Un énorme défilé sur la place Tiananmen célèbre les 70 ans de la prise de pouvoir par le parti communiste chinois. L’objectif est d’afficher la puissance économique et militaire actuelle de la Chine, ce qui laisse indirectement entendre que ces 70 ans ont été bénéfiques. C’est se moquer des Chinois.
L’arrivée des communistes en 1949 a été le début d’une des pires époques de leur histoire, pourtant souvent sanglante. Ce n’est qu’en 1984 que Deng Xiaoping a lancé ses réformes dans une Chine ravagée par la famine et les violences.
Les démographes estiment qu’il y a eu un grand nombre de dizaines de millions de victimes, battant le record de Staline.
C’est donc 1984 qu’il aurait fallu en bonne logique célébrer, avec le formidable rattrapage de la Chine depuis lors.
Choisir 1949 signifie donc que ce n’est pas tellement le succès économique que l’on cherche à promouvoir, peut-être parce qu’il est évident, mais le pouvoir du parti.
C’est une illustration du recentrage politique sur ce dernier pour faire face aux multiples oppositions.
Des protestations très nombreuses et vigoureuses mais disparates
Le groupe le plus important des protestataires de moins en moins discrets est celui des migrants internes. Ces derniers quittent la campagne pour trouver un travail en ville, ou plus exactement près des villes, car leur passeport intérieur leur interdit l’accès à une bonne part des services publics urbains.
Dans un tout autre domaine, des émeutes éclatent souvent pour des raisons écologiques, notamment la pollution des eaux et les négligences industrielles.
Dans ce dernier cas les accusés bénéficient souvent de protections occultes qui accroissent encore le mécontentement. Ces émeutes sont réprimées violemment et parfois accompagnées de la punition de responsables locaux pour contribuer au retour au calme
Les répressions plus purement politiques sont davantage suivies en Occident. Elles touchent parfois des peuples entiers comme les Ouïgours ou les Tibétains, ainsi que, dans l’ensemble du pays, les défenseurs des droits de l’homme, dont les avocats.
Plus insidieusement la répression s’attaque aux religions : musulmans et chrétiens sont sommés de se « siniser ». Les mosquées doivent avoir une architecture à la chinoise, les églises enlever leurs croix trop voyantes, sans parler du contrôle politique de leur responsables.
Après des décennies de discussions un compromis sur la nomination des évêques vient enfin d’avoir lieu entre le Vatican et Pékin, officialisant la participation du pouvoir dans ces nominations
Des mécontentements plus diffus viennent des inégalités vertigineuses, hors de proportion avec celles que nous connaissons en France.
Les proches du pouvoir peuvent accumuler des fortunes immenses :
- soit par les commandes publiques (TGV, autoroutes, aéroports, villes nouvelles), avec éventuellement des dettes non payées en cas d’échec,
- soit par le soutien public à des entreprises privées qui deviennent gigantesques.
La conjonction de ces mécontentements et protestations pourrait être dangereuses pour le pouvoir, d’où sa réaction actuelle.
Renforcer le contrôle social par le parti
Le premier souci du pouvoir est donc d’éviter la contagion géographique et sectorielle. Pour cela il faut museler l’information et notamment contrôle de l’Internet.
Il est sans cesse répété aux cadres que ce qui a fait périr l’Union Soviétique c’est l’inconscience de Gorbatchev d’autoriser la transparence (glasnost).
La décision du président Xi a donc été de renforcer le rôle et le pouvoir du parti autour de sa personne. Cela passe notamment par la multiplication récente des séminaires de cadres glorifiant la pensée et les œuvres du président Xi… ce qui rappelle forcément de mauvais souvenirs de l’époque maoïste.
Nous avons donné d’autres exemples de cette reprise en main dans nos précédents articles sur la Chine : il y a notamment le contrôle facial menant au contrôle social où chaque individu est noté, en principe pour écarter les mauvais payeurs ou les trublions, et également la multiplication des cellules du parti dans les entreprises y comprises étrangères.
C’est donc le parti qu’il faut magnifier, d’où l’évocation de 1949, illustrée par le défilé avec des chants et danses des acteurs habillés en fermiers soldats et ouvriers de l’ère Mao, comme lors des campagnes des années 50, 60 et 70.
Pour un Européen, cela rappelle des manifestations organisées par Hitler et Staline.
Un blocage qui conduira à l’explosion ou la stérilisation
Pour l’instant, l’objectif est atteint et les oppositions ne peuvent se fédérer ni dans l’espace ni d’une catégorie à l’autre.
Reste le scénario d’un coup d’État mené par des cadres effrayés :
- Les uns le sont pour leur propre sécurité, souvenez-vous de l’élimination de Robespierre par les survivants des épurations successives, qui pensaient que leur tour allait venir.
