Georges Montenay reconversion après guerre dans la gestion de l'énergie

Georges Montenay : l’essor de l’entreprise après guerre

Dans ce troisième article, je poursuis le récit de la vie de mon père Georges Montenay, dont le parcours d’entrepreneur me semble exemplaire et instructif. (épisode 1 / épisode 2)

A la sortie de la guerre, une réglementation corporatiste empêcha le développement de l’activité de négoce et distribution de charbon, qui était l’activité principale de l’entreprise.

Il fallait donc de nouvelles activités. Il saisit une opportunité, le stockage du charbon sarrois, et prolongea le service de distribution de charbon par la gestion de l’énergie.

Le stockage du charbon sarrois

Le manque de charbon avait traumatisé tout le monde. A l’époque, le charbon était en effet l’énergie dominante, les produits pétroliers et le gaz étaient certes présents mais ils ne se développeront massivement qu’à la fin des années 1950 puis dans les années 60.

La France était sortie de la guerre en vainqueur, vainqueur modeste certes, mais vainqueur quand même. Et elle rêvait de mettre la main sur la Sarre allemande et ses mines de charbon…

La Sarre, dont une partie avait été arrachée la France par les Prussiens en 1815, avait été offerte à la France en 1918, sous réserve d’un référendum. Hélas, ce référendum fut perdu car les nazis avaient bien encadré le pays.

En 1945 la France n’a pas voulu refaire cette erreur et, plutôt que de revendiquer la Sarre, elle s’est contentée de demander sa production de charbon. C’est ainsi que le charbon a fini par arriver massivement en France, mais avec un retard, du fait de longues négociations et probablement aussi des délais de remise en état des mines de la Sarre.

Entretemps, la situation économique avait évolué car les produits pétroliers commençaient à gagner du terrain. Donc on ne savait plus que faire de ce charbon sarrois, charbon que la diplomatie française s’était échinée à obtenir de l’Allemagne malgré les sourcils froncés des Américains !

Je vous rappelle que les Américains ayant rendu démocratiques l’Allemagne nazie et le Japon impérial, en avaient fait des sortes d’enfants adoptés et des alliés prioritaires.

Notre héros bondit sur cette opportunité : « Nous avons l’habitude de manipuler le charbon. Nous allons louer un grand terrain en région parisienne sur la Seine pour le stocker jusqu’à ce que vous trouviez une solution ». C’est ainsi que l’entreprise de Georges Montenay a stocké une énorme masse de charbon sarrois et a été rémunérée pour la manutention et le stockage.

Hélas, un jour le charbon s’est mis à brûler. Les physiciens savent que le charbon a une température qui augmente sous sa propre pression. Comme il s’agissait d’un énorme tas, ce fut le cas et il commença à se consumer. Un de mes premiers souvenirs fut celui des pompiers en train d’arroser ce gigantesque tas de charbon. J’étais trop jeune pour me souvenir de la suite… Je suppose qu’une fois l’incendie maîtrisé, le charbon a été utilisé par EDF.

Gérer l’énergie… au milieu des contraintes familiales

Je rappelle que notre héros était le 4e de 9 enfants. Lors de la succession de son père, puis de sa mère, un mauvais conseiller laissa les parts égales entre les enfants, ce qui ne fut que partiellement corrigé plus tard.

Georges Montenay n’était donc majoritaire qu’avec son frère aîné, Pierre, un autre entrepreneur qui le comprenait parfaitement, ce qui n’était pas le cas des autres actionnaires.

C’est l’occasion de raconter que les 3 frères aînés, Pierre, Louis et Georges (par rang d’âge) développèrent chacun d’assez grandes entreprises. Celle de Louis était en Tunisie, et il la dirigea jusqu’à sa mort en 1985, étant probablement le dernier industriel individuel français de ce pays.

Par contre, les 6 autres enfants ne firent pas preuve des mêmes qualités. Certains se désintéressaient de l’entreprise, mais d’autres faisaient valoir « leurs droits ». Le problème s’aggrava avec leurs enfants, mais n’anticipons pas.

Comme stocker le charbon sarrois dans la région parisienne ne permettait pas d’alimenter en charbon les chantiers de distribution du centre ouest, il fallait trouver autre chose.

Une rencontre fut déterminante pour la suite des événements : Noël Fournier, recruté par son frère Albert Montenay, qui dirigeait nominalement la région de Tours.

Pour les besoins de cet article, j’ai recueilli le témoignage de Noël Fournier avec qui j’ai longtemps travaillé et qui est maintenant centenaire !

Noël Fournier avait participé à la naissance encore informelle du nouveau métier de « chauffagiste » : on ne se contentait plus de livrer le charbon, on gérait également la chaudière. Cela répondait à un besoin des consommateurs autres qu’industriels, c’est-à-dire n’ayant pas d’ingénieur thermicien.

Plus précisément l’application de cette idée à l’entreprise Montenay devenait : « Puisqu’on ne peut pas vendre plus de charbon que notre licence ne nous le permet, nous allons vendre de l’énergie. Si nous assurons la gestion du chauffage, et de fil en aiguille toute la gestion de l’énergie d’un hôpital, et que pour cela nous nous fournissons en charbon directement auprès d’une mine française, qui pourra nous le reprocher ? »

Bien sûr, celui qui livrait auparavant le charbon de l’hôpital verra bien qu’on ne passe plus par lui. Mais que pourrait-il faire ? Un procès ? Ce serait aventureux : le directeur de l’hôpital témoignera que nous lui vendons non pas le charbon, mais un forfait pour 22° garantis, en prenant en charge le matériel et son remplacement éventuel, et des heures de techniciens. Sans parler que cela implique aussi la climatisation et la ventilation, donc l’électricité etc.

