On multiplie les mosquées

De retour du Ghana et du Burkina Faso

Notes de voyage : Côtiers et Sahéliens d’Afrique occidentale

En cette mi-janvier 2019, j’ai participé à des réunions d’universitaires de pays francophones d’Afrique, et en ai profité pour explorer un peu plus le Ghana et le Burkina Faso.

Ce qui suit est un relevé d’impressions personnelles et de témoignages de collègues et non un article « scientifique » au sens universitaire du terme.

Le voyage, du Ghana au Burkina Faso

Ce voyage a commencé par la participation à une réunion de recherche du Département de français de l’Université Legon à Accra (Ghana), où j’avais déjà été en avril 2018 : Sur les traces de la francophonie, du Togo au Ghana

J’y étais invité cette année pour faire le point de l’avancement de doctorants de disciplines diverses. Ces doctorants venaient des pays francophones de la région et tout s’est déroulé en français.

Ce voyage s’est poursuivi par une exploration des campagnes ghanéennes.

Entreprises de BTP et divers commerces informels

Nous avons emprunté la route principale proche de la côte, bordée d’une infinité de petites ou moyennes entreprises, apparemment informelles, de BTP de premier et de second œuvre suite à l’augmentation assez rapide de la population, et de multiples autres de production et de commercialisation, du marché « de base » aux stations-service et petits centres commerciaux modernes.

À noter, comme partout dans le monde, un fort portugais repris par les Hollandais puis les Anglais (photo), souvenirs du grand empire créé par ce petit pays, et dont il reste le Brésil, l’Angola, le Mozambique et quelques îles … sans parler des endroits comme Goa, incorporés dans d’autres États mais où la langue portugaise est restée présente.

Fort portugais de Cape Coast Ghana
Fort portugais de Cape Coast au Ghana  –  Pêche en mer au pied du fort portugais

 

Nous avons également pu voir le remarquable barrage sur la Volta qui est l’équivalent, par son histoire et son importance, du grand barrage d’Assouan en Egypte, mais qui se contente de produire de l’électricité sans présenter les inconvénients de son grand frère égyptien.

Le grand barrage sur la Volta au Ghana
Le grand barrage sur la Volta au Ghana, frère jumeau du grand barrage d’Assouan, sans en avoir les inconvénients, avec un lac de retenue aussi grand que le lac Nasser.

Sa visite est l’occasion de s’éloigner de la côte est de constater que l’intérieur du pays est également relativement prospère, mais que la vie économique semble se concentrer le long des grandes routes goudronnées.

Les rares autres routes étant des pistes poussiéreuses et traversant surtout du vide, la surpopulation, du moins rurale, ne semble pas encore pour demain.

Mon passage au Burkina Faso, s’est limité aux grands boulevards d’Ouagadougou, 2,6 millions d’habitants, illustration de la rapide croissance urbaine.

Elle semble une ville beaucoup plus aérée mais néanmoins tout aussi poussiéreuse, qu’Accra qui est en route vers les six millions d’habitants.

3 étudiantes francophones du Bénin
Trois étudiantes francophones du Bénin qui ont fait le voyage pour nous servir en français alors que nous sommes dans un pays anglophone : merci !

 

Je venais aussi avec l’arrière-pensée d’interviewer mes collègues géographes ou sociologues sur ce que mes lectures parisiennes me faisaient soupçonner : la migration des musulmans du Sahel vers le golfe de Guinée.

La grande descente vers le sud des musulmans du Sahel

Ces collègues, chrétiens comme musulmans, m’ont confirmé cette migration vers le sud relativement développé.

Les sociétés côtières

La côte atlantique, en l’occurrence celle du Bénin, du Togo, du Ghana et de la Côte d’Ivoire, est depuis longtemps en contact avec les Européens, portugais, hollandais, anglais, français… comme en témoigne notamment le fort portugais évoqué ci-dessus.

Je ne vais pas parler de la traite et du commerce triangulaire, ce dont l’enseignement local et français se charge largement, mais de l’évolution intellectuelle que ces contacts ont généré. Cela notamment avec les écoles catholiques et protestantes, puis laïques coloniales, puis nationales.

C’est une cause importante du relatif développement local, à laquelle on peut ajouter des habitudes commerciales et les contacts à tous niveaux avec le reste du monde. Les capitales de ces pays sont d’ailleurs côtières.

Connaissant le Kerala indien, j’ai été frappé de voir que les mêmes causes, à savoir des influences européennes précoces, produisent les mêmes effets, cet État indien étant beaucoup plus développé que le reste de l’Union, et ses habitants bien conscients que cela venait de ces contacts.

Ce développement relatif est sensible de 1000 façons : comportement, entreprises formelles ou, en général, informelles, infrastructures… et par des taux de fécondité relativement bas : deux à quatre enfants par famille.

L’ancienneté de la scolarisation commence à être sensible dans certaines tranches de la population ce qui se traduit par l’adoption du français ou de l’anglais comme langue seconde voire première, tendance accentuée par la fragmentation des langues locales

L’arrière-pays musulman

Le contraste est important avec le Sahel musulman, moins scolarisé hors écoles coraniques, ayant un taux de fécondité élevé pouvant aller localement jusqu’à huit enfants par femme et davantage.

