Immigration et attentats : comment sortir du dialogue de sourds ?

Emmanuel Macron a eu le courage de se lancer sur le terrain miné de l’immigration. Le meurtre de 4 policiers par un islamiste a encore enflammé le débat. Et le dialogue de sourds sur ces sujets a repris. D’où la nécessité de commencer par en sortir pour poser les vraies questions.

C’est le sujet de cet article.

Commençons par nous mettre d’accord sur les termes même du débat.

Qu’entend-t-on par Islam, islamique, islamiste et djihadiste ?

 Tous ces termes, et particulièrement celui d’islamiste, sont employés de manière confuse en France à propos de l’immigration, mot qui a lui-même un sens variable d’un individu à l’autre.

L’islam est une religion, l’Islam avec un « i » majuscule est une civilisation ou une aire géographique où la population arabe n’est qu’une composante très minoritaire. « Islamique » est ce qui est relatif à l’islam, mais il vaut mieux employer le terme « musulman » pour éviter la confusion avec « islamiste ».

L’islamisme est la doctrine de partis politiques voulant prendre le pouvoir pour que l’islam devienne religion d’État avec toutes les contraintes que nous voyons dans les pays qu’ils contrôlent ou influencent. Ils s’opposent aux lois décidées démocratiquement, car elles n’ont pas été fixées par Dieu mais par des hommes.

En effet, un des fondements de l’islam est que le Coran est la parole de Dieu, supérieure bien sûr à celle des hommes. Nous avons là le nœud d’un problème important. Les islamophobes s’appuient en effet sur ce point pour dire que tout musulman est potentiellement islamiste. Les autres, dont une partie des musulmans, estiment notamment que l’enseignement de l’islam doit être adapté à notre époque, le message étant destiné à une société du Moyen-Orient d’il y a plus de 1000 ans.

Cette querelle est fondamentale, mais ce n’est pas l’objet de cet article. Retenons ici seulement l’objectif politique et sociétal des islamistes.

Les islamistes appartiennent à plusieurs courants dont les plus connus sont les Frères musulmans qui ont sévi notamment en Égypte, et les salafistes soutenus par les wahhabites séoudiens. Ils se définissent comme « réformateurs », ce qui dans leur esprit signifie le retour à un islam « pur » de l’époque du prophète, alors que les Occidentaux utilisent ce mot dans un sens opposé !

Enfin, les djihadistes sont des islamistes violents, divisée en de très nombreux groupes, dont les plus connus sont Al Qaïda, l’État islamique, le Front islamique du salut et Boko Aram. Ces deux derniers ont mené une guerre civile féroce en Algérie pour le premier, et en mène encore une au Nigéria, au Cameroun, au Tchad et au Niger pour le second.

Nous avons des témoignages épouvantables de l’action des djihadistes, ceux de l’État islamique en Irak, notamment vis-à-vis des Yézidis, en Algérie pendant la guerre civile (voir notamment le film Papicha), en Afghanistan (voir le film « les hirondelles de Kaboul »), au Nigéria avec notamment les enlèvements des lycéennes, un des points communs de ces groupes étant l’esclavage des femmes.

Que recouvrent les chiffres de l’immigration ?

Pour les statisticiens, les mots « immigrants » et « immigration » ont un sens précis :

  • Un immigrant est quelqu’un qui est né à l’étranger et qui réside en France.
  • L’immigration, c’est le nombre d’immigrants qui entrent chaque année en France. Il y en a 100 à 200 000 suivant les années, d’origines et de convictions extrêmement variés. Nous préciserons et analyserons les chiffres dans le détail dans un prochain article.

Cela ne correspond pas du tout aux nombres souvent cités d’au moins une dizaine de millions d’immigrés.

Cela vient notamment du fait que le grand public considère comme immigrés des millions résidents français nés en France et très majoritairement de nationalité française, par exemple la 2e génération et souvent les suivantes.

Ce nombre est très difficile à calculer, par exemple du fait des mariages mixtes, parce que des intéressés sont morts ou ont ré-émigré, soit vers le pays départ, soit là où ils ont trouvé du travail, en général l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les États-Unis ou le Canada.

De toute façon, ce nombre comprenant les descendants n’aurait aucune signification puisqu’il additionnerait des médecins algériens et des trafiquants de drogue, des informaticiens vietnamiens et des manœuvres du bâtiment maghrébins ou subsahariens… et surtout les nouveaux venus et des immigrés assimilés !

Les diverses perceptions de l’immigration

Venons maintenant au cœur du problème : le grand public considère comme immigrés les seuls non-Européens et leurs descendants. Et parfois même seulement ceux d’origine musulmane, estimant confusément qu’il y a « un gène » de l’islam qui se transmettrait indéfiniment au fil des générations.

