La publication par la Chine le 16 avril 2021 d’une croissance de 18,3 % au premier trimestre de 2021 a fait son petit effet… et les admirateurs de ce pays s’en sont félicités.
Au-delà de ce « coup de pub » très réussi, il faut d’une part bien situer ce chiffre dans son contexte, ce qui relativise beaucoup son importance, et plus fondamentalement voir si le PIB chinois reflète bien la situation du pays et si cette dernière est durable.
Un chiffre à relativiser
Au premier trimestre 2020, le PIB avait baissé de 6,8 % par rapport à 2019. Par rapport à cette année-là la hausse est donc en gros de 11,5 %, soit 6,75 % par an. C’est un chiffre très honorable, mais qui reste dans l’ordre de grandeur de la croissance chinoise habituelle, soit 6 à 7%.
Autre point de repère : la croissance est de 0,6 % par rapport au dernier trimestre de 2020. Si ce dernier est considéré comme normal, ça nous donne donc une croissance annuelle de 2,4 % par rapport à ce niveau « normal » si elle continue à ce rythme.
Mais il est extrêmement difficile de trouver quel est le niveau « normal » pouvant servir de point de repère.
Tout au plus peut-on dire que la Chine a bénéficié depuis maintenant environ neuf mois d’une demande accrue du reste du monde qui était partiellement paralysé. Ainsi les exportations ont progressé de 30 % en mars, tandis que d’autres secteurs comme le transport aérien et ferroviaire sont à 60 % de leur niveau normal.
Bien sûr, il faudra voir quelle sera la croissance des trimestres futurs. Ils bénéficieront des plans de relance européens et surtout américains qui mèneront les habitants de ces pays à importer ce qui ne pourra pas être produit sur place. Cela peut donner de beaux chiffres en 2021, mais ne sera pas forcément durable.
Enfin il faudra être attentif aux quantités, et non pas seulement aux évaluations monétaires. J’ai le souvenir d’une série de statistiques glorieuses alors que la consommation d’électricité stagnait.
Bref nous aurons en 2021 des chiffres à regarder avec précaution. Mais plus fondamentalement je pense que le chiffre du PIB n’est pas une bonne façon d’analyser la situation chinoise.
Le PIB reflète-t-il la situation des Chinois ?
Les économistes savent que tout PIB est largement arbitraire.
Par exemple, en France, où la fonction publique rassemble environ un actif sur quatre, on admet par convention que la valeur du travail de l’administration est égale à son prix de revient.
Or cela fausse considérablement le résultat, car certains services sont peu utiles, par exemple s’ils se doublonnent dans deux niveaux de notre millefeuille territorial, tandis que d’autres sont extrêmement précieux : un bon professeur apporte à la nation un service très supérieur à son modeste salaire. Si l’éducation était privée, on se l’arracherait, et il aurait un salaire qui aurait plus de sens sur le plan économique.
De même, si en France les particuliers dépensent environ 85 % du PIB après en avoir épargné 15 %, cette proportion n’était que de moins de 50 % en Chine. Ce qui veut dire que le PIB chinois est construit de telle façon que les particuliers ne peuvent pas en profiter… par exemple en étant obligés d’épargner une forte proportion de leurs revenus pour payer leurs frais de santé lorsqu’ils seront âgés, et compléter leurs retraites qui sont faibles, voire inexistantes dans beaucoup de métiers : souvent une centaine d’euros mensuels pour les paysans, à condition qu’il puissent acheter des points, ce à quoi les aident les administrations locales. On monte à 270 € dans les villes de plus de 10 millions d’habitants et 470€ à Pékin et Shanghai.
C’est l’occasion de préciser que si beaucoup de récits décrivent la vie relativement confortable des citadins chinois des grandes villes (transports en commun, espaces verts, écoles…) cela laisse de côté 3 à 400 millions de migrants de l’intérieur, obligés de laisser leurs enfants aux grands-parents au village, où le niveau de vie est beaucoup plus faible. Les prestations n’y sont pas du tout les mêmes que dans les grandes villes. Les migrants eux-mêmes restent rattachés administrativement à leur village et n’ont pas droit aux prestations dont bénéficient les natifs de la ville pour lesquels ils travaillent à partir leurs baraques de chantier.
Enfants, grands-parents retraités ou paysans, totalisent également quelques centaines de millions de personnes, soit probablement une grande partie des six cents millions de pauvres cités par le premier ministre en juin 2020. Ce chiffre ne comprend apparemment pas les migrants dont le salaire, sinon le statut, est a priori normal. Le niveau de vie d’une grande partie des Chinois reste donc faible.
Par ailleurs, cette mise en avant du PIB escamote d’autres problèmes.
La dette et l’inflation
Prenons un exemple concret, fréquent en Chine. Vous construisez un immeuble financé par une dette contractée auprès d’une banque amie (vous êtes tous les deux membres bien placés du PCC, le parti communiste chinois, réseau économique indispensable). Le PIB chinois augmente du prix de revient de l’immeuble. L’immeuble reste vide, vous ne pourrez pas rembourser et votre ami banquier classe sa créance sur vous dans un dossier discret. L’augmentation du PIB ne correspond pas à la réalité !
