L’arnaque électorale du pouvoir d’achat

Nous sommes au printemps et en pleine campagne présidentielle, les promesses bourgeonnent et fleurissent. C’est ainsi que tous les candidats promettent de « défendre le pouvoir d’achat des Français » parce que les sondages nous disent que c’est ce qui les intéresse le plus.

Ce que les Français appellent « agir pour le pouvoir d’achat » se traduit en pratique par une augmentation des salaires ou une diminution de certains prix par des subventions ou des blocages.

Un homme politique une fois élu peut effectivement signer un texte le décidant. Bien d’autres l’ont fait, mais le pouvoir d’achat ne s’est pas amélioré pour autant, par exemple parce que les prix ont monté.

Car maintenir le pouvoir d’achat au sens concret du terme, c’est pouvoir acheter autant. L’améliorer, c’est pouvoir acheter davantage.

Par cet article, écrit ce 20 avril, jour du débat de l’entre deux tours qui s’ouvrira justement sur cette question du pouvoir d’achat, j’entends démontrer que les candidats nous feront sur ce sujet des promesses intenables : l’augmentation du pouvoir d’achat n’est pas de leur ressort, ainsi que l’illustre l’analyse des décisions économiques prises au cours des 50 dernières années.

Le grand souci des électeurs : le pouvoir d’achat

Les sondeurs ont relevé de nombreux souhaits : mieux rémunérer le travail des soignants, des enseignants et de bien d’autres, rendre la vie moins chère, pouvoir accéder au mode de vie souhaité et notamment au logement… Les électeurs ont également des inquiétudes sur l’avenir de la protection sociale, les retraites ou l’éducation.

On oublie l’immigration, la sécurité, la politique étrangère, la pandémie et l’écologie : le climat est vu comme un concurrent du pouvoir d’achat.

On pourrait reprendre une formule de Valérie Pécresse : on pense moins au « grand remplacement » et davantage au « grand déclassement ».

C’est tout à fait compréhensible, car les hausses rapides de prix, dues à la pandémie, à la guerre en Ukraine et aux nouveaux confinements chinois, pèsent sur les fins de mois des plus modestes.

Les démagogues se précipitent donc : « votez pour moi » dit Marine Le Pen « et votre pouvoir d’achat sera sauvé ! ». Mais peut-elle ramener la paix en Ukraine et débloquer les usines chinoises ?

Les statistiques ont beau montrer que le pouvoir d’achat augmente légèrement assez régulièrement (sauf ces derniers mois), et donc que, vu sur 10 ou 20 ans sa progression est nette, personne ne le croit.

Cette augmentation est bien sûr une moyenne, et chacun remarque que, dans son cas personnel, il est gêné par le prix des carburants s’il habite à la campagne, par les loyers s’il habite dans une grande ville etc.

Or les électeurs ont toujours raison, donc chacun y va de ses promesses.

Les promesses électorales de Marine Le Pen

Les promesses de Marine le Pen ont fait du bruit avec notamment :

  • une baisse de la TVA sur l’énergie qui deviendrait un produit de nécessité,
  • une augmentation de 10 % des salaires inférieurs à trois fois le montant du SMIC accompagné d’une exonération d’une hausse des cotisations sociales,
  • une exonération de l’impôt sur le revenu de tous les jeunes actifs jusqu’à 30 ans.

Ce serait évidemment un bouleversement total, d’énormes dépenses, qui seront compensées en partie par « des économies sur l’immigration »  (en oubliant que l’économie fonctionnerait encore plus mal, notamment dans les hôpitaux), et pour le reste seront empruntées « comme pour le quoi qu’il en coûte ».

Les expériences cuisantes du Front populaire et de Mitterrand

Certes, on peut toujours signer un papier décidant telle augmentation de salaire, telle subvention, telle exonération, telle diminution de la durée du travail etc.. La catégorie bénéficiaire pensera qu’une promesse a été tenue.

Mais tout ça sera annulé par les mouvements économiques que cette décision aura générés, comme l’ont illustré les expériences du Front populaire et de François Mitterrand.

En fait, c’est même pire : ça dérègle l’économie et fait baisser le pouvoir d’achat moyen.

Mitterrand en 1981 en abaissant l’âge de la retraite de 65 à 60 ans déclarait : « On me dit que c’est impossible, mais je l’ai fait : ça y est, c’est signé ».

Résultat de cette décision et de ses autres réformes : le pouvoir d’achat des Français a baissé de 14 %, et même de beaucoup plus, si on tient compte de la hausse qu’il aurait dû avoir « normalement » de 1981 à 1986, date des législatives après lesquelles la gestion est passée à Jacques Chirac.

