Taper sur « l’immigration » ne résout rien, d’abord, parce que « l’immigration », ça n’existe pas ! Ce qui existe, ce sont les immigrés et leurs descendants.
À droite, on les accuse des violences parfois extrêmes, à gauche l’approche est plutôt angélique. Du coup, les modérés sont très perplexes : les immigrés sont-ils « des diables » ou « des anges » ? Comment légiférer pour n’atteindre que les délinquants ?
Dans ce qui suit, je mettrai le mot « immigration » entre guillemets pour bien montrer que, bien qu’il soit d’usage généralisé, il ne correspond pas à une réalité précise : qu’y a-t-il de commun entre un médecin algérien, un prêtre subsaharien, un informaticien chinois, des caissières supermarchés et des délinquants casseurs, voire meurtriers, notamment les trafiquants de drogue ?
Une obsession européenne
Voilà que « l’immigration » est devenue l’obsession de l’Europe et est à l’origine de la popularité croissante des partis d’extrême droite dans la plupart des pays européens, notamment du FPÖ qui est arrivé en tête à l’élection autrichienne du 29 septembre 2024.
Mais il n’y a pas que l’extrême droite : on constate également une évolution des idées vers plus de sévérité au centre et à gauche :
- Le gouvernement allemand, qui est de gauche, vient de fermer les frontières aux sans-papiers.
- Les Pays-Bas et la Hongrie veulent imiter l’Italie qui a réussi à limiter l’immigration irrégulière.
- Le premier ministre social-démocrate danois veut être « très dur ».
- En France le Rassemblement national a recueilli la majorité relative des voix et le tout nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, veut mettre fin au « désordre migratoire ».
À mon avis le problème est le suivant : comment se conduire face à des communautés dont la très grande majorité des membres sont « normaux » et indispensables à l’économie, mais dont une minorité violente devient insupportable ?
Pour pouvoir raisonner, il faut d’abord rappeler les principales données.
Les chiffres et la réglementation
Commençons par rappeler que l’immigration légale est très strictement définie. Pour immigrer en France il faut appartenir à certaines catégories : regroupement familial, études supérieures, être demandé par un employeur comme précisé plus bas ou être réfugié politique.
Si vous avez un ami qui n’appartient pas à ces catégories, vous constaterez qu’il n’arrive pas à s’installer en France : contrairement à ce qui se dit, il n’y a pas de laxisme en la matière, mais bien des catégories administratives strictes. Reste à savoir si elles sont les meilleures …
Par exemple, pour l’immigration économique, le futur employeur doit démontrer l’absence de main-d’œuvre disponible dans son métier et sa région (« métiers en tension ») et proposer au moins 2800 € par mois.
En France cette immigration légale n’est que de 200 à 300.000 personnes par an.
Il s’y ajoute une immigration illégale, en partie clandestine et donc mal connue (10 à 20 000 par an ?), mais majoritairement non clandestine, les intéressés débarquant souvent de mauvais bateaux fournis par des passeurs et déposant un dossier de réfugié politique pour être régularisés. C’est une procédure qui est longue et qui échoue dans la majorité des cas, mais les intéressés entre-temps ont disparu en France ou dans un pays voisin.
Ces immigrants ne sont pas très nombreux à débarquer sur les côtes françaises, mais arrive en France une partie de ceux venant d’autres pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Grèce.
La donnée de base : nous manquons de bras et de cerveaux
La plupart des arrivants souhaitent travailler, ne serait-ce que parce que leurs familles attendent leur contribution et, pour les illégaux, parce qu’ils doivent rembourser des passeurs. Contrairement à la légende, il n’est pas simple d’avoir des revenus à titre social, je veux dire sans travailler officiellement ou au noir.
Je parle des arrivants et non de la 2e génération, qui par définition n’est pas composée d’immigrés, mais en général de citoyens français (ou qui le deviendront à 18 ans). Le mot « immigration » est cependant utilisé pour ces deux catégories, ce qui embrouille les discours.
Une partie de cette 2e génération pose des problèmes spécifiques qu’il ne faut pas ignorer. On est dans le domaine de la qualité de l’éducation et du maintien de l’ordre et non pas dans celui de l’immigration. Une suspension aujourd’hui n’aurait pas d’effet avant une vingtaine d’années.
Donc les migrants viennent pour travailler, et ils sont les bienvenus pour les employeurs car nous manquons de bras et de cerveaux, ce qui est confirmé par tous les journaux économiques (par ex dans Les Echos : L’économie européenne freinée par des pénuries de main-d’oeuvre exceptionnelles)
Cette réalité est mal connue du grand public qui répond en général « il faut faire travailler les chômeurs ».