Leur agriculture et élevage sont menacés par les sécheresses récurrentes et accentuées dit-on par le dérèglement climatique.

Le résultat est la migration des musulmans vers le sud, donc vers la côte plus prospère.

Migration en principe temporaire lorsqu’il s’agit d’amener les troupeaux vers des terres moins sèches, donc cultivées, au grand dam des agriculteurs qui voient leur récolte piétinée ou dégustée, ou leur terre utilisée pour ouvrir des « couloirs de transhumance ».

Et surtout migration définitive. Abidjan serait par exemple aujourd’hui à majorité musulmane.

Rajoutons que la circulation est juridiquement libre ou facile entre les pays de la CDAO (Communauté Économique des États d’Afrique Occidentale). De toute façon il est matériellement impossible de fermer les frontières.

Les réactions à cette migration musulmane

Les réactions privées sont diverses. Les musulmans de la côte, qui ont souvent été scolarisés dans des écoles chrétiennes ou laïques, se réjouissent de voir leurs frères du nord bénéficier d’une meilleure scolarisation.

Ils rajoutent discrètement que cela devrait éroder à la longue des comportements agaçants, vestimentaires ou autres, comme les mariages très précoces et la non-alphabétisation des filles.

Les chrétiens, très majoritaires à la campagne, et de moins en moins dans les villes, sont un peu plus agacés, regrettent le communautarisme des nouveaux venus et placent eux aussi leurs espoirs dans une bonne scolarisation.

En attendant une ségrégation sociale se met inévitablement en place.

D’autant plus, font marquer certains chrétiens, que le peu d’épargne musulmane va à la construction de mosquées et non à l’entreprise.

On multiplie les mosquées
On multiplie les mosquées

Que les Québécois me pardonnent, mais cela me fait penser au Québec d’avant 1964 parsemé non seulement d’églises mais aussi de grands établissements catholiques. Je parle de la taille des bâtiments visiblement destinés à être remarqués de partout.

Les Anglais ironisaient : « Pas étonnant que Québécois restent nos employés, puisqu’ils n’investissent pas en entreprise ». Les choses ont bien changé depuis et la déchristianisation est allée de pair avec la multiplication des PME.

Se pose également le problème des écoles coraniques.

Pour les vieux traditionalistes, ou pour les jeunes de retour des universités séoudiennes, les filles doivent rester à la maison et les garçons aller à l’école coranique, où l’on apprend l’alphabet arabe et le Coran par cœur. Je dis bien l’alphabet et non la langue, dont on ne connaît, outre le Coran, que des formules rituelles.

Aux premières règles, les filles doivent se marier « pour éviter un éventuel déshonneur à la famille », et se retrouvent donc souvent mères à 14 ans.

Quant aux garçons n’ayant été alphabétisés ni en langue locale ni en français (ou en anglais au Ghana) il ne leur reste qu’à devenir imam et/ou petits commerçants informels. Autre raison d’une fracture sociale.

La comparaison avec les enfants des voisins chrétiens ou musulmans scolarisés amène néanmoins de nombreux parents traditionalistes à mettre leurs enfants à l’école publique laïque ou dans un établissement chrétien, l’école coranique étant pour le week-end.

Se créent aussi des écoles franco-arabes où le côté « coranique » est complété par un minimum de matières générales.

Dans l’ensemble la cohabitation ancienne entre les communautés rend le débat moins passionné qu’en France et l’intégration envisageable à terme.

L’insécurité au Sahel est une autre cause d’exode

carte du Sahel
carte du Sahel

 

Dans le Sahel proprement dit, c’est-à-dire la bordure du Sahara plus au nord, du Sénégal au Niger, l’insécurité s’ajoute à la détresse économique. Là, la violence est entre musulmans : les guérillas islamistes chassent les instituteurs, exécutent les chefs de village récalcitrants, ainsi que leurs familles pour enlever toute idée de résistance aux autres.

Les soldats français de l’opération Barkhane font de leur mieux, mais ils ne sont que quelques milliers dans des territoires immenses, et rien ne peut remplacer l’action des administrations et notamment des gendarmeries … mais la terreur ferait son effet et leur enlèverait toute envie de se battre, sans parler de probables complicités à certains niveaux.

Cela rappelle aux Français de mauvais souvenirs vietnamiens et algériens, où une fraction de la population a réussi à s’imposer dans ces deux pays, mettant en place des dictatures dont les peuples n’arrivent pas à se débarrasser depuis.

Quant aux troupes dites « du G5 Shael », du nombre des pays de la région formant cette coalition (*), la rumeur publique dit qu’elles n’ont pas encore quitté leurs casernes pour des questions d’organisation…

En résumé, autant les sociétés côtières ont réussi un développement relatif qui leur permettra peut-être de faire face à l’immigration du nord, autant la crise sahélienne s’approfondit, tandis que les Français appelés au secours par les gouvernements de la région ne peuvent suppléer aux carences de ceux qui les ont appelés.

Yves Montenay

 

Voir aussi : Qu’est-ce qu’une langue officielle ? Le français et l’arabe aux Maghreb, Sahel et Comores

 

(*) G5 Sahel : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad.

 

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