le problème est mondial, mais se pose avec une acuité accrue en France du fait de son histoire démographique. 

L’actualité des questions soulevées par le vieillissement de la population française, ne provient pas du livre récent consacré aux maltraitances en EHPAD, mais à 3 facteurs conjugués :

  • l’arrivée au grand âge de la génération du « baby boom »,
  • l’allongement de la vie (*)
  • un taux de natalité inférieur à celui du renouvellement des générations.

Pourquoi la situation des EHPAD n’est pas prête de s’arranger

 

C’est un phénomène mondial, y compris au fond de l’Afrique, mais qui est accentué en France par la vigueur du baby-boom de 1945 à 1973.

Dans les autres pays, où la fécondité est souvent nettement plus basse qu’en France, le problème se pose de manière plus progressive, mais sera à terme plus aigu qu’en France.

La pyramide des âges en France 

En tant que démographe et ancien chef d’entreprise, j’ai l’habitude d’aborder la question démographique du vieillissement de la population de façon très concrète : ce n’est pas l’argent qui soigne mais des hommes.

Je rappelle la citation de mon maître Alfred Sauvy, polytechnicien, peut-être le père de la démographie mondiale et l’initiateur de l’INED et de l’INSEE dont  j’ai rejoint l’équipe qui l’assistait à la fin du sa vie  :

« La démographie, c’est très simple, c’est dire qu’un enfant de 9 ans en aura 10 un an plus tard. Mais comme c’est trop simple, tout le monde l’oublie ».

Propos illustré par notre pyramide des âges : 

Pyramide des âges France 2020
Pyramide des âges France (2020)

Cette pyramide nous rappelle d’abord que le baby-boom a duré jusqu’en 1973. Il y a donc des boomers de 50 ans et moins !

Ils arriveront donc dans les EHPAD jusque dans les années 2055 en prenant un âge d’arrivée de 85 ans. Cela après un plateau à un niveau élevé jusque vers 2050.

Il y a des projections plus fines à faire à partir de la notion de « durée de vie en bonne santé » lorsque les spécialistes se mettront d’accord sur une définition mesurable et notamment pas trop subjective.

On parle actuellement de 85 ans, c’est pourquoi j’ai choisi cet âge pour ce qui précède. Évidemment tout dépendra de la situation sanitaire des plus de 85 ans dans les 30 années qui viennent.

Démographie française : virus, retraites, immigration et émigration

Cette pyramide des âges nous montre aussi que la réforme visant à décaler les départs à la retraite de 62 à 65 ans donnerait un gain « brut » d’actifs de 2,2 millions dont 1,2 million de femmes.

Il est très difficile de savoir combien sur ces 2,2 millions feront encore partie des actifs au travail :

  • il y aura une certaine proportion de femmes au foyer,
  • Certaines pourront avoir en parallèle une activité bénévole, notamment auprès de leurs parents ou au sein d’associations.
  • D’autre seniors pourront être en congé maladie ou souffrir d’une incapacité.
  • Enfin certains certains manqueront de qualification professionnelle, notamment en numérique : ce sera autan de de formations à prévoir et de formateurs qualifiés à recruter…

De toute façon, même si le nombre final des nouveaux actifs « créés » par le recul de l’âge de la retraite sera très nettement inférieur à 2,2 millions, ce sera néanmoins une ressource importante d’actifs.

Ces actifs maintenus en emploi pourront servir directement pour l’encadrement des EHPAD ou indirectement par l’intermédiaire d’autres métiers qui auront moins besoin de recruter.

Qu’entend-t-on par « actifs » ?

J’en profite pour signaler aux spécialistes un problème accessoire mais important : choisir des termes précisément définis et ayant un sens voisin de celui du langage courant.

Par exemple le mot « actif » est imprécis.

Les démographes l’utilisent au sens de « classe en âge d’occuper un emploi »  : 25 – 62 ans par exemple, mais cette fourchette est variable suivant les analyses. D’autres parlent d’actifs en prenant le total des personnes « ayant un emploi plus les chômeurs » (et je simplifie) alors que, dans le langage courant, il s’agit de personnes travaillant effectivement.