C’était un nouveau métier, notamment parce qu’il impliquait des techniciens, très différents des employés des chantiers de stockage et distribution de charbon. Je ne parle pas encore d’ingénieurs, inconnus dans ce monde de semi autodidactes.

Ce métier a été adopté tout d’abord pour faire tourner les chantiers approvisionnant les clients en charbon ou pour rendre un service supplémentaire à de vieux clients.

Mais, rapidement, Georges Montenay pris conscience de l’intérêt de ce métier pour lui-même, indépendamment de l’activité des chantiers de charbon et il créa un nouveau département avec sa dynamique propre. Une dizaine d’années plus tard, nos autodidactes embauchèrent des ingénieurs pour optimiser la gestion de l’énergie. 

L’ascension de Noël Fournier

L’entreprise Montenay était basée à Châtellerault, où Georges était installé, et les affaires de Tours avaient été confiées à un frère cadet, Albert, qui n’était pas un foudre de guerre. En fait, il considérait surtout les affaires comme une occasion de fréquenter d’autres bourgeois, en laissant entendre qu’il était le patron et en faisant le minimum pour justifier son salaire.

Il sentit qu’en faisant travailler Fournier, il pourrait consolider son rôle, du fait des bénéfices à venir de ce nouveau métier. Toutefois, étant plutôt pusillanime, il n’encourageait pas Fournier à prendre de risques pour percer.

Noël Fournier raconte comment il a rencontré mon père : « Un jour, Albert m’avait emmené au chantier de charbon, « le sien », et Georges nous a rejoint, donc j’ai rencontré son frère aîné. Il m’a posé beaucoup de questions et je lui ai raconté mon curriculum. Il n’arrivait pas comme un monsieur qui sait tout, mais comme celui qui veut savoir. »

De fil en aiguille, la divergence entre l’organigramme théorique et la réalité à Tours se fit jour : « Je ne travaillais pas en direct avec Georges Montenay. Il était le patron de Montenay, quand mon supérieur chez Montenay, c’était son frère Albert. Mais pour des questions importantes, Albert m’emmenait voir le patron à Châtellerault et on y abordait les questions importantes à trois. Ça se passait bien parce qu’Albert était craintif vis-à-vis de son frère, qui le surveillait de près, en particulier ses résultats. Il arrivait qu’Albert ne soit pas d’accord avec moi et que Georges soit d’accord avec moi. Donc, au début, les rencontres étaient assez peu fréquentes et seulement pour de grandes occasions. Par exemple, quand on ouvrait de nouvelles activités, il fallait bien sûr choisir des cibles. Alors, je les proposais à Albert et on allait voir Georges. »

L’essor de la gestion de l’énergie pour les grands comptes

Au bout d’un an, la première grande affaire traitée (70 techniciens) ne nécessita plus la présence quotidienne de Noël Fournier, qui se plaignit alors de manquer de travail. Mais Albert préférait se limiter à des petits hôpitaux et jouer au golf l’après-midi…

Noël Fournier raconte :

« Au bout d’un certain temps, j’ai dit à Albert « Écoutez, je m’ennuie. L’après-midi, je n’ai rien à faire, je joue aux échecs. Nous devrions aller plus loin. » Ça a été une occasion de se réunir avec Georges, qui a poussé dans ce sens.

On a alors commencé à regarder de grands hôpitaux. Les plus propices étaient à Châtellerault, le fief de Georges. Je dois dire que j’y ai été reçu comme un ami. A tel point que le directeur de l’hôpital m’a invité à déjeuner, ce qui est rare pour un prospect. Il a dit « j’ai ma chaufferie à haute pression, la buanderie qui donne des signes de faiblesse, pourriez-vous me remplacer la machine à vapeur ? ». J’ai répondu « Pas de problème, je vous change votre chaufferie. ». Ensuite, il a dit « Envoyez moi votre contrat maintenant pour mon hôpital ». Il a expliqué aux médecins que la note de chauffage allait considérablement se réduire, et nous avons signé un beau contrat ».

Ainsi, par synergie commerciale et technique avec les chantiers de distribution de charbon, le nombre de clients en gestion d’énergie a rapidement augmenté là où l’entreprise Montenay était implantée, c’est-à-dire autour des chantiers, ravis de voir arriver de nouvelles livraisons.

En pensant aux débats d’aujourd’hui sur la transition énergétique, je peux témoigner que les économies d’énergie ont été spectaculaires chez ces clients non-industriels, non seulement les hôpitaux, mais aussi dans toutes sortes de bâtiments plus ou moins publics, comme les universités, les HLM…

S’est alors posée la question d’aller géographiquement plus loin que la zone commerciale, tandis que le monde de l’énergie était bousculé par l’arrivée des produits pétroliers, distribués par des groupes puissants comme Total, Esso et Shell… C’est ce nouveau paysage que je vous décrirai dans le prochain épisode !

Yves Montenay

 

Crédit photo à la Une : Pole de l’image Grand Est « Train chargé de charbon sarrois destiné à la France. © Anonyme – Image’Est, Coll. P. Bindschedler – FI-0076-0008. » 

 

Les épisodes précédents :

1 commentaire sur “Georges Montenay : l’essor de l’entreprise après guerre”

  1. En plus de l histoire de Georges cela m a beaucoup intéressé de lire les débuts de Noël Fournier
    Merci de l avoir cité .
    Ça ne m étonne pas !

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