Arrêtons de parler d’argent et travaillons ! - Le Cercle Les Échos

Arrêtons de parler d’argent et travaillons ! – Le Cercle Les Échos

Les allocations de chômage partiel, de chômage total, les plans de soutien, l’agitation de la banque centrale européenne pour alimenter les États nous font oublier l’essentiel : produire !

Tribune d’Yves Montenay publiée dans Le Cercle Les Echos

La dette, remède miracle

Brusquement, nous avons été couverts d’argent et dispensés de travail. Ma foi ce n’était pas si mal, et les appels à retravailler nous ont souvent semblé incongrus. Pourquoi se fatiguer puisque le gouvernement semble avoir trouvé une source d’argent facile et illimitée : la dette.

Les marchés sont généreux : on peut s’endetter à taux quasi nul, voire négatif. On dit d’abord rapidement que « ça ne coûte rien » puisque les taux d’intérêt sont bas et parfois négatifs… en oubliant qu’il faudra sans doute rembourser. Quoique l’on commence à nous dire que ce ne sera peut-être pas nécessaire.
Je lis sur les réseaux sociaux, souvent un peu catégoriques et trop heureux de trouver une solution simple : « la dette, il n’y a qu’à s’asseoir dessus« .

Mais si on ne rembourse pas, plus personne ne nous prêtera. Or nous sommes en déficit et nous devons emprunter tous les jours. Et s’il n’y a plus de prêteurs, que se passera-t-il ?

Souvenez-vous de la Grèce !

Les magiciens de la dette

Objection simpliste, me répond-on. Vous voyez bien que la presse multiplie les articles sur les financements « non conventionnels » par la Banque centrale européenne, parfois appelés « monnaie hélicoptère », suggérant des billets de banque jetés du ciel comme solution à tous les problèmes.

Du coup, un certain nombre de magiciens suggèrent que cette dette n’existe pas ou peut être annulée. J’ai tenté de trouver un article sérieux sur ce sujet.

Le voici. Pierre Khalfa, membre d’Attac et de la Fondation Copernic, déclare dans une tribune publiée par Le Monde du 20 mai : « L’annulation des dettes publiques détenues par la BCE relève d’un choix politique ».

Voici son raisonnement : « la BCE a un pouvoir illimité de création monétaire tant que les citoyens et les citoyennes continuent à accorder leur confiance à la monnaie – et tant qu’un système productif est à même de produire les biens et services nécessaires (c’est moi qui souligne). L’annulation des dettes publiques serait une décision politique et non pas une impossibilité économique, comme Jean Pisani-Ferry veut nous le faire croire avec sa formule : « Annuler la dette, c’est toujours en transférer le fardeau à d’autres ». »

Attention ! La phrase sur « le système productif » détruit ce beau raisonnement : ce qui compte, c’est de produire les biens et services nécessaires, donc de travailler.

Avoir de l’argent, qu’il vienne de la dette ou l’impôt sur les riches, ne sert à rien tant que les supermarchés sont vides. Et ils le seront si on ne travaille pas assez. Car la nourriture, ce n’est pas seulement les agriculteurs et les caissières, mais tout ce qui y contribue indirectement, les pétroliers pour le carburant des camions de livraison, des garagistes pour maintenir et réparer ces mêmes camions, les fabricants d’emballages, d’engrais, tracteurs… bref de fil en aiguille presque tout le monde !

On retombe sur le fait qu’il n’y a pas de miracle : même si une solution juridique était trouvée pour annuler la dette, ça ne changerait pas le problème économique : c’est la production qui manque, pas l’argent.

…Encore une fois, il faut travailler : quelle horreur !

On a donc trouvé une formule-choc pour éviter ça.

« Le travail, ce sont leurs profits »

Nous avons vu fleurir le slogan « notre santé avant leurs profits« . Comprenez : il vaut mieux rester chez soi (en étant payé) que de risquer sa peau à l’usine. C’était en substance le message du fonctionnaire CGT de l’Éducation nationale invité lors de l’émission BFM du 10 mai à laquelle j’étais convié pour parler du déconfinement.

