Le dimanche 14 mai 2023 a vu se dérouler 3 élections aux enjeux très importants, dont il est encore trop tôt pour voir les retombées concrètes. Elles ont en commun d’avoir vu des partis démocratiques défier les régimes autoritaires en place dans ces pays, où les élections sont relativement libres, sans parvenir à inverser la tendance pour l’instant.
Ce sont surtout les élections turques qui ont attiré l’attention des médias occidentaux.
En Turquie, Erdogan rate de peu l’élection au premier tour
Dans ce pays, les élections présidentielle et législative n’ont pas du tout correspondu à ce que pensaient, et surtout souhaitaient, les Occidentaux.
Le président Erdogan rate de peu l’élection au premier tour avec plus de 49 % des voix. Au 2e tour, il devrait bénéficier du report des 5 % de voix du 3e candidat, un ultranationaliste partisan de renvoyer les 3,5 millions de réfugiés syriens et de « mater les Kurdes« .
Ce score du président sortant est certes un recul par rapport aux élections précédentes où il était toujours élu au premier tour, mais le résultat est très décevant par rapport aux enjeux.
Le résultat est analogue aux législatives, qui sont à un tour : la majorité détenue par la coalition regroupant le parti du président et les ultranationalistes est reconduite, malgré un recul en nombre de sièges.
Cela gênerait donc considérablement une très improbable victoire de l’opposition à la présidentielle. Avec le résultat si paradoxal d’obliger le nouveau président à user des pouvoirs de l’actuel, contre lesquelles il a fait campagne…
Pourquoi cette défaite de l’opposition démocrate en Turquie ?
Il y a d’abord un facteur attendu à savoir le légitimisme musulman des campagnes et les petites villes qui voient d’un bon œil un gouvernement islamiste.
Il y a aussi trois facteurs inattendus :
- un score convenable du pouvoir dans les zones sinistrées par le tremblement de terre récent, que l’on explique par la nécessité d’avoir des appuis en haut lieu pour obtenir des aides pour la reconstruction,
- plus grave, parce que plus structurel, le vote des jeunes réislamisés par le pouvoir via l’éducation nationale devenue religieuse, qui a fortement diminué la majorité laïque dans les grandes villes. C’est une simple hypothèse, car on manque évidemment d’études approfondies pour l’instant,
- et probablement la personnalité du candidat de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglu, âgé, « trop poli », de religion alévie et d’origine kurde. Ces caractéristiques le rendent sympathique aux partis laïques, mais ont permis au président sortant d’évoquer un non musulman et un allié des terroristes (les Kurdes bien sûr). Beaucoup de Turcs regrettent que les arrangements politiciens aient conduit à ce choix, et non à celui du maire d’Istanbul plus jeune et mieux connu.
Les Occidentaux, et en particulier l’OTAN, se résignent : « il faudra faire avec » cet allié très particulier.
En Thaïlande, un succès électoral pour l’opposition… qui ne changera pas la donne
Depuis 2014, le pays a beaucoup changé.
Le vieux roi Bhumibol Adulyade très respecté, qui intervenait peu en politique durant son règne de 70 ans, a été remplacé à sa mort en 2016 par son fils Rama X, plus autoritaire et moins proche du peuple, puisqu’il passe la majorité de son temps en Allemagne. Les militaires ont pris le pouvoir en 2014 et s’appuient de fait sur le roi.
En face, deux partis d’opposition Move Foward (151 députés / 500) et Pheu Thai (141 députés), viennent de remporter un bon succès électoral… mais ce n’est pas pour autant que le pouvoir leur sera confié.
En effet le premier ministre est élu par le Parlement constitué du Sénat et de la Chambre des députés réunis, comme en France.
Or les 250 sénateurs sont constitutionnellement choisis par l’armée, et les élus se disputent les 500 sièges de la chambre. Il faut donc que l’opposition gagne 380 sièges pour avoir une majorité !
Les partis d’opposition viennent d’en gagner 292, mais cette large majorité à la Chambre ne leur donne malheureusement pas la majorité au Parlement. Les autres partis sont soit favorables aux militaires, soit courtisés par les 2 camps.
Des mouvements populaires sont donc à prévoir… mais dans tous les pays et à toutes les époques, il a toujours été très difficile de retirer le pouvoir à l’armée.
En Inde
C’est le plus démocratique des 3 pays évoqués, mais la dérive de son premier ministre Naranda Modi vers un autoritarisme croissant fait que les observateurs internationaux ajoutent maintenant de sérieuses réserves à la qualification de l’Inde comme « première démocratie mondiale ».
Certes, la situation des libertés politiques y est infiniment meilleure que chez son rival chinois. Mais les principaux leviers sont entre les mains du premier ministre Naranda Modi qui détient le pouvoir dans les médias et exerce un « capitalisme de connivence ».
Et son idéologie proclamant que l’Inde, constitutionnellement laïque, est de religion hindoue et qu’il est donc « normal » de réprimer de 1000 façons les minorités musulmane – qui représentent entre 150 et 200 millions d’Indiens quand même ! – et chrétienne.
Cela commence à inquiéter l’électorat, malgré le succès économique.
Elections au Karnakata
L’Inde est un pays fédéral, et il y avait ce dimanche une élection déterminant le gouvernement d’un pays fédéré, le Karnakata. Pour ceux qui connaissent mal le poids des pays fédérés aux États-Unis, en Suisse et ailleurs, je précise que le Karnakata est comparable au Québec, ayant sa langue propre, le Kannada, mais est environ 10 fois plus peuplé que ce dernier avec au moins 65 millions d’habitants.
C’est par ailleurs l’État clé en matière de nouvelles technologies, et sa capitale, Bangalore, est très souvent citée comme l’équivalent indien de la Silicon Valley.
Ce pays était gouverné par le Bharatiya Janata Party, parti indien du premier ministre, mais le BJP s’est fait sévèrement battre au profit du parti du Congrès.
Ce dernier, social-démocrate assez nettement socialiste, a gouverné l’Inde de l’indépendance à 1996. Il a perdu le pouvoir du fait de son échec économique, et les libéraux du premier ministre actuel ont permis à la croissance de démarrer enfin.
Aujourd’hui, on évoque l’Inde comme une future Chine, mais démocratique.
Je viens d’assister à un débat privé où sont intervenus deux cadres de très grandes entreprises françaises implantées en Chine et en Inde, disant se trouver sur un terrain relativement familier en Inde, et que ça contrastait avec les mystères, les incompréhensions culturelles et le harcèlement politique et économique auxquels ils sont soumis en Chine.
Il n’en est que plus regrettable que ces libéraux indiens opèrent un tel virage autoritaire pour imposer leur religion hindoue, dont certains aspects sont discutables; tels que les castes et de multiples autres superstitions.
Là aussi on ne sait pas si cette défaite va être considérée comme un avertissement amenant le gouvernement à se démocratiser, ou au contraire si elle le crispera dans un autoritarisme croissant.
En conclusion
Ces 3 élections dans des régimes autoritaires mais où les élections semblent se dérouler correctement, ont montré un progrès de l’opposition démocrate, net en Thaïlande et en Inde, beaucoup plus limité en Turquie. C’est satisfaisant d’un point de vue de la liberté de vote, et d’un non trucage des résultats, mais mène à constater que l’autoritarisme se maintient néanmoins, notamment par son contrôle des médias et son utilisation des forces traditionnelles : royauté et armée en Thaïlande, religion en Inde et en Turquie.
Yves Montenay