Le Front populaire a vu un choc de même nature : la coalition de gauche a mis en place simultanément une augmentation des salaires, une diminution du temps de travail avec 15 jours de congés payés et 40 heures par semaine sans heures supplémentaires possibles.

Inévitablement, la production a diminué, donc le niveau de vie malgré les hausses nominales. On ne pouvait plus acheter autant qu’avant.

Reprise : ne refaisons pas les erreurs du Front populaire !

Dans ma lointaine jeunesse, alors que la CGT régnait sur les mineurs de charbon du Nord et leur permettait d’arracher des augmentations, un mauvais esprit avait eu l’idée de suivre l’évolution du prix du bifteck dans les zones minières : son augmentation mangeait une partie de celle des salaires. Corrélativement, les pauvres devaient réduire leurs rations.

Le pouvoir d’achat ne se décrète pas

En fait, aucun gouvernement ne peut augmenter le pouvoir d’achat, comme je vais maintenant essayer de le démontrer

En effet le pouvoir d’achat, c’est le pouvoir d’acheter. Pour pouvoir acheter, il faut que le bien ou le service existe, donc que quelqu’un le produise.

Or ce n’est pas en augmentant de salaire des aides-soignants que l’on fera pousser plus de carottes.

La seule chose que puisse faire un président, c’est de faire chuter ce pouvoir d’achat en faisant des choix bloquants.

La plupart l’ont fait, soit par des actes répétés et importants, comme nous l’avons vu pour Mitterrand, soit par petites doses, dont la plus connue est la prolifération des normes et règlements qui compliquent le travail de chacun.

Heureusement le pouvoir d’achat augmente progressivement mais nettement, comme le montre montre l’augmentation de la consommation jusqu’au début de la pandémie, mais c’est grâce à d’autres acteurs, ingénieurs, chercheurs, chefs d’entreprise…

Le président n’a aucun moyen d’augmenter le pouvoir d’achat, et son rôle est de prendre le moins possible de mesures bloquantes, ou, à l’idéal, de supprimer certains freins, notamment à l’emploi.

C’est ce qui a été fait, à juste titre, pour l’ISF mais cela a certainement coûté très cher en popularité à Emmanuel Macron. De même il a raison de vouloir reculer l’âge de la retraite à 65 ans.

L’âge de la retraite : la bataille contre les préjugés

Tout le reste, y compris des mesures souhaitables pour d’autres raisons, comme augmenter le salaire des enseignants débutants ne servira pas le pouvoir d’achat. Celui des bénéficiaires directs augmentera, ils achèteront davantage et donc il y aura moins de biens pour les autres, parce que cette augmentation de salaire ne débloquera aucune marchandise des ports chinois !

Bref on aura favorisé, éventuellement à juste titre, une minorité au détriment de la majorité. Et si on augmente tout le monde on se retrouvera avec plus d’argent pour se partager la même production et le pouvoir d’achat n’aura pas bougé.

Pourquoi ?

Vous connaissez mes idées : ne pas s’éloigner du concret. Le pouvoir d’achat se concrétise par des achats, c’est-à-dire l’acquisition de biens et de services, dont la première qualité doit être d’exister.

Or, pour exister, il faut que quelqu’un les produise. Je remarque que Mélenchon voulait réduire le temps de travail à 32 heures par semaine et avancer la retraite à 60 ans. Que va devenir alors la production, donc le pouvoir d’achat, que l’on promet dans le même programme d’augmenter ?

Remarquons que cet exemple est valable pour l’ensemble de la planète. L’économie est un jeu à somme nulle, sauf augmentation de la productivité., mais cette dernière dépend de progrès chez les producteurs et non du gouvernement.

Depuis 30 ans une grande partie de la croissance du niveau de vie mondial est venue de la croissance chinoise.

Les producteurs du monde entier ont profité des réformes de ce pays pour augmenter massivement leur productivité. Il y a eu des gagnants et des perdants. Les principaux gagnants sont les Chinois, mais on oublie que les consommateurs du monde entier ont été eux aussi largement gagnants, français compris, qui ont des prix stables ou en baisse.

Il y a eu aussi des perdants : les employés des usines fermées en France et ouvertes en Chine.

Le pouvoir d’achat moyen des Français a effectivement nettement augmenté, mais celui des ouvriers en question a diminué.

La France est aujourd’hui ouverte, mais ça ne change pas grand-chose

Aujourd’hui, la France n’est plus fermée comme à l’époque du Front populaire ou, dans une moindre mesure, de Mitterrand. Une illustration en est le « quoiqu’il en coûte » d’Emmanuel Macron qui a été financé par l’endettement.

Autrement dit, les biens que nous ne produisons pas ou l’argent que nous n’avons pas peuvent venir de l’extérieur via le déficit commercial ou la dette.