- Les autres le sont par réalisme, s’inquiétant de l’orgueil nationaliste envahissant économiquement de nombreux pays, voire menant à des aventures militaires.
Et s’il ne se passe rien, on retombe le risque de stérilisation, avec la chute des investissements étrangers, une fuite croissante de capitaux et l’inertie par prudence à tous les niveaux. Sans parler d’une lente dégradation de la créativité du fait de la difficulté des échanges intellectuels avec l’étranger.
On passerait alors de « ouvrir la fenêtre sans faire entrer les mouches » à « fermons la fenêtre, nous sommes assez grands pour nous débrouiller seuls ».
Bref, 70 ans après, le nouveau Mao enfile le costume de l’ancien : les évolutions de société intervenues entretemps en Chine le permettront-elles ?
Yves Montenay
Crédit photo en ouverture :
Il y a une différence de taille entre la Chine de Mao et celle de Xi: la puissance militaire. En plus, la Chine de Mao pouvait faire rêver des gens dits De Gauche en Occident (qui ne poussaient pas le militantisme religieux jusqu’à aller vivre là bas, faut pas exagérer quand même…), elle n’avait pas l’adhésion sincère de sa population. Aujourd’hui la bourgeoisie et les classes moyennes chinoises, avides de consommation, soutiennent leur dictateur fournisseur de biens et de vacances subventionnées: situation analogue à l’Allemagne de Hitler, amoureuse de son chef paternaliste et efficace socialement. Comme la pauvre Chine de Mao n’avait provoqué aucune réaction internationale face à son annexion du Tibet, il est quasiment certain qu’il n’y aura aucune réaction à l’annexion en cours de tout le Pacifique Sud par une Chine autoritaire devenue riche et sur-armée. Passivité et lâcheté sont assurées de la part de l’Occident et du monde entier. On est donc dans un scénario analogue à celui de la relation Allemagne-Monde dans années 30. On peut donc imaginer la suite tragique des évènements qui nous attendent…Je ne crois pas aux réactions rationnelles (et humaines) des régimes totalitaires confrontés à des crises économiques qui les contraindraient à la mesure, bien au contraire. C’est la guerre qui est la solution des dictateurs qui doivent faire face à des crises économiques ou sociales: c’est leur seule façon de rester au pouvoir.
C’est en effet une des évolutions possibles.
Toutefois le sujet de l’article n’était pas de comparer la Chine actuelle à celle de Mao, mais d’attirer l’attention sur le fait que c’est le parti que l’on célèbre malgré ses échecs et sa cruauté. Et pas seulement la réussite économique et militaire. Ce qui confirme l’évolution autoritaire lancé par le Président Xi … Et le fait que ce soit dans les intrigues internes au partique je jouera peut-être l’avenir
Je vois la bouteille à moitié pleine et pas à moitié vide. Et puis j’aime le politiquement pas correct.
Proverbe chinois » quand les riches se serrent la ceinture, les pauvres meurent de faim. »
Le prisme de la répression de la place Tien An Men, de la dictature à la Staline, les manifestants de Hong Kong, les super milliardaires chinois, … sont des stéréotypes plaisants pour fustiger la Chine qui reprend sa place de première puissance mondiale (qu’elle a abandonné il y a 5 siècles)
Après 25 siècles de guerres civiles et de famines massives, après 40 de dictature maoïste féroce et de famine, les Chinois vivent plutôt calmement et de mieux en mieux
Les progrès chinois dans le domaine de la santé et de l’éducation, dans l’espérance de vie, dans le confort matériel (équipements électroménager, air conditionné, automobile – premier marché mondial), dans la consommation d’énergie de la vaste majorité de la population.
Et n’en déplaisent aux écologistes, il y a une corrélation parfaite entre la consommation d’énergie et les progrès dans la santé, l’éducation, l’espérance de vie,… Les chinois prennent un leadership technique sur les centrales nucléaires, garantie d’absence totale de CO2 et ne gaspillent pas leurs ressources dans les éoliennes juste le minimum pour des raisons de communication (cf le rapport de la Cour des Comptes)
Chiffres OCDE
1970, 85% de la population chinoise sous le seuil de pauvreté
2015 10% de la population sous le seuil de pauvreté
1970 espérance de vie 60 ans
2016 espérance de vie 76 ans
1989 quelques milliers de voyages à l’étranger pour des cadres du parti en mission
2019 150 millions de chinois voyagent dans le monde (les premiers clients de Lancel)
100 millions chinois avec BAC + 5 de diplôme scientifique
Et nota : ces mêmes progrès se retrouvent dans les autres pays du SE asiatiques, y compris dans un autre puissance à dictature ex-communiste : le Viet Nam)
Amicalement
Henri
Je ne vois aucune contradiction avec mon article, ni avec les précédents. Mon article rappelle que les progrès se sont passées APRES Mao, alors que le défilé suggère une continuité due au parti pour justifier le tour de vis actuel. S’il fallait célébrer quelqu’un, c’était Deng. Et puis, de façon plus hypothétique car je ne connais pas l’avenir, je crains que le retour en arrière politique de Xi ne soit néfaste pour les Chinois comme pour les autres nations.
