Taxes et fonction publique

« J’aime les taxes parce qu’elles me payent »

C’est ce qu’avait le culot de me dire un ami fonctionnaire il y a 3 mois… c’était avant les gilets jaunes, bien sûr.

Il manifestait son opposition au système qualifié par lui « d’ultralibéral » car prônant le désengagement de l’État et la diminution des taxes. Bref il fulminait tous les jours pour des raisons opposées à celles des gilets jaunes !

Je pense qu’il les a néanmoins rejoint aujourd’hui, pour le plaisir de s’opposer. Il faut être révolutionnaire, bigre !

Et je trouve ça très bien. Pourquoi ?

Parce que si chacun sort ses feuilles de paye ou son compte de résultat, évoque les taxes qu’il a sur le dos, ses risques de chômage s’il est employé, et ses risques de faillite s’il est patron, ce sera la minute de vérité pour lui !

Cet ami est du secteur public. Sa feuille de paye est supérieure à celle de ses camarades protestataires du privé. Je veux dire sa feuille de paye apparente, car il y a pire sa feuille de paye réelle ramenée au nombre d’heures de travail dans sa vie serait, elle, certainement très supérieure.

En effet, indépendamment du salaire net perçu, il y a le temps de travail associé qui est plus bas dans le secteur public que dans le secteur privé. Et c’est l’inverse pour sa retraite, qui est plus élevée dans le secteur public en valeur comme en durée.

IFRAP : Public, Privé, les 10 différences en matière de salaires, temps de travail, cotisations sociales, retraites, logements de fonction, arrêts maladie et absentéisme.

Tout cela grâce aux taxes bien sûr ! S’il avait fait ce calcul, il serait resté terré chez lui de crainte que son privilège ne soit découvert.

Dans le feu de l’action, ses camarades ne se lanceront probablement pas dans cette analyse : priorité à la révolte, sans se demander si elle ne va pas ruiner ou pousser au chômage les victimes des blocages des routes, des entrepôts, des magasins, sans parler des destructions physiques.

Et sans se demander si, finalement, ils ne vont pas eux-mêmes être victimes de la ruine de leurs clients ou de leurs patrons.

En effet, quelle que soit la solution à la crise, l’appauvrissement venant des blocages va retomber sur une partie de la population, mais pas sur cet ami fonctionnaire. Son salaire et sa retraite sont garanties par l’État, et c’est d’ailleurs pour ça qu’il y a tant de taxes.

« Attention » me dit-il « te voilà encore ultralibéral, tu voudrais que je sois moins protégé, alors que mes camarades protestataires cherchent à l’être davantage ! ».

Tant que l’on reste dans l’excitation et le montage de bourrichon réciproque, on peut tout dire et son contraire.

Mais si par extraordinaire il y avait quelques mois de calme pendant lesquelles on regardait sérieusement le pourquoi de toutes ces taxes, on trouverait peut-être une vingtaine de millions de personnes, familles comprises, en activité ou retraités, principalement dans le secteur public et accessoirement dans certains grands groupes privés, touchant quelques centaines d’euros par mois de plus que leurs homologues du reste du pays, sans parler du confort de la sécurité.

Et l’on verrait que les sommes en jeu sont infiniment supérieures à ce que l’on pourrait tirer « des riches », beaucoup moins nombreux, en les pressurant davantage. Ce qui aurait en plus l’inconvénient de les faire fuir à l’étranger avec leurs emplois, et de nous retrouver avec encore plus de chômage.

Mais ce n’est pas le problème de mon ami du secteur public, qui se sent à l’abri.

En revanche, il risque de voir ses convictions bousculées par des discussions avec ses camarades très terre à terre. Il se découvrirait privilégié, et une des causes du problème.

Par exemple :

« Qu’est-ce que tu fais concrètement tous les jours ? ».

« Tu es prof ? Policier ? Infirmier dans un hôpital ? Bravo, c’est bien ! Mais un peu d’égalité avec notre propre situation serait quand même préférable ».

« Tu es xxx (je ne veux insulter aucune profession) ? Ben mon vieux, j’en fais 10 fois plus à mes risques et périls et pour recevoir bien moins que toi ! Lâches-en un peu, qu’on ait moins de taxes »

Mon ami, intellectuel, se réfugiera probablement dans ses automatismes habituels : « Nous sommes tous victimes du système, je suis avec vous pour le changer ».

Il dira peut-être « système politique » et s’entendra répondre « oh oui ! On en a marre de la démocratie ! ». Sachant ce qui se passe ailleurs, il commencera à s’inquiéter. Il corrigera : « système capitaliste », « système financier », « système libéral »… comme il sait parler, ça pourra marcher un certain temps.

Il a d’ailleurs un modèle : Gilets Jaunes : le médiatique Jean-François Barnaba, fonctionnaire sans mission depuis dix ans, mais rémunéré

Et, s’il y a des élections, tout cela deviendra le problème des nouveaux élus, qui auront sans doute peur de s’attaquer au secteur public. Mais alors, adieu les économies et les baisses de taxes… Et tout recommencera !

La fonction publique en 2015 (source officielle)

5,63 millions de personnes travaillent dans les trois versants de la fonction publique (d’état, territoriale et hospitalière), soit 19,9% de l’emploi total (salarié et non salarié) en France (métropole + DOM), au 31 décembre 2015.
Leur efficacité n’est pas mesurable et par convention est égale à leur coût salarial, ce qui ne pousse pas aux économies !. Cette efficacité est probablement beaucoup plus forte que leur coût pour un bon enseignant, mais nettement plus faible pour beaucoup de fonctions, par exemple pour des raisons géographiques avec peu d’usagers par préposé dans de multiples zones dépeuplées, ou le personnel en surnombre après la numérisation d’un service (cas des « cartes de sécurité sociale »).

Dans le même esprit on peut remarquer qu’avec 5,7 M de pensionnés (de droits directs et dérivés), les retraites des agents publics représentent un quart des dépenses de la branche vieillesse (74 Mds€), pour 20 % de l’emploi.

On comprend que tous les gouvernements, même de droite, n’osent pas se lancer dans l’aventure de diminuer ces « droits acquis ». Mais ces droits sont payés par « les autres », et que se passera-t-il si ces derniers s’en aperçoivent ?

En attendant les dégâts des blocages d’abord, puis ceux de la manne financière que l’on distribuera maladroitement pour calmer le bon peuple, auront fait de gros dégâts. Et on s’apercevra que le blocage général retombe sur tout le monde, que c’est un facteur aggravant, pas une solution.

La CGT a compris depuis longtemps que la grève générale, c’est la grève de tous contre chacun, et non contre les patrons, car ce sont les plus faibles qui manqueront rapidement de tout, puis perdront leur emploi.

Mais en période troublée, beaucoup l’oublient et lancent une grève (*), car c’est participer à la Révolution ! Grisant… au début.

Yves Montenay

(*) La CGT Services Publics a lancé un préavis de grève du 9 au 25 décembre 2018 et le syndicat de police Vigi a appelé à une grève illimitée des fonctions support de la police à partir du 8 décembre

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