L’importance des décalages temporels

Cette pyramide des âges nous rappelle enfin l’importance des décalages temporels.

La baisse de la fécondité d’aujourd’hui va dans un premier temps soulager le système scolaire, mais diminuera le nombre d’actifs dans 20 ou 25 ans et celui des « dépendants » dans 80 ou 85 ans !

Et il s’agit d’évolutions irréversibles auxquelles la politique ou la finance ne pourront rien. Sauf bien sûr si une catastrophe naturelle survient déclenchant de fortes mortalités sélectives ou, plus vraisemblablement, des émigrations d’actifs qui ne feront qu’aggraver les problèmes !

Ma conclusion à ce stade est la constatation d’un manque de bras dans les différents secteurs au niveau national. 

On manque de bras et de cerveaux, où sont-ils ?

Salaires et formation restent indispensable, mais …

Bien sûr, les discussions en cours dans le secteur du grand âge vont rendre inévitables la hausse des salaires et de meilleures formations… pour lesquelles, là aussi, il faudra trouver des formateurs…

Mais n’oublions pas qu’au niveau de la nation, cela ne fera que « déshabiller Pierre pour habiller Paul ».

La solution de l’accueil des personnes âgées au sein des familles est la meilleure pour les intéressés mais aussi pour les soignants et pour les dépenses publiques, mais elle butte sur le même problème de recrutement, notamment pour les aides à domicile en cas de dépendance médicale.

Du moins cela limitera les besoins en immobilier coûteux. Et puis, à partir d’un certain degré de dépendance, on cherchera à mutualiser les efforts… et donc à réinventer les EHPAD ! De manière plus efficace qu’aujourd’hui, espérons le.

Comment inverser le cours de la pyramide des âges ?

Nous avons vu que nous étions prisonniers de notre pyramide des âges. Et même qu’elle pourrait se dégrader, par exemple par l’émigration si les jeunes trouvaient trop lourde la charge des vieux.

Cette pyramide peut-elle être au contraire améliorée ? Oui d’une part, de l’intérieur par l’augmentation de l’âge de la retraite que nous avons déjà examinée.

Puis par l’immigration.

L’immigration, au sens large, descendants compris, est déjà largement utilisée. De plus, le personnel de bon niveau, les nounous ou assistantes philippines par exemple, est très demandé mondialement. Et les autres migrants vont nécessiter une formation. Ce sera difficile, mais on n’y échappera pas.

La leçon du Japon et la productivité au sens large

Le Japon nous ressemble, avec quelques années d’avance. Il a lui aussi ses générations âgées, plus nombreuses que celles des jeunes.

Pyramide des âges du Japon d’hier, d’aujourd’hui et de demain

Il est par ailleurs une intéressante « expérience de laboratoire » puisqu’il refuse l’immigration.

Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

La robotisation d’abord. Les robots de compagnie et de distribution de médicaments se sont multipliés au Japon.

Cela ne remplace bien sûr pas le contact humain et ne dispense pas certains soins, mais on peut avoir avec son robot personnel une discussion simple et infiniment moins coûteuse que le déplacement de personnes qualifiées… qui n’existent de toute façon pas en nombre suffisant.

Mais l’impact le plus important est celui de la robotisation des usines qui libèrent de la main-d’œuvre pour d’autres tâches, augmente la productivité et maintient le niveau de vie. Le Japon en est un des champions.

Ensuite, les Japonais ont une meilleure productivité de l’ensemble de leur vie, avec un deuxième travail parallèlement à la retraite.

Enfin, ils pratiquent une sorte d’« exportation de retraités» par exemple vers l’un des nombreux villages philippins spécialisés où l’on peut vivre « comme au Japon » y compris linguistiquement, avec une faible retraite.

Vieillissement retraites et immigration : les leçons du Japon

Pour ceux qui s’intéressent à l’immigration, il s’agit d’une « immigration sur place » à faible salaire, évitant de « polluer » la mère patrie et les multiples problèmes d’adaptation auxquels nous faisons plus ou moins bien face en France.

