Controverses sur l'arabe en France

Controverses sur l’arabe en France

Selon L’Institut du Monde Arabe, l’arabe serait « la deuxième langue parlée en France ». Nous allons voir pourquoi, même si c’est probablement vrai, cela donne une idée fausse de la place de cette langue chez nous.

Voyons d’abord qui parle arabe en France, puis en quoi cette langue pourrait concurrencer du français, influencer la civilisation française ou même, pour parler sans détours, constituer une porte d’entrée à l’islamisme ?

Il y a deux langues arabes

On utilise souvent le même mot « arabe » pour deux langues différentes.

Les parlers maghrébins

La masse des locuteurs auxquels on pense en France sont d’origine maghrébine. Ils utilisent des parlers assez divers, que l’on regroupe dans ces pays sous le nom de darija.

La darija : enfant du triangle français – arabe – tamazigh (berbère)

Ces parlers sont d’usage populaire et familial, ils ne sont pas écrits, sauf de manière informelle et non standardisée dans les téléphones portables et la presse populaire.

Et ils varient d’un endroit à l’autre. À Casablanca par exemple les nombreuses personnes l’appellent « le marocain » par opposition à l’arabe.

À part certaines chansons à la mode, ces parlers n’ont pas de textes de référence constituant une bibliothèque. Leurs usages restent très pratiques, loin de la littérature, de la science, du droit….

Par ailleurs ce n’est pas une langue religieuse et elle ne sert pas d’expression à l’islam. Elle a apporté avec elle en France une culture populaire, en cuisine par exemple.

En France, elle est parlée à la maison avec les parents, rarement entre copains, et se réduit à quelques mots au fil des générations.

Sa situation est un peu analogue à celle des langues locales en France, avec comme différence l’arrivée du Maghreb de quelques dizaines de milliers de locuteurs supplémentaires annuels.

Faut-il sauver les langues menacées : occitan, corse, berbère… ?

Ce chiffre de 3 millions paraîtra faible à certains, je le justifierai plus bas

L’arabe standard

C’est le nom de l’arabe moderne, auquel on rattache ses variantes littéraires et coraniques.

Il n’est connu en France que d’un petit nombre de gens instruits ou religieux, en général enthousiasmés par cette langue qui a de grandes vertus littéraires et poétiques.

Cette langue est parlée, lue, écrite, déclamée, scandée et dispose d’une immense bibliothèque. (lien)

Disons qu’elle a en France, pour les Maghrébins et orientalistes, une place grossièrement analogue à celle du latin il y a deux ou trois siècles.

Bien sûr la situation est différente dans le monde arabe, où elle bénéficie de la généralisation de la scolarisation dans cette langue, et du fait que les variantes parlées autres que maghrébines n’en sont pas très éloignées.

Qu’on apprenne cette langue pour des raisons littéraires ou commerciales est tout à fait légitime. Elle devrait figurer normalement dans les cursus scolaires et universitaires français, avec des réserves dont nous parlerons plus bas

Cette langue n’est pas familiale en France, sauf exceptions, et doit être apprise dans des cursus publics ou privés, souvent dans des mosquées.

Ce n’est pas elle qui est « parlée » par 3 millions de personnes.

Combien de locuteurs ?

L’institut du monde arabe nous parle de 3 millions de locuteurs, donc des parlers maghrébins sans faire la distinction entre ces deux langues, pourtant très différentes. En toute amitié pour l’institut, je pense qu’il essaie de gonfler l’importance de son enseignement.

Pour un démographe, ce nombre est relativement faible par rapport aux résidents français d’origine maghrébine et leurs descendants. Cela vient de ce que seulement que seule une partie des immigrants du Maghreb importent ces parlers maghrébins en France.

En effet, une partie importante d’entre eux parlent non pas l’arabe mais le kabyle (comme je peux le vérifier dans mon quartier du marché d’Aligre) ou d’autres langues berbères, qu’ils transmettent plus ou moins à leurs enfants. Or le kabyle et ces langues bérbéres n’ont rien à voir avec l’arabe.

Une autre partie des immigrants maghrébins ont le français comme langue familiale. Il est impossible d’en connaître la proportion, faute de recensement, mais elle est également notable.