Le PIB pourrait être également gonflé par une inflation supérieur à l’inflation mondiale, toujours très faible actuellement. Début mars, Guo Shuqing (郭树清), directeur de la commission chinoise de réglementation des banques et des assurances, s’inquiétait de la création monétaire occidentale : « comme l’économie est devenue très mondialisée, les capitaux étrangers vont arriver en Chine et gonfleront le prix des actifs. »
Comme beaucoup d’autres observateurs, il craint une accentuation de la bulle sur le marché immobilier chinois, puis son explosion : « il y aura de lourdes pertes et un chaos économique ».
Il n’y a pas que l’argent étranger qui pourrait générer des bulles : Pékin demande aux gouvernements locaux, jusqu’au niveau des villages, de s’endetter pour financer les infrastructures et la construction. D’une part, c’est plus discret qu’un endettement au niveau national et d’autre part Pékin pourra se dire non responsable et disposera d’un commode bouc émissaire.
Le copinage de la base au sommet risque de financer des entreprises non performantes ou des organisations frauduleuses qui gonfleront ainsi le PIB.
Le danger de la fermeture économique
De représailles en contre-représailles, de boycott d’entreprises occidentales en dénonciations d’ingérence dans ses affaires intérieures, on se dirige vers une certaine fermeture économique entre la Chine et le reste du monde.
Une partie des Chinois pense que leur 1,4 milliards d’habitants qui ont maintenant un niveau de vie « correct », constitue un marché qui leur permet de se déconnecter du reste du monde.
Ce n’est pas mon avis, ni celui des Chinois « pragmatiques ».
Non seulement ces 1,4 milliards d’habitants cachent une diminution de la population active, un fort vieillissement de la population et donc une augmentation du nombre des retraités à faible revenus, mais cela sous-estime l’utilité des échanges intellectuels et techniques permanents avec le reste du monde, qui ont justement permis à la Chine de décoller.
On voit même se développer une tendance « néo maoïste » qui veut ajouter à cet isolement l’abandon du dollar. Si rien n’est théoriquement impossible, les exemples de la période maoïste, de l’URSS et des pays à monnaie non convertible devraient les faire réfléchir.
« Mais pourquoi notre monnaie serait-elle inconvertible ? » disent les maoïstes. À mon avis parce que la convertibilité implique une transparence et un libre jeu du marché que Pékin n’a aucune envie d’essayer. On retrouve le dilemme chinois.
En conclusion
Il faut donc relativiser les chiffres flamboyants du PIB chinois. Attendons la suite et analysons la réalité qui est derrière, notamment « physique » : production d’électricité, population active, immeubles vides, créances douteuses…
On retrouve à l’arrière-plan le dilemme chinois : s’ouvrir au monde, c’est la prospérité, mais c’est aussi laisser circuler des idées subversives.
Depuis plus de 30 ans Pékin répète qu’il faut « « ouvrir les fenêtres sans faire entrer les mouches ».
Plus profondément encore, une société peut-elle progresser sans un minimum d’idées paraissant subversives aux gouvernants ? En l’absence de liberté de discussion économique, politique, et même religieuse ou philosophique, toute société voit son élite se cantonner dans un entre soi, à la défense de ses positions, qui deviennent des privilèges.
Il y a alors deux possibilités : soit cette élite garde le contrôle de la population, comme ce fut le cas en URSS et comme c’est le cas actuellement en Chine, en Corée-du-Nord ou encore à Cuba, soit tout craque.
Cela peut être à l’arrivée d’une nouvelle génération (Gorbatchev en URSS), ou d’un soulèvement populaire. Ce dernier cas est le moins probable : que l’on pense aux printemps arabes, à la Biélorussie, au Venezuela, à certains pays africains… : « on ne fait pas de révolution contre l’armée »
Tant que dure le pouvoir de l’élite actuelle, je parie pour un ralentissement graduel de l’économie réelle de la Chine.
Yves Montenay
Je suis d ‘accord avec votre conclusion. Mais encore une fois, nous raisonnons avec nos schémas mentaux d’occidentaux et nos critères capitalistes. La Chine va mettre le paquet sur la recherche et l’innovation pour asseoir sa domination d’ici 2050. Un exemple parmi tant d’autres : le système bancaire central chinois commence déjà a reprendre en main les cryptomonnaies (les « bitcoins » à la chinoise), évidemment pour ensuite sen servir afin de s’émanciper du dollar comme monnaie de référence. La Chine fera la course à l’économie durable et circulaire, luttera ensuite contre l’échauffement climatique (critere qui remplacera à terme celui du PIB), et misera sur l’exportation de ses produits les plus innovants et concurrentiels. Son critère sera de consolider une balance commerciale positive tout en développant son marché intérieur en autarcie. Elle a déjà pris de l’avance pour la production des batteries électriques et des panneaux photovoltaiques. Elle vise aussi la conquête technologique et militaire de l’espace interplanétaire, et vient d’y consacrer des moyens colossaux. Si l’URSS s’est écroulée à cause de Tchernobyl, elle avait été la première à envoyer un homme dans l’espace quand elle était encore une superpuissance.