Évidemment, c’est moins risqué quand celui qui vous paye ne risque pas la faillite, c’est-à-dire pour les fonctionnaires et quelques autres catégories… Bref, il est plus facile de rester chez soi si le travail que vous évitez n’est pas capitaliste… quitte à ce que vous paralysiez des salariés du privé en ne scolarisant pas leurs enfants ou en paralysant leurs entreprises en cessant d’accomplir les formalités qui leur sont (hélas) si nécessaires !

Qu’en pensent « les capitalistes » ?

Les capitalistes de mon environnement, amis, commerçants du quartier, assureurs, pétroliers, et j’en oublie, ont un rire amer en lisant ce slogan : « Quel profit ? Nous sommes en lourde perte ! » Idem pour les épargnants ou retraités par capitalisation dépendant, directement ou indirectement, de la bourse, avec les dividendes 2020 reportés ou annulés.

Mais les magiciens estiment que tous ces capitalistes subissent une « juste punition » et que travailler pour les capitalistes, ce n’est pas vraiment du travail, « C’est de l’exploitation« .

Le bon peuple écoute avec sympathie, et rares sont ceux qui se posent la question : « Alors quel autre système ? », sachant que tous les essais jusqu’à présent ont fini dans le sang. Même la Chine doit son succès à son secteur privé, indigène ou étranger.

Mais d’où vient donc cette haine du secteur privé ? De la guerre froide, où on enseignait au bon peuple qu’il fallait voter pour des magiciens pour rejoindre le « soleil qui se lève à l’Est« . C’est-à-dire à Moscou, puis dans le Pékin de Mao et aujourd’hui dans celui du président Xi !

Revenons à la source.

« L’opium des intellectuels » est toujours d’actualité

Ce livre célèbre de Raymond Aron en pleine guerre froide détournant le slogan marxiste « la religion est l’opium du peuple », décrivait l’adhésion des intellectuels français au communisme. Cela donnait une justification idéologique au non-conformisme et à la révolte.

Ce qui montrait d’ailleurs une ignorance abyssale du « socialisme réel », que les sceptiques opposaient au « socialisme rêvé ». « Socialisme réel » que je découvrais à cette époque en voyageant dans les pays de l’Est en route vers « l’avenir radieux ». Là-bas, il n’était évidemment pas question de non-conformisme et encore moins de révolte !

Néanmoins, la consigne d’alors dans les dîners en ville était « Il vaut mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron » : il était snob d’être « progressiste » et ennuyeux de se pencher sur la réalité.

Heureusement pour sa réputation, Sartre a changé d’avis à la fin de sa vie et a rejoint Raymond Aron pour accueillir les réfugiés indochinois fuyant le communisme. Communisme que Sartre, enfin lucide, appelait avec dégoût « la chose ».

Quand la culture se dévoie

Et si je remonte plus loin dans le temps, le travail d’Andrew Sobanet (Generation Stalin: French Writers, the Fatherland, and the Cult of Personality) rappelle à quel point les plus grands écrivains français ont versé dans l’adoration de Staline, notamment Henri Barbusse, Romain Rolland, Paul Éluard et Louis Aragon, en notant qu’André Gide et Boris Souvarine ont été parmi les rares à s’en dégager à temps.

Eh bien aujourd’hui nous n’avons plus Sartre, mais Juliette Binoche, chef de file de l’anticapitalisme mondain, qui se voit en Greta Thunberg et a signé un retentissant « Appel des 200 » pour qu’on ne revienne pas « à la normale » après la pandémie, mais que l’on construise un « Nouveau Monde » magique.

Et de nombreux intellectuels alimentent en « arguments » ceux que l’on pourrait appeler « socialistes idéalistes », c’est-à-dire une bonne part de l’électorat français et notamment du corps enseignant, ce qui ne prépare pas vraiment les élèves à la vie réelle dans notre système économique.

Le 12 mai, j’ai noté un article mi-ironique mi-scandalisé : « travailler plus, le patronat en rêve encore : moins de congés et de RTT, plus d’heures de travail. Les syndicats ont immédiatement mis leur veto« .

À l’opposé, l’IFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) estime qu’avant la pandémie nous perdions déjà 100 milliards par an par rapport à des voisins travaillant plus longtemps et partant de la retraite plus tard.