Complication supplémentaire, ce grand public considère que tous les Arabes sont musulmans, alors qu’une partie sont chrétiens, notamment les Libanais et qu’un nombre croissant sont athées. Sans parler des confusions entre Arabes et Berbères ou entre Arabes, Turcs, Kurdes, Kosovars ou autres musulmans d’allure européenne.

Simplifions encore : pour une partie du grand public « l’immigration », ce sont « les Noirs et les Arabes », oubliant qu’une partie des subsahariens sont chrétiens et qu’une partie des musulmans sont turcs.

Et je ne compliquerai pas le problème en évoquant d’autres « bronzés » : les Antillais, les Réunionnais, les Mahorais dont certains oublient qu’ils sont citoyens français.

Voilà pourquoi personne ne parle des mêmes chiffres !

Et pour ne rien arranger certains partis politiques sont contre-productifs, notamment pour des raisons électorales

La gauche et l’extrême gauche partagées face à l’immigration

Pour rassembler son électorat, l’extrême gauche proclame qu’il faut détruire la société capitaliste, donc tolère, et parfois appuie, des mouvements islamistes car ils contribuent à détruire cette société, avec comme argument supplémentaire que les musulmans sont par ailleurs les victimes du capitalisme, du colonialisme etc.

La gauche modérée et idéaliste joue avec le feu d’une autre façon.

Elle est divisée entre :

– une aile laïque dure, islamophobe comme elle a été jadis « cathophobe », quitte à renvoyer chez l’adversaire islamiste de simples croyants pieux,

– et une aile tolérante notamment envers le multiculturalisme.  Quitte à ne pas voir qu’il s’agit souvent d’un « multi–monoculturalisme », c’est-à-dire non pas une cohabitation harmonieuse dans le même individu de sa culture d’origine et de celle de la France, mais le maintien de chacun dans sa culture propre. Bref, cette gauche pense que l’assimilation est une violence culturelle à éviter. Et sa tolérance ou sa naïveté sont de plus en plus montrés du doigt.

Tandis que l’extrême droite attise le « racisme naturel »

Pourquoi « racisme naturel » ? Soyons lucides : la plupart des citoyens de la plupart des pays du monde sont racistes. Au sens large : ce n’est pas toujours pour sa couleur de peau qu’on se fait brimer ou tuer, mais pour sa religion, sa nationalité, sa classe sociale, sa tribu…

Le racisme, c’est en effet le fait de prêter à un groupe les défauts d’un individu. En occurrence « c’est un terroriste islamiste, or tout musulman peut devenir islamiste, donc… ». Donc quoi ? Soit la suite est trop violente pour être exprimée en public, soit il s’agit de paroles en l’air à but purement électoral.

Le racisme tombe d’ailleurs mal dans le cas de l’attentat de la préfecture de Paris dont l’auteur n’est pas un immigré, mais un Antillais, donc de tradition catholique, converti à l’islam. Oui mais, dira-t-on, il a été radicalisé par un imam.

Cela mène à mon avis non pas au racisme, mais à des questions de sécurité basique : comment a-t-il pu ne pas être repéré pour ses opinions, puis pénétrer dans son bureau avec deux couteaux ? Et quel bureau ! Celui justement de l’antiterrorisme islamiste !

Et quid de la responsabilité de son imam, qui serait fiché « S » et aurait été l’objet d’une décision d’expulsion non exécutée ? On est dans le cas de la tolérance excessive et le musulman de base n’est pour rien dans tout ça.

Mais le racisme, conscient ou non, étant très répandu – encore une fois comme partout dans le monde – il est tentant de s’appuyer sur lui pour des raisons électorales.

C’est totalement contre-productif, car cela transformerait des millions de citoyens français paisibles en victimes de ce racisme et donc faciles à recruter par les djihadistes.

Je trouve particulièrement dangereux ceux qui se moquent de la formule « pas d’amalgame ». Car si on amalgame un islamiste et le fils de mon comptable d’origine algérienne, entrepreneur créant des emplois, on le pousse à une solidarité envers « les barbus » alors qu’il les déteste.

N’oublions pas que s’il y a très peu d’attentats en France, c’est que beaucoup de « dérives » sont signalées à temps par les proches, c’est-à-dire en général par d’autres musulmans. Si on ostracise ces derniers, le nombre d’attentats flambera !

Comment réagir : la voie étroite entre fermeté et tolérance

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 8 octobre, l’islamologue franco-marocain Rachid Benzine pose bien le problème :

  • d’une part le danger d’un « maccarthysme musulmanophobe » où l’on écarterait par principe les musulmans de certains postes,
  • d’autre part une certaine responsabilité de la masse musulmane qui se contente de dire que les djihadistes sont de « mauvais musulmans » au lieu de réfléchir à la cause de ces dérives et donc réformer l’enseignement de l’islam.