Or mon expérience d’employeur m’a montré qu’il y avait très peu de chômeurs disponibles : la plupart de ceux qui ont perdu leur emploi en retrouvent vite un autre, ceux qui restent au chômage ont soit des défauts personnels, soit des exigences particulières (ne pas s’éloigner de leur famille, ne pas vouloir de métier manuel…).
Les immigrés se concentrent dans les métiers dont les Français ne veulent pas
D’ailleurs les immigrés se concentrent dans les métiers dont les Français ne veulent pas : services à la personne, aides-soignants en EHPAD, ouvriers du bâtiment…
D’après le ministère du travail, en 2017 les étrangers représentaient 10 % de l’emploi total, et 39 % des employés de maison, 28 % des agents de gardiennage, 27 % d’ouvriers non qualifiés du bâtiment, 22 % des cuisiniers etc.
Ils sont indispensables à l’économie, et par exemple les nounous permettent à une Française qualifiée d’exercer ses compétences et d’avoir une carrière normale. Et si on y ajoute leurs descendants, on voit que l’économie serait paralysée en leur absence.
Corrélativement, les immigrés sont particulièrement présents dans les PME.
La Confédération des petites et moyennes entreprises s’inquiète des projets de restriction de l’immigration et regrette la longueur actuelle des délais administratifs autorisant les sans-papiers à travailler, ce qui pousse au travail au noir et à la pratique des alias (des vrais papiers prêtés), voire à toutes sortes de trafics. Ce syndicat patronal s’inquiète aussi pour les apprentis, qui se retrouvent frappés d’une obligation de quitter le territoire le jour de leurs 18 ans. Pour la CPME le vrai problème, ce n’est pas l’immigration car elle apporte le personnel manquant, mais l’apprentissage du français.
Les étudiants sont également utiles car soit ils restent définitivement en France nous apportant des travailleurs qualifiés, soit ils retournent dans leur pays dont ils accélèrent le développement et peuvent être des ambassadeurs économiques ou culturels.
Dans les écoles d’ingénieurs et de commerce, il y a de nombreux élèves marocains ou chinois qui ont souvent une très bonne réputation. J’ai par contre constaté au Maroc des cas plus douteux dans des disciplines universitaires moins sélectives, les intéressés venant en fait pour travailler quelques années avec la complicité de l’enseignant qui ne veut pas voir son cours disparaître faute d’inscrits et pare cette démarche de nobles sentiments.
Les positions à gauche
Comme sur d’autres questions, la gauche est profondément divisée.
La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon se réjouit des problèmes actuels qui contribuent à « une situation révolutionnaire » et les exacerbe par des proclamations clientélistes. La récente visite de la députée Ersilia Soudais au militant islamiste en garde à vue, qui avait appelé à « l’intifada, a ainsi été très remarquée.
D’autres partis sont pris entre leur base électorale anti-immigration et leur doctrine égalitariste, poussée souvent jusqu’au multiculturalisme « par respect de toutes les cultures », le tout dans une ambiance d’excuse ou de tolérance de certains abus, par exemple en rappelant que les parents sont d’anciens colonisés.
À droite, on généralise
Le défaut de la droite, et surtout de l’extrême droite, est d’étendre à tous les immigrés les défauts d’une minorité.
Des bac -4 ?
On sait peu que 32 % des immigrés en France ont un niveau d’éducation supérieur à BAC +3 alors que les Français de ce niveau ne sont que 19 %.
Les immigrés contribuent donc à améliorer le niveau de qualification du pays. C’est illustré par la diversité d’origine des champions français aux Jeux Olympiques.
Des parasites ?
Il y a effectivement des fraudes, quelle que soit la nationalité, mais, s’agissant des immigrés, la généralisation est fréquente : « ils » et non « certains », malgré l’évidence de tous les travailleurs que l’on voit tous les jours.
Prenons deux exemples :
- « Ils bénéficient d’une retraite sans avoir travaillé ». Il s’agit de l’ancien « minimum vieillesse » qui est attribué à tous les résidents, donc majoritairement à des Français, d’autant que, vu l’âge des immigrés, ils en bénéficient relativement moins. Et il faut de plus être en situation régulière pour en bénéficier.
- De même, le service qui attribue le numéro de sécurité sociale aux personnes nées hors de France laisserait passer « des millions » de faux documents. C’est un mythe, démonté par magazine Le Point, dans un article étayé.
L’assimilation et le cas des musulmans
« Ils ne s’assimilent pas ». J’ai traité de cette question dans un article précédent et je résume : aucun immigré ne s’assimile, sauf s’il était déjà francisé dans le pays de départ comme c’est parfois le cas dans la bourgeoisie cultivée. Sinon chacun garde tout naturellement sa culture, sa langue (qui est le français pour beaucoup d’Africains) et souvent sa religion. L’assimilation ne se fait qu’à la 2e ou la 3e génération, et est accélérée par les fréquents mariages mixtes.