Le reste des arabophones provient en général du Moyen-Orient, principalement du Liban et d’Égypte. Ils savent parler l’arabe standard et une forte proportion est chrétienne.

Presque tous ont comme langue familiale le français.

Parler, oui mais lire et écrire ?

À cette occasion, on constate une ambiguïté du mot parler : s’agit-il de « savoir parler » ou « utiliser fréquemment » ?

Dans le premier cas, c’est une richesse, dans le deuxième cas, certains estiment (ou font semblant de craindre) qu’il pourrait concurrencer le français dans certains milieux, voire mener à des demandes d’autonomie, comme c’est le cas en Corse.

Cette distinction est importante.

Quand quelqu’un dit « je parle français (ou anglais) » on suppose qu’il sait le lire et plus ou moins l’écrire et qu’il s’agit de la langue standard.

Or peu de gens en France savent écrire l’arabe, à part une partie de ceux qui ont été scolarisés au Maghreb.

Et la deuxième génération, comme les suivantes, le sait encore moins, car elle a été élevée dans le système français, où seuls 3% des collégiens et lycéens décident de l’apprendre, selon l’institut du monde arabe.

Bref, ne savent vraiment écrire l’arabe (plus que quelques mots) que des militants ou des orientalistes.

Et si les militants veulent transmettre la langue aux enfants, il faut leur imposer des cours spéciaux, dont nous parlerons plus bas.

Or une langue qu’on ne sait ni lire ni écrire ne peut jouer qu’un rôle secondaire et ne peut pas concurrencer la langue officielle.

C’est le cas de la majorité des langues dans le monde, que ce soient certaines langues locales en France ou telle « petite » langue africaine.

Langue et culture

Derrière cette question de la langue se cache une inquiétude culturelle.

À droite, c’est la crainte d’une « invasion » par une culture différente, notamment des atteintes à la laïcité et plus généralement à l’amour de la France et de ses valeurs républicaines.

Commençons par un détour par la notion de « culture ». On sait qu’en France ce terme recouvre deux notions assez différentes.

Traditionnellement, les Français donnaient au mot « culture » un sens littéraire ou scientifique, élitiste et positif, qui peut être portée par l’arabe classique, mais ne correspond pas à la culture associée à la darija.

Pour cette dernière, c’est plutôt le mot allemand « Kultur » (genre de vie, coutumes …) qui correspond à ce qu’apportent les Maghrébins. Dans ce dernier cas, beaucoup d’exemples sont anodins comme par exemple le couscous…

Parmi les inquiétudes plus justifiées, il y a la crainte que l’enseignement de l’arabe ne soit utilisé pour la diffusion de l’islamisme ou de coutumes traditionalistes.

Il y a effectivement toute une classe de lettrés tirant du Coran des objurgations multiples, étrangères voire opposées à la culture française, dont le militantisme islamiste ou la supériorité masculine.

Ces lettrés utilisent leur prestige, notamment le fait que la masse ne comprend pas vraiment l’arabe coranique, pour asséner des règles contraires à notre état de droit.

À l’inverse, les orientalistes, ainsi que des Arabes amoureux de leur culture, vous diront que la langue arabe ne se réduit pas au Coran et autres textes sacrés.

Elle comprend aussi toute une poésie, toute une littérature indépendante de l’islam, parce que pré-coranique ou œuvre de chrétiens arabophones, historiquement très nombreux ou encore par d’intellectuels arabes non religieux.

Bref il y a toute une culture arabe qui n’a rien à voir avec l’islam et qui mérite d’être enseignée.

Il y a même des musulmans qui ne veulent pas que leurs enfants suivent des cours d’arabe pour ne pas être « contaminés » par un enseignant islamiste.

L’impact de ces contradictions sur l’enseignement de l’arabe en France

Je citerai d’abord le témoignage résumé d’une musulmane libanaise devenue française laïque, auteure de «Le choix laïque d’une intranquille »

En  2011, elle constate qu’en France, l’arabe n’est enseigné qu’à la mosquée et veut donc monter une structure « républicaine et laïque » pour enseigner l’arabe littéraire, qui séduit ses locuteurs cultivés, arabes ou orientalistes.

