Le Pacte mondial sur les migrations (*) qu’Emmanuel Macron doit signer à Marrakech le 11 décembre 2018, a déclenché des réactions populistes violentes en France et en Belgique.
Ce document est le modèle même du travail bien fait : tour d’horizon des grands principes, énoncé des principaux problèmes d’application, allusion aux problèmes de terrain. Mais on ne peut s’empêcher de le trouver un peu abstrait et d’avoir une approche un peu idéalisée de l’immigration.
Cette approche idéalisée a provoqué des réactions indignées de ceux qui ont une vue sordide de l’immigration, craignent des conspirations pour la libéraliser et priver des États de tout contrôle.
Il n’y a rien de tel dans ce texte qui traite des conditions de vie des migrants,. Quant au fameux Objectif 17 (*), son affirmation des conséquences positives de l’immigration (*) peut choquer ceux qui sont convaincus du contraire, mais il est hors de portée juridique et morale de l’ONU de bloquer un libre débat sur ce sujet.
Par contre on peut douter de l’utilité de ce texte qui ne change ni les regards sur l’immigration, ni la réalité sur le terrain.
Voici deux exemples.
Les qualifications croissantes des migrants n’ont pas changé les regards
Quel que soit leur nombre, on constate une opposition entre une vue humanitaire, qui pousse à en accueillir un maximum, et une vue utilitariste pour qui « il est évident que l’arrivée de personnes non qualifiées ne fera que créer des assistés qui pèseront sur l’économie et sur la société, l’oisiveté étant la mère de tous les trafics, voir des violences ».
L’immigration et les Français : perdre son identité ou perdre son âme ?
Or la réalité nous montre que ces deux points de vue opposés ignorent qu’il y a une proportion importante des migrants qui sont qualifiés, voire très qualifiés, médecins par exemple, et qui choisissent l’exil soit parce que le marché du travail de leur pays est réservé à des clans dont ils ne font pas partie, soit parce qu’ils souffrent du manque de liberté sociale, religieuse ou politique.
Bref des individus qui ont vocation à n’être ni des assistés ni des victimes.
Cette question est connue depuis longtemps sous le nom d’exode des cerveaux, parfois qualifiée de « pillage de nos richesses humaines par le Nord », alors que les responsables en sont bien évidemment au Sud.
La France en bénéficie moins que d’autres, puisque sa vue très administrative de l’immigration (principalement le regroupement familial) empêche d’entrer des gens qualifiés, qui vont donc ailleurs à notre grand détriment.
Ceux d’entre qui entrent en France (une bonne moitié du total) le font en général régulièrement, ont un travail parfois trouvé avant le départ et passent inaperçus à l’arrivée.
Or on se contente en général de citer avec horreur des chiffres globaux de l’immigration sans entrer dans le détail. De même on estime que des non qualifiés sont inemployables alors que les entreprises manquent également de ce type de main-d’œuvre.
Le problème n’est pas l’immigration en elle-même, mais ses procédures et l’efficacité de l’accueil, tant qualitatif (les premiers contacts pèsent lourd) que technique (perfectionnement linguistique et professionnel). Pour ce dernier point, nous devrions nous inspirer des Allemands.
Pour ce qui concerne les procédures, mes lecteurs savent que je suis partisan de donner aux chefs d’entreprise un pouvoir d’initiative en la matière, pour que les arrivants aient un emploi et un suivi individualisé.
Dénoncer le trafic d’êtres humains, oui, mais…
Le trafic d’êtres humains est devenu une des grandes ressources mondiales des groupes mafieux, peut-être supérieure en Afrique aux sommes brassées par des trafics de drogue ou d’armes. Ces acteurs ont les moyens d’acheter toutes les complicités, que ce soit celles des divers groupes armés qui règnent en Libye que celles (chut !) d’interlocuteurs importants dans les gouvernements des pays de départ, et dans toute leur hiérarchie policière.
Ces pays peuvent donc recevoir d’une main l’aide de l’Europe soit pour le développement soit pour le contrôle des migrations à partir de leurs pays, et de l’autre main celle des groupes mafieux qui les poussent à faire l’inverse.
Et ces groupes ont également leurs « services commerciaux » qui démarchent de possibles candidats à l’immigration : « si tu partais en Europe, tu deviendrais le soutien de ta famille restée sur place (ou tu échapperais à une vie médiocre, ou au mépris des mieux placés). Ça coûte cher ? Oui, mais tu as une maison, un commerce. Tu peux les vendre. Sinon, collecte de l’argent autour de toi, tu le rembourseras facilement une fois en Europe »
Que peut à cela un texte voté solennellement à New York ?
Donc pourquoi ce texte ?
Pourquoi alors se donner tant de mal avec des proclamations respectables mais si loin du terrain ?
Il y a d’abord un mécanisme bureaucratique : les fonctionnaires de l’ONU sont bien payés et doivent prouver qu’ils font des choses importantes.
Il y a bien sûr aussi une certaine vision du monde : il est difficile de ne pas signer ce texte, et des organisations plus ou moins charitables pourront ensuite s’appuyer sur lui pour attaquer les États d’arrivée ou (de préférence à mon avis) de départ.
On assistera à de beaux procès mais cela changera-t-il le problème sur le terrain ?
Le précédent des innombrables textes en faveur des Palestiniens laisse sceptique.
Yves Montenay
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(*) Références citées :