Pour ces derniers, les statistiques sont imparfaites puisque l’on ne note comme « mixte » que les mariages entre personnes de nationalités (et non de religions) différentes. Pourtant un examen attentif des espaces publics le dimanche illustre la variété des couples, avec, par rapport à il y a quelques dizaines d’années, une multiplication de ceux qui réunissent un « Européen » à une Africaine. C’est probablement dû au niveau scolaire croissant de ces dernières.
Ce sont les musulmans qui sont le plus suspectés de ne pas s’assimiler au fil des générations. Une preuve en serait la grande fréquence des « prénoms arabo– musulmans ». Or ce critère est très imparfait car un certain nombre de prénoms arabes ne sont pas portés par des musulmans, comme Myriam et bien d’autres. Et surtout il s’agit en général de la reprise par respect du prénom d’un aïeul. Je connais par exemple une Leïla qui n’a rien de musulmane, ses parents non plus et il faut remonter jusqu’aux grand-tantes pour retrouver ce prénom. Comme souvent, un mariage mixte est passé par là.
Et même quand il n’y a pas de mariage mixte, l’évolution naturelle lorsque l’on grandit dans le milieu culturel français mène un certain nombre de musulmans à abandonner leur religion.
5 Millions de musulmans ?
Les sondages donnent environ 5 millions de résidents français se déclarant musulmans, alors que ceux qui « devraient » l’être sont impossibles à recenser, mais un calcul grossier donne au moins une dizaine de millions. Cela illustre un abandon massif de la religion au fil des générations, comme pour les chrétiens et les juifs.
Par ailleurs, sont catalogués comme musulmans les migrants venant de pays dont l’islam est la religion officielle, comme ceux du Maghreb, alors que beaucoup n’étaient musulmans que « socialement ». C’est le cas du moins de la grande majorité de ceux que je connais.
Enfin, et surtout, la grande majorité des musulmans ne sont pas des islamistes, et cette majorité se divise entre traditionalistes « tranquilles » et non pratiquants.
Il faut par ailleurs ne pas oublier la grande variété des rites dans cette religion. Certaines confréries comme les Alevis turcs ou les soufis sont particulièrement pacifiques.
Dès la première génération, la grande majorité s’intègre : « l’ascenseur social fonctionne toujours en France ».
Le spectre du « grand remplacement »
De quoi s’agit-il ? C’est l’idée que si rien ne change, « l’immigration », ou plutôt les immigrés et leurs descendants, seront bientôt majoritaires en France.
Cette idée n’est pas confirmée par les ordres de grandeur de l’évolution actuelle. Certes il y a 300.000 entrées par an, tandis que peut-être 200 000 résidents émigrent. Un calcul grossier mène donc au remplacement de 500 000 personnes par an (pour 68 Millions d’habitants), ce qui montre déjà que ce remplacement n’est pas pour demain.
Mais de qui s’agit-il ? Comme dit, une grande partie des descendants d’immigrés sont déjà assimilés, ou le seront : pensez aux Asiatiques, aux chrétiens africains, et à une partie des musulmans comme dit plus haut.
Par ailleurs, une partie des immigrés ou leurs descendants soit rentrent au pays, soit migrent vers des pays à meilleurs salaires ou, pour les clandestins, à moindre contrôle de l’immigration, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, où l’on est dispensé d’avoir ses documents d’identité sur soi.
On ne peut certes pas faire de calcul précis, mais les ordres de grandeur ci-dessus renvoient cet éventuel remplacement par des non assimilés à plus d’un siècle voire à l’infini. Et d’ici là bien des choses changeront de toute façon.
Certains rajoutent que la fécondité des immigrés accélérera ce remplacement. Mais contrairement à ce qui se dit dans le grand public, la différence de fécondité entre Français et immigrés est relativement faible à la première génération et disparaît à la 2e (voir l’enquête « trajectoires et origines »).
A ce sujet, vous pouvez lire mes articles précédents :
Quelques comparaisons internationales
Nos voisins sont encore plus atteints que nous par la baisse de la fécondité et le vieillissement, et donc manque de main-d’œuvre.
L’Allemagne vient d’ailleurs d’accorder une prime à l’embauche pour les étrangers que l’on pourrait faire venir… tout en fermant ses frontières aux sans-papiers comme nous l’avons vu.
En Grande-Bretagne
Les Anglais ont une immigration légale bien plus importante qu’en France alors que leur population est voisine : plus de 700 000 en 2023, venant principalement du sous-continent indien, et ont comme nous une forte émigration.