Elle s’adresse à la mairie du 11e arrondissement, explique qu’il s’agit de séparer l’apprentissage de l’arabe de celui de l’apprentissage de l’islam, mais on lui rétorque que le sujet est épineux.…

Elle remonte à l’Hôtel de Ville de Paris, même réponse.

Neuf ans plus tard elle constate que le livre de Jack Lang fait un tabac sur le même thème : il faut sortir l’arabe des mosquées et l’enseigner dans les écoles de la république.

Elle fait donc une nouvelle tentative, mais en vain.

En 2016, Nadjette Valliaud-Belkacem, alors ministre de l’Education nationale met fin aux enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO), assurés par des maîtres étrangers, en dehors des heures de classe et non contrôlés par l’Education nationale, donc éventuellement islamistes.

Ils seront progressivement transformés en sections internationales en école primaire, donc sous le contrôle de la République.

Cette introduction de l’arabe dans l’enseignement primaire, au même titre que l’anglais, le portugais, l’italien, l’espagnol, l’allemand… va déclencher des remous, ses adversaires oubliant que l’état de choses précédent était bien pire.

La députée LR Annie Genevard a ainsi regretté à l’Assemblée nationale « l’introduction de langues communautaires » dans les programmes scolaires et estimé que l’enseignement de l’arabe pourrait miner la « cohésion nationale ».

Elle est même allée jusqu’à évoquer un « catéchisme islamique ». Pour la ministre, l’accusation est absurde.

En conclusion : attention aux sous-entendus

La phrase « avec 3 millions de locuteurs, l’arabe est la deuxième langue parlée en France » n’est pas fausse, mais laisse néanmoins une impression inexacte, car la formule « deuxième langue » peut être à tort comprise comme une concurrence au français.

Nous avons vu que ce n’était pas le cas, la majorité des « arabophones » ne parlant en fait que la darija, qui n’a pas d’existence écrite et tend à qui s’éteindre dès la deuxième ou troisième génération.

La vraie question est celle d’un lien avec le sexisme et islamisme : dans ce cas, c’est moins la langue qui est en jeu que l’enseignant.

Cette phrase a également l’inconvénient de donner lieu à des sous-entendus :

  • À droite : « voyez comme nous sommes envahis ».
  • A gauche : « reconnaissons la culture de ces pauvres post-coloniaux »

En effet, la vision du monde arabe, et donc de la langue arabe, varie grandement selon les milieux : voir mon article « Le monde Arabe vu par l’Occident et la France »

Il faut donc bien veiller à donner le contexte de cette « deuxième langue parlée en France » pour savoir de quoi on parle : il ne s’agit pas de l’arabe standard.

Ce dernier est au contraire une langue très peu parlée en France, mais qui d’une part est le support d’une religion et d’autre part a son utilité culturelle, politique ou commerciale.

Son enseignement doit être contrôlé pour ne pas donner lieu aux dérives dont nous avons parlé.

Yves Montenay

10 commentaires sur “Controverses sur l’arabe en France”

  1. Dans la section « combien de locuteurs », le passage sur le kabyle à la fin du 3e paragraphe mériterait à mon avis une relecture.
    Le reste est fort clair, comme toujours avec vous.

      1. On entend tout et son contraire sur ce sujet. Merci de cette synthèse claire qui met les points sur les i.

        1. Entre-temps, j’ai trouvé des indications sur les parler berbères en France. Conclusion : quand on entend un maghrébin parler une langue qu’on ne comprend pas, on a tendance à dire qu’il parle arabe, alors que au moins une fois sur trois, c’est une langue berbère (le kabyle, le schleuh du Maroc du Sud, etc.). Et comme dit dans l’article, dans les autres cas, ce n’est pas du tout l’arabe standard, mais une langue locale, souvent mélange de français, d’arabe et de berbère.

  2. Eclairage intéressant sur un sujet important et délicat . Oui délicat tant que l’arabe est associé à la religion.
    Merci Cher Yves d’avoir cité mon témoignage et mon livre : « Le choix Laïque d’une intranquille ».

  3. Eclairage intéressant pour un sujet important et délicat . Délicat tant que l’arabe est associé à l’arabe.
    Merci cher Yves d’avoir cité mon témoignage et mon livre « Le choix laïque d’une intranquille » .

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