Depuis, la situation s’est aggravée, car les Allemands ont redémarré leur industrie avant nous et vont notamment servir, à notre place, nos clients à l’export. Les salariés du privé savent que si la reprise tarde, leur revenu et probablement leur emploi seront touchés. Travailler davantage permettrait de les sauver.

Personnellement, je ne trouve pas choquant qu’ayant touché de l’argent sans travailler pendant quelques semaines, nous essayions de rattraper la production perdue en travaillant davantage.

Ne serait-ce que pour que cet argent nous serve à quelque chose, ce qui ne sera pas le cas s’il n’y a pas suffisamment à acheter, et donc de produit par quelqu’un.

Bref, le futur « de lait et de miel » que nous consommerions sans quitter notre canapé n’est que la reprise de notre vieille fracture idéologique, qui explique largement notre déclassement et notre chômage… reparti en flèche !

Yves Montenay, ancien chef d’entreprise et enseignant d’économie

6 commentaires sur “Arrêtons de parler d’argent et travaillons ! – Le Cercle Les Échos”

  1. C’est pourtant bien la culture de la dette, élément maintenant essentiel et on peut le dire plus que jamais après la « crise sanitaire », consubstantiel, de la société contemporaine française, qui a présidé (en l’autorisant) au confinement imbécile et suicidaire de l’économie du pays.
    Le « quoi qu’il en coute » d’Emmanuel Macron pour anesthésier trois mois un peuple imbécile c’était cela. Bien sur qu’il faut penser à l’annuler, cette fameuse dette: elle est maintenant vraiment énorme, va augmenter considérablement dans un avenir proche (la récession qui nous attend va être monumentale) et nous paralyse pour longtemps, en tout cas pour toujours à mon échelle personnelle.

    Contrairement à tout ce que j’avais pu espérer depuis la fin de la folie socialiste qui hélas ne le fut pas vraiment, la société française ne se sortira pas du piège sauf du fait d’une catastrophe physique effective (guerre, assujettissement durable). Fin de partie pour ce qui me concerne. Le déluge, c’est maintenant.

    1. Je ne vois pas bien le lien avec l’article. J’essaye de raisonner en valeur réelle : production, consommation. La dette n’a rien à voir là-dedans. Il y a eu un appauvrissement physique par renoncement à certaines consommations, voyages par exemple, et il y aura rattrapage pour d’autres.

  2. Tout le début de l’article est consacré avec raison à la dette comme faux remède. Celle qui est en train d’être contractée, en plus de la présente, déjà excessive, nous ne pourrons pas la supporter sans un appauvrissement généralisé et global de la société d’ailleurs en cours.
    Nous avons déjà eu ce débat, et il me semble commencer à être tranché: 1 million de chômeurs de plus (annulation de tous les pénibles gains depuis la pénible et très lente sortie de la crise de 2010), et une récession à -10% qui mettra au minimum deux ans à être récupérée (estimation de la Banque de France). Il me tarde de voir la désindustrialisation française qu’on pourra attribuer spécifiquement au confinement: en gros toutes les trésoreries bancales et fragiles qui n’ont pu résister à l’arrêt des fabrications. Le massacre des sous traitants de l’aéronautique, par exemple, a d’ailleurs commencé.
    Le rattrapage sera long et pénible, s’il a lieu. Et ce qui est dramatique, c’est qu’il n’y a aucune espèce de conscience de la catastrophe en cours de la part des « élites ». Vous en êtes un exemple.

    1. Comme dit au fil de mes articles, il n’y a pas de raison que le rattrapage soit long et pénible, sauf si on le sabote volontairement ou non. Attendez mon prochain article sur ce sujet

  3. On l’attend avec impatience ! Et il vous faudra contredire Nicolas Baverez, qui parle lui d’une décennie pour rattraper la chose. La crise financière de 2008/2010 qui a définitivement fait diverger la France et l’Allemagne n’est toujours pas effacée, alors celle-là…

    1. 10 ans après 2008 comme après 2020, ce n’est plus une conséquence de la crise, mais la politique économique de base

Répondre à Yves Montenay Annuler la réponse.