Cette action à long terme est indispensable, et il faut aider les réformateurs (au sens occidental) de l’islam comme Abdenour Bidar, Kamel Daoud, Boualem Sansal et bien d’autres, en leur donnant une visibilité.

Aujourd’hui, ils rencontrent deux obstacles :

  • à droite, on hausse les épaules du fait d’une connaissance incomplète des divers courants de l’islam tandis qu’à l’extrême droite le racisme les rend inaudibles,
  • à gauche, la naïveté et le parti pris de tolérance universelle ouvre un boulevard aux « réformateurs » salafistes adeptes du double langage, à l’exemple de Tariq Ramadan, longtemps favorisé par les médias avant ses ennuis judiciaires récents.

Parallèlement la diplomatie française doit jouer son rôle, par exemple concernant les relations avec l’Arabie Saoudite, qui finance directement ou indirectement les mouvances salafistes.

À moyen terme, il faudrait davantage s’appuyer sur l’école.

Avec des programmes d’histoire non fantasmée et la description du « fait religieux », au programme depuis longtemps, permettant aux uns de découvrirent la religion des autres.

Mais ces deux points se heurtent aux convictions de certains enseignants de gauche idéaliste et à la crainte de désordres en classe. C’est un vaste sujet que nous ne pouvons aborder ici, mais qui nous ramène aux questions de l’ordre public.

À court terme, le retour à ce dernier est indispensable dans toute la France et dans tous les domaines. La loi le permet, mais son exécution policière et judiciaire est une affaire humaine compliquée par les convictions politiques contradictoires que nous avons décrites.

Et pourtant ce ne serait pas si difficile : les islamistes perdent tous les jours des soutiens tant chez les musulmans que chez les « idéalistes » au fur et à mesure que se diffusent les témoignages d’oppression, de cruauté et de massacres dans les zones sous leur contrôle, et de terrorisme chez nous.

À nous de ne pas dévier de la voie étroite entre racisme contre-productif et naïveté.

Yves Montenay,

Auteur des Echos du Monde Musulman
et de « Nos voisins musulmans : du Maroc à l’Iran 14 siècles de méfiance réciproque »

 

6 commentaires sur “Immigration et attentats : comment sortir du dialogue de sourds ?”

  1. Monsieur Montenay, pour prolonger votre texte très clair (juste un bémol concernant votre usage du terme islamophobe, créé de toutes pièces par les islamistes pour empêcher les critiques de l’islam : voir sur ce sujet l’ouvrage fort précis de Philippe d’Iribarne) est-ce que vous seriez d’accord pour signer la pétition Des musulmans de France contre l’islamisme, initiée par des citoyens français de culture ou de foi musulmane ? Le texte me semble clair et salubre car pour la première fois, un collectif de musulmans s’oppose de façon frontale aux officines (ex-UOIF, CCIF, etc.) qui prétendent parler en leur nom. Voici le lien, si le cœur vous en dit :
    https://www.change.org/p/ministre-de-l-int%C3%A9rieur-charg%C3%A9-des-cultes-des-fran%C3%A7ais-parlent-aux-fran%C3%A7ais-la-r%C3%A9ponse-de-cent-musulmans-aux-c%C3%A9l%C3%A9brit%C3%A9s?recruiter=439923874&utm_source=share_petition&utm_medium=facebook&utm_campaign=psf_combo_share_initial&utm_term=psf_combo_share_abi&recruited_by_id=c2e04d50-993e-11e5-8cab-8d0e78027b96&share_bandit_exp=initial-18509874-fr-FR&share_bandit_var=v3&utm_content=fht-18509874-fr-fr%3Av2

    1. Merci, je vais voir. Il y a toujours eu des initiatives individuelles et d’associations, mais qui se sont heurtées à la méfiance islamophobe les accusant de double langage ou de non représentativité. Il y a eu aussi l’argument suivant : « laissez nous tranquilles, les catholiques de France n’ont jamais manifesté contre le terrorisme catholique en Irlande du Nord » (aujourd’hui terminé)

    2. Je viens de lire ce texte, qui est tout à fait exact d’un point de vue religieux comme d’un point de vue citoyen.
      – religieux car si c’était vraiment une obligation religieuse, toutes les musulmanes le porteraient depuis toujours, or c’est une mode récente dans beaucoup de pays musulmans,
      – citoyens, car il distingue LES et DES
      Je vais donc signer ce texte

    1. Merci, c’est une grande partie du problème. Curieusement une autre partie n’a pas été remarquée par mes lecteurs : l’abandon de l’islam par une partie notable des descendants des immigrés. En particulier ma note technique à la fin de l’article n’a pas fait l’objet de réaction. Or c’est en partie par l’abandon de l’islam que le problème se réglera. Mais le processus demande souvent deux générations et de plus les intéressés sont très discrets (sauf sur les réseaux sociaux où ils sont plus de islamophobes que le Français de base !)

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