Article publié initialement dans L’Opinion,
Le livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser (chroniqué par exemple ici) est bienvenu. Nous avons trop souffert des « n’importe quoi » qui ont une influence directe sur nos gouvernements de droite comme de gauche. Nous devons à ce négationnisme une bonne partie des problèmes actuels de la France.
J’ai été étudiant, puis enseignant en économie ou de disciplines connexes à Sciences-Po puis à l’ESCP. J’ai été parallèlement chef d’entreprise en France et à l’étranger. Étudiant, j’ai largement été intoxiqué par des enseignants et par la presse soi-disant sérieuse. Je ne parle pas des cas extrêmes idéologiques que je rejetais déjà, dont un professeur marxiste à Sciences-Po en 1965, mais d’une ambiance générale dont je n’ai pu me départir qu’en entreprise et à l’étranger.
Un cercle vicieux médiatique
Le poids du marxisme a certes décru, mais il n’est pas nul directement et demeure encore assez général indirectement. Il inspire les affirmations non étayées, ou étayées par un choix extrêmement partial de données. Un cercle vicieux médiatique entretient le phénomène, la partie de la population choquée par une réalité économique contraire à ses convictions se réfugie auprès de médias qui la rassurent en lui racontant des fables qui la confortent dans lesdites convictions. L’objectif de ces médias n’est pas l’analyse de la réalité, mais de garder ces lecteurs et ces auditeurs. De même pour les électeurs par les politiques.
Il est intéressant de voir que le groupe des publications d’Alternatives Economiques, que l’on pourrait qualifier de négationniste modéré, et qui alimente notamment les opinions économiques d’une partie du corps enseignant, s’est senti particulièrement visé par ce livre, et dénonce une attaque « d’une rare violence contre leurs collègues » et répond par un article lui-même très violent. On peut en déduire qu’il se sent directement visé !
50 ans d’expérience d’entreprise et d’étranger me font conclure que les mécanismes économiques sont très simples, trop simples peut-être pour être intellectuellement valorisants (voir mon article sur les 35 heures). Mais si ses mécanismes sont simples, l’économie, en tant que description de la situation de 7 milliards d’individus dans des situations extrêmement variées, est forcément complexe. On préfère donc brandir de bons principes ou de bons sentiments et de s’indigner de la réalité, que de l’analyser méticuleusement.
Des affirmations qui n’ont aucun sens
Dans ce registre de l’indignation, il y a par exemple un serpent de mer : « 10 multinationales sont aussi riches que le total des 180 pays les plus pauvres ». Les entreprises visées, et le nombre de pays varient chaque année, mais l’affirmation demeure. Conclusion implicite : il faut casser un système aussi scandaleux. Et ce serpent de mer ne circule pas qu’entre gauchistes mais dans de larges milieux supposés expérimentés et instruits.
Or c’est une affirmation qui n’a aucun sens. Si on remonte à la source, on s’aperçoit qu’il s’agit du chiffre d’affaires de ces entreprises et non d’une « richesse ». On devrait pourtant savoir, par exemple, qu’un grand négociant brasse un énorme chiffre d’affaires en ne faisant travailler quelques personnes. Ces dernières sont certes très bien rémunérées, mais le total de leurs revenus est négligeable par rapport au PNB d’un État même très petit. Bref donner un cap politique ou économique en comparant chiffre d’affaires et production nationale est du même tonneau que de donner un cap au bateau en fonction de l’âge du capitaine ! Et si ce cap c’est d’exclure les multinationales des pays pauvres, on connaît les résultats de la Corée du Nord et de Cuba, et le temps qu’ont mis de nombreux pays du Sud à « digérer » leur période dite « socialiste ».
Plus généralement « la richesse » d’une entreprise n’a pas à être soustraite ou comparée à celle d’un pays, car c’en est une composante. Souvenons-nous de ce vieux conseil politique : « Il faut proclamer bien fort qu’il faut chasser les Américains, mais prier tout bas pour qu’ils restent ».
Yves Montenay