Cher Yves, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ta proposition. Pour que la Chine puisse avoir un avenir de grande puissance, il fallait qu’il y eut un Etat fort et uni, pour lutter contre toutes les forces centrifuges et porteuses de désordre de la Chine du début du XXème siècle. C’est ce que Mao a fait, dans le sang et les larmes, mais rien n’était possible sans cela. Je comparerais ça à l’Allemagne, dont les forces productives explosent avec l’unité de 1871. Qu’en penses-tu ?
Amitiés
Cher Pierre,
Je suis d’accord avec ta première phrase, par contre je pense que « le sang et les larmes » on été très excessifs. Le Japon, Taiwan et la Corée se sont modernisés sans tomber dans ces excès. Autrement dit l’objectif d’être une grande puissance, qui est évident et proclamé, doit-il passer par de telles souffrances ? On a commencé par sombrer pendant 25 ans, même si le redressement a été spectaculaire après.
Amitiés
On ne peut refaire l’Histoire et personne ne saura jamais si la Chine aurait pu se développer sans l’unification sanglante réalisée par Mao. La dictature de Xi va sans doute se poursuivre sans révolution de palais, parce qu’elle convient aux Chinois, qui craignent plus le désordre et le risque de guerre civile que quelques inconvénients liés au fichage et à la difficulté de débattre sur la Toile. Inconvénients réels, mais qui importunent une très petite minorité de la population. Lire La Française de Tiananmen, de Laure Guilmer, retournée en Chine 30 ans après Tiananmen et qui montre que ses amis d’alors approuvent plutôt la répression. Rappelons nous que Deng Xiao Ping avait lui-même laissé faire parce qu’il valait mieux quelques milliers de morts que l’effondrement du pouvoir ou la prise de celui-ci par les plus durs. Et puis la Chine a été le seul pays à imposer l’enfant unique en 1979, ce qui a diminué d’environ 500 millions le fardeau des humains pour la terre, de beaucoup plus à terme en comptant tous les enfants que ces non-nés ne feront pas. Vraiment merci, M. Deng et tous les Chinois !
Rien que pour ce cadeau fait au climat, on devrait laisser les Chinois s’occuper de l’Afrique, où ils sauront mieux que nous favoriser le développement et, espérons, y imposer aussi l’enfant unique !
La dictature a été la guerre en Europe, mais pas en Chine : ni Mao, ni les Empereurs du passé ne se sont montrés impérialistes, ni n’ont jamais fait aucune sortie de leur territoire, malgré quelques tentatives vers le Japon. La militarisation actuelle n’implique pas automatiquement une guerre future. Et les prises de position physiques sur les iles de mer de Chine peuvent se justifier : la Chine n’a pas participé à la rédaction du Droit international et elle aurait pu, à bon droit, exiger une exception pour la mer de Chine. En effet, un phénomène géologique tout à fait particulier, la ceinture de feu du Pacifique, a constitué des territoires juste devant ses côtes. Ces territoires, îles et péninsules, ont constitué autant de pays qui « prennent » la part de la Chine sur les mers. Ainsi, le Japon, les Corée, le Vietnam, les Philippines, Taiwan prennent toutes les mers alors qu’ils comptent moins de 400 millions d’habitants face aux 1,5 millions de Chinois. C’est une iniquité géographique, que les Chinois sont en droit moralement de rejeter. Il faudrait accepter cette exception à la cour de La Haye !
Je souhaite le même genre de dictature dans les pays arabes, seule à même de les développer à la place d’un islam stérilisateur. Youssel Chahine, copte, a soutenu le renversement de Morsi par El Sissi, et les chrétiens de Syrie soutiennent majoritairement Al Assad. J’aime ma liberté et ma démocratie, mais la dictature n’est pas à condamner partout et toujours. Rappelons-nous Napoléon qui fait cesser le désordre révolutionnaire !
Il est certain que beaucoup de pays, notamment arabes, ont des dictatures bien pires
Impérialisme ? D’accord pour dire que ce n’est pas une caractéristique chinoise (quoique le Tibet et le Sin Kiang…), mais Xi peut y tomber par orgueil ou pour mobiliser. C’est peut être alors qu’il aura des ennuis. Bien entendu, c’est une simple supposition