L’inconvénient de cette « exportation » des seniors est de raréfier les contacts avec la famille, mais les « sans famille » japonais sont de plus en plus nombreux puisqu’une proportion notable de couples n’ont pas eu d’enfants.

Conclusion : la finance ne règle pas le problème démographique

Finalement, il est impossible d’échapper à la démographie par la finance : l’argent ne va pas créer les soignants ou les aidants qui n’existent pas. Et chercher de l’argent à tout prix en taxant encore plus les actifs ne fera qu’aggraver le problème en les poussant à émigrer hors de France.

La solution n’étant pas financière, il faut s’occuper des flux des personnes physiques et de leur formation, ainsi que de la productivité globale de l’économie qui peut dégager des bras par ailleurs.

Le recul de l’âge de la retraite va y contribuer. Pour le reste c’est le travail permanent de toutes les entreprises.

Yves Montenay
Docteur en démographie politique.

 

Merci à l’Institut Chiffres et Citoyenneté pour leur invitation le 12 mars 2022.

 

(*) Etude DREES Espérance de vie en bonne santé à 65 ans 

À l’âge du départ à la retraite, l’espérance de vie progresse régulièrement mais qu’en est-il de l’espérance de vie sans incapacité ? Une étude de la Drees montre que l’espérance de vie en bonne santé en France est supérieure à la moyenne européenne et qu’elle est en augmentation depuis 2008.

L’espérance de vie en bonne santé (sans incapacité) à 65 ans s’établit ainsi en 2020 à :

  • 12,1 ans pour les femmes ;
  • 10,6 ans pour les hommes.

S’agissant de l’espérance de vie à 65 ans sans incapacité sévère :

  • 18,1 ans pour les femmes ;
  • 15,7 ans pour les hommes.

6 commentaires sur “Vieillissement : on n’échappe pas à sa démographie !”

  1. À l’horizon 2060, la natalité pourrait être réaugmentée. (on voit bien historiquement qu’elle varie en moins et en plus).
    L’individualisme et la diffusion complète du contrôle des naissances ont privé les pays riches de la natalité peu voulue des femmes ayant des relations plus ou moins choisies avec des hommes. Une nuit de Paris 1805 effacera les morts de la bataille du jour … selon Napoleon.
    Une partie significative des femmes veulent vivre comme des hommes comme les autres.
    Une partie des femmes sont réfractaires à la relation masculine.

    Mais, perso, je crois (relations multiples) qu’au moins 2/3 des femmes aimeraient avoir 3-4 enfants. Ce sont les conditions actuelles faites aux femmes qui travaillent dans les métropoles qui les dissuadent.
    En plus des voies immigrations et robotisations et retraites dans pays pauvres… ne serait il pas utile d’étudier les conditions qui feraient que les 2/3 des femmes aient 3 enfants ?

    C’est du marketing pour remplacer les contraintes disparues du passé.

    1. L’augmentation de la natalité est souhaitable, mais n’aurait pas de début d’effet avant 25 ou 30 ans (début d’augmentation de la population active et du nombre de parents). Et il faut attendre 65 ans pour que cet effet soit total. Alors que l’effet dans ces domaines de l’immigration est immédiat.

      Par ailleurs, il est exact où les femmes françaises voudraient davantage d’enfants, mais ce qui les freine, les contraintes du travail avec des enfants, et le coût du logement ne vont pas s’arrêter demain

      1. Oui, il y a bcp de choses à améliorer dans la condition faite aux mères. Mais les coûts ne sont pas forcément supérieurs à l’intégration de millions d’immigrants ou la construction de robots ou …

        Un des avantages de booster la natalité serait que le dynamisme du pays serait remonté, bien avant que les français supplémentaires aient 40 ans .

        Il faut se donner les moyens de remonter au dessus de 800 000 naissances, d’abord en cherchant ce qui serait le plus efficace pour permettre au désir d’enfants de se réaliser.

        1. Je suis tout à fait d’accord, je suis emmène Le Site sur la nécessité d’avoir plus de 800 000 échanges parlant naissances par an.
          Par contre pourquoi parler du coût de l’immigration et non de ses apports, soit entre cinq et 10 % de la production nationale.

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