Mais ils ont une attitude totalement différente de celle de la France. Ils ne cherchent pas l’assimilation et approuvent le multiculturalisme. Je résume sommairement : « ils font ce qu’ils veulent, et si c’est une bêtise (allusion à l’islamisme) tant pis pour eux ». Il y a donc des majorités locales gérant des écoles ou des institutions que nous rejetterions en France.
Récemment une minorité a réagi contre cet état d’esprit, mais une majorité relative (45 % contre 7 %) y reste favorable.
En Espagne
Ce pays accueille une grande immigration hispanophone venant d’Amérique latine, bienvenue du fait du manque de main-d’œuvre.
Mais il voit également arriver des sans-papiers africains. Il est donc entré en négociation avec le Maroc, la Gambie et la Mauritanie pour freiner l’afflux de migrants vers les Canaries, tout en ouvrant des bureaux locaux pour une immigration régulière, si possible saisonnière ou temporaire.
En Italie
La coopération avec la Tunisie et la Libye a permis de « bloquer la moitié des arrivées » tout en facilitant les rapatriements de clandestins. S’y ajoute le renforcement des peines prévues pour les passeurs, la facilitation des refoulements (qui selon Le Figaro ne tiennent plus compte des liens avec des personnes résidant en Italie), ou encore l’encadrement de l’activité des ONG de sauvetage de migrants.
Un référendum ?
Maintenant, un mot sur le référendum envisagé.
S’il s’agit d’une question simple du genre « Faut-il limiter le nombre annuel d’immigrants ? », il est probable que la réponse sera positive et que nous nous trouverons en manque de soignants pour les vieux et de personnes actives pour nos besoins quotidiens.
De plus restreindre immigration légale pousse à la clandestinité et augmente le prix demandé par des passeurs. Est-ce vraiment ce que souhaitent les partisans de ce référendum ?
Si la question posée dans ce référendum vise les vrais problèmes, elle sera beaucoup plus compliquée, et le référendum n’est pas forcément l’outil le plus adapté. Une loi soigneusement débattue serait probablement plus efficace.
Parmi ces « vrais problèmes« , il y a l’exécution des Ordres de Quitter le Territoire, l’arrêt du trafic de drogue (qui touche le monde entier) et le niveau assuré par l’éducation nationale. Dans ce domaine, le recours au référendum ne peut donner que des vœux pieux.
En conclusion
Les vraies questions concernant les immigrés, et non « l’immigration », mot qui n’a pas de sens, sont très différents suivant la génération observée.
Je suis optimiste pour la première génération qui ne cherche qu’à travailler. Les exceptions qui produisent des situations inquiétantes (imams islamistes), voire dramatiques, comme les viols et meurtres récents, doivent être réglées par des accords avec les pays de départ pour les renvois, comme le fait l’Espagne, et par une simplification des dispositions judiciaires concernant les étrangers.
On peut notamment penser que permettre une immigration assortie de permis de travail temporaires (5 ans au Japon) pourrait tranquilliser l’opinion publique tout en permettant de répondre aux besoins de main-d’œuvre de la France. Bien sûr, il faut s’attendre à ce que ces 5 ans soient parfois prolongés suite à un mariage ou à la demande des employeurs, mais ce serait l’équivalent d’une sélection qui n’existe pas aujourd’hui.
Le problème de la 2e génération ou plutôt d’une petite partie d’entre elle, est plus difficile, car sa solution suppose d’une part une bonne coopération entre police et justice, et d’autre part une profonde réforme de l’éducation nationale. Et de toute façon un changement des règles d’immigration ne changera rien pour cette 2e génération déjà en France.
Enfin, en tant que spécialiste du monde musulman, je mets en garde nos compatriotes effrayés par « l’immigration » de ne pas repousser vers les islamistes des musulmans que l’on stigmatiserait. Il serait paradoxal de voir faciliter le recrutement des islamistes par ceux qui leur sont à juste titre opposés.
Yves Montenay
J’entends bien ce raisonnement raisonnable et optimiste. Il n’en demeure pas moins que l’islam ne nous veut pas du bien. C’est une idéologie totalitaire puisqu’elle vise la domination mondiale. Je préfère une immigration chrétienne à une immigration musulmane.
En tant que libéral, je n’aime pas les termes trop communautaristes : il n’y a pas d’immigration il y a des individus immigrés, il n’y a pas d’islam, il y a des individus musulmans. Je pense que nous sommes d’accord concernant les islamistes et les piétistes, ces derniers sont pacifiques mais néanmoins intellectuellement totalitaires. Par contre il y a toute une gamme de comportements des autres individus considérés comme musulmans, dont certains sont agnostiques, voire athées. Cette variété est encore accentuée par le fait qu’il n’y a pas d’autorité centrale ni de hiérarchie religieuse, du moins chez les sunnites. Par contre la la hiérarchie chiite, avec, au sommet, le guide suprême qui est supérieur au président élu, est totalitaire.