Mais il n’y a toujours pas de miracle : nous pouvons être en déficit commercial (en fait largement compensé par notre excédent de services en année normale) à condition que d’autres produisent à notre place.

Cela a été le cas de la Chine, mais cela ne durera probablement pas. À court terme à cause de la paralysie due à la reprise des confinements à Shanghai et à Shenzhen, à moyen terme par le déclin démographique de la Chine et les multiples erreurs de son gouvernement.

Démographie chinoise : histoire d’un déclin annoncé

Accessoirement, les Ukrainiens produisaient eux aussi à notre place. Certes, indirectement en nourrissant l’Égypte ou en servant de sous-traitants aux Polonais, qui était eux mêmes sous-traitants des Allemands.

Mais comme l’économie mondiale forme un tout, l’effondrement de la production ukrainienne nous touche aussi. Et le ralentissement de l’économie russe également, ainsi que l’illustre bien le fait du jour : Netflix chute de 25% en bourse en 24h parce qu’il annonce pour la première fois de son histoire une baisse de son nombre d’abonnés. Pourquoi ? Parce qu’il s’est retiré de Russie où il avait 700.000 abonnés !

Quant à l’argent que nous nous procurons en nous endettant, il vient des pays qui ont trop d’argent pour l’utiliser et doivent le placer en bons du trésor français. Qui a trop d’argent ? Eh bien par exemple l’Arabie qui nous vend son pétrole à 100 $ le baril et nous prête donc l’argent qu’elle nous a pris.

Résumons : le pouvoir d’achat, c’est le pouvoir d’acheter. Des biens français si possible, ou, à défaut, des biens étrangers mais à condition qu’ils existent, c’est-à-dire que d’autres pays soient excédentaires, et consomment moins qu’ils ne produisent.

Cela a longtemps été le cas de la Chine mais c’est probablement terminé, comme nous venons de le voir.

C’est analogue pour l’endettement : si l’Arabie nous prête, cet endettement ne se transformera en pouvoir d’achat que si nous pouvons acheter des biens ou services étrangers avec cet argent. Nous venons de voir que ce n’est pas si simple.

Conclusion : les électeurs poussent les candidats à faire des promesses intenables

Les privations de liberté et répressions en Russie et en Chine nous font apprécier tous les jours d’être en démocratie.

Mais le revers de la médaille est que nous devons répondre aux inquiétudes des électeurs, qui pensent qu’il suffit de mettre de l’encre sur du papier pour améliorer leur sort, alors que ça dépend du travail de tous, lequel ne devient plus productif que lentement, si on laisse travailler les entrepreneurs et les ingénieurs.

Le pouvoir d’achat, par contre, est facilement paralysé par de mauvaises décisions, ou par les événements extérieurs tels qu’une pandémie ou une guerre.

À ce propos, n’oubliez pas que nous avons la guerre à nos portes en Ukraine et que la Chine s’est reconfinée face au virus. Tout cela perturbe la seule source de pouvoir d’achat qu’est la productivité mondiale du travail.

Donc je suis au regret de vous annoncer qu’en dépit de toutes les belles promesses que vous feront les candidats ce soir, le pouvoir d’achat va probablement encore baisser en 2022 !

Yves Montenay

6 commentaires sur “L’arnaque électorale du pouvoir d’achat”

  1. Parfaitement d’accord avec vous… comme tous ceux qui comprennent un peu l’économie. Est-il possible d’imaginer une démocratie sans démagogie ? Pourquoi les Français croient-ils les promesses électorales inconséquentes et démesurées ? Pas assez d’économie au lycée ? Ou idéologie antilibérale du corps enseignant ? Que faire ?

  2. Un gouvernement ne crée pas magiquement du pouvoir d’achat pour tout le monde, mais il peut quand même en transférer d’une catégorie de population à une autre, c’est le principe même de la redistribution.
    A ce propos, je remarque que les deux parlent d’augmentation des retraites : d’une façon ou d’une autre, cela se ferait évidemment au dépend des actifs, mais d’un autre côté, ce sont les personnes âgées qui votent le plus.
    Si je proposais d’indexer les retraites sur les performances réelles de l’économie, en les autorisant même à baisser, j’aurais bien peu de chances d’être élu.

  3. Les électeurs (ou bcp d’entre eux) n’attendent pas, je crois, des programmes sérieux mais des promesses qui leur donnent une satisfaction narcissique même s’ils n’y croient pas au fond :  » vous valez bcp que ce que vous gagnez, je ferai en sorte que vous gagniez plus ».
    Pour les gouvernants, c’est tellement agréable de se prendre pour un chef d’orchestre, même si, au fond, on ne maîtrise pas grand-chose.
    Le libéralisme c’est la vraie démocratie, mais la démocratie tué le libéralisme.

  4. Le billet et les commentaires sont écrits par des ingénieurs… Les promesses font partie du langage de cet animal bizarre que sont les humaines et les humains. Leur objectifs est juste d’inspirer un peu plus « confiance » à plus de personnes qui raisonnent à l’intérieur de clans ou groupes sociaux et leurs codes. Les programmes et les promesses factuels jouent un rôle faible, comme on a pu le voir avec le vote utile au 1er tour. Devant la montée de Mélenchon (au moins 50% de vote utile) , les zemmouriens ont abandonné l’Eric et voyant que Macron allait être sorti par les 2 extremes , les retraités ont abandonné en masse Pécresse. pour le candidat ayant fait le moins de discours, programmes et promesses.
    Le problème c’est le processus électoral sur des questions abstraites pour un monarque pour 5 ans.
    Une meilleure démocratie serait le vote liquide fréquent; sur une question concrète : soit vous votez au jugement majoritaire sur les différentes solutions élaborées par une sorte de parlement représentatif bien doté de moyens soit vous déléguez votre voix à quelqu’un qui a votre confiance, en général ou pour cette question. Idem pour votre élu … que vous pouvez changer à chaque round ou pas … toutes les semaines ou mois.
    Cela ne supprimera pas le clientélisme, l’égoïsme intéressé, la passion idéologique ou l’abstention .
    Et idéalement, quelqu’un ne voterait pas quand il bénéficiaire direct de la mesure (comme cela se pratique pour les dirigeants actionnaires).

  5. Plusieurs remarques :
    – en lisant votre argumentaire, je ne peux m’empêcher de penser que vous critiquez, implicitement et à juste titre, la politique industrielle menée depuis 40 ans par notre soi-disante « élite bourgeoise ». Politique qui pourrait se résumer à ceci : favorisons les grands groupes au mépris des petites et moyennes entreprises et passons d’une société industrielle à une société de services. Ces énarques et autres clones issus de « grandes écoles » ont lamentablement échoué depuis 4 décennies, ne se sont jamais remises en cause et nous en subissons maintenant les conséquences : pays désindustrialisé, manque d’investissement dans la recherche, chômage massif et montée concomitante des extrémismes .

    – même si vous ne semblez pas porter à coeur les organisations syndicales, celles-ci ont depuis longtemps alerté les dangers de telles politiques économiques. Mais on préfère les dénigrer plutôt que de les écouter ou de travailler avec elles….Je n’ai pas l’impression que cela ait beaucoup évolué.

    – associer pouvoir d’achat et augmentation de la production de biens et services est logique. Mais, et vous ne l’abordez pas ici, ou ai-je mal lu, il faut aussi parler de la redistribution du pouvoir d’achat , une fois les biens produits. Comment peut-on lier les augmentations exorbitantes des revenus des patrons du CAC 40 depuis 2 ans avec une « augmentation » bien moindre ou inexistante de la production de biens ?

    – votre étude sur les impacts économiques et les erreurs du Front Populaire est intéressante et juste. Mais les travailleurs avaient -ils le choix? Léon Blum avait-il le choix? Nos élites économiques sont tellement hermétiques au dialogue social qu’il faut aller au clash pour se faire entendre. Cela n’a pas tellement changé comme nous l’avons vu avec le mouvement de Gilets Jaunes.

    – enfin, votre note sur l’augmentation de l’âge de la retraite. Remarquons déjà que vous faites partie de la génération privilégiée qui a bénéficié de bonnes conditions de départ ( revenus et âge de départ), génération qui se permet d’imposer de plus lourdes conditions aux autres générations… Si l’Allemagne a un âge de départ à la retraite plus tardif que la France, cela s’explique par la pyramide des âges , plus déséquilibrée que chez nous avec une part des jeunes plus faible. Pourquoi la copier et augmenter l’âge de départ à la retraite alors que des millions d’actifs en France ne trouvent pas de travail?

    1. Je suis d’accord sur beaucoup de points, et ne vais vous répondre que sur les autres.
      – pour la Chine, le responsable est Deng Xiaoping et sa politique intelligente (voir : https://www.yvesmontenay.fr/2019/01/24/croissance-il-ny-a-pas-de-miracle-chinois/) plutôt que nos énarques, puisque les Allemands et les Américains ont eu le même comportement que nous.
      – « Les millions d’actifs qui ne trouvent pas de travail » n’existent pas, foi d’ancien employeur. voir : https://www.yvesmontenay.fr/2022/01/19/on-manque-de-bras-et-de-cerveaux-ou-sont-ils/

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