Oui, elle va essayer de faire tout ça. Et comme l’URSS, elle y arrivera pour quelques questions décidées prioritaires. Mais je suis sceptique pour l’innovation dans les autres cas.
le PCC a malheureusement une autre option la guerre !
+ ou – vingt million d’hommes de plus que de femmes qui s’ils y laissent leurs vie n’auront pas ou peut d’impacte sur les données démographiques a long terme . . . !
Certes, mais la guerre ne choisit pas ses victimes. Et la Chine manque de jeunes adultes. Et elle ipporte clandestinement des femmes des pays voisins
Ca fait longtemps que je surveille des paramètres comme la production électrique, l’avancement du programme nucléaire chinois, le développement des infrastructures ferroviaires, etc. mais le PIB lui-même est en effet de peu d’intérêt (et je ne le connais même pas), surtout quand les gouverneurs des régions trichent pour présenter des chiffres de croissance
flatteur. Et même pour la population, on ne doit pas être à 50 millions près, ou même 100 millions.
Par contre, des choses comme un chantier de réacteur nucléaire ou un barrage, c’est vérifiable par des images satellite accessibles au public de nos jours. Tout comme les niveaux de pollution ou l’éclairage des villes la nuit.
Merci pour cette confirmation de préférer le « physique » au PIB !
bonne idée et quelle conclusion tirez vous de cette surveillance ?
La démographie (interne) future de la Chine ne va sans doute pas arranger les choses.
Lire: » China’s population to enter negative growth after 2025: Official »
(https://economictimes.indiatimes.com/news/international/world-news/chinas-population-to-enter-negative-growth-after-2025-official/articleshow/82131120.cms).
Mais cela ne sera pas un gros problème pour les amis de Xi Jin Ping (les dictatures craignent souvent l’amélioration des conditions de vie de leur population). Des dérivatifs (ou justificatifs) efficaces existent à l’appauvrissement: les conflits territoriaux ou les guerres. Le leurre politique intérieur est déjà en place: c’est l’ennemi extérieur Hong Kong (avalé totalement), puis l’ennemi extérieur prochain (Taïwan), sans parler des eaux Indo-Pacifques quasiment conquises (avec la perspective d’une base navale à Sihanouk-ville, offrant un beau panorama militaire sur le golfe de Thailande, et une possibilité de prise en tenaille du Vietnam).
Quand on va prendre chez les voisins les richesses qu’on ne produit plus chez soi, on peut passer ses « fins de mois » futurs sans angoisse. Et puis, il y a les débouchés ou autres conquêtes de marchés au loin (avec les créances que cela entraine et les chantages politiques que cela permet). Trivialement dit: la Chine s’est constitué récemment une bonne petite marge de manœuvres techno-économiques ou industrielles lui offrant un beau coussin d’amortissement pour l’avenir …
Bref: si vraiment la « décroissance » guette la Chine, c’est plutôt une bonne nouvelle pour la Nomenklatura chinoise, une moins bonne pour les Chinois certes mais surtout une encore moins bonne pour les Asiatiques voisins à portée des missiles chinois récemment installés dans l’Indo-Pacifique…!
Je précise mon commentaire précédent, Il faudrait parler d’autosuffisance, plutôt que d’autarcie. A mon sens, le régime communiste n’envisage pas la croissance infinie de la consommation de masse, mais l’autosuffisance économique nationale planifiée (c’est en cela qu’elle se différencie des économies capitalistes). La publication du PIB ne vise dès lors qu’à impressionner les démocraties libérales et n’a que peu de signification en soi. A mon avis, on devrait plutôt accorder plus d’attention à trois autres critères chiffrés : celui de la demande intérieure chinoise (en quantité de marchandises et de services échangés), celui du niveau des exportations, et celui du niveau d’endettement. La demande intérieure reste très faible, ce qui laisse une grande marge de progression (en centaines de milliers d’habitants) pour la développer en vue d’atteindre le stade de l’autosuffisance ; les exportations, en augmentation constantes, complètent la demande intérieure pour soutenir les investissements publics du régime (directs ou indirects), et leur permettent de constituer des réserves de devises ; mais le niveau d’endettement est leur talon d’Achille, car il maintient leur dépendance vis-à-vis du monde extérieur (notamment les bons du Trésor américains). Ils ne pourront réduire leur endettement qu’en augmentant encore leurs exportations, d’où le soutien gouvernemental à la recherche, au développement et à l’innovation des entreprises. En cela, le plan de relance Biden va les aider : il va booster les exportations chinoises (c’est la conséquence du choix d’une politique de la demande) !
Quelques repères récents sur les limites (et leurs conséquences) de la croissance chinoise (dans Les Echos):
1) « L’économie chinoise poursuit son rebond ». 16 avril 2021 (https://www.lesechos.fr/monde/chine/la-chine-annonce-une-croissance-record-au-premier-trimestre-1307454)
2) « Défense : Pékin muscle ses forces d’interventions navales en mer de Chine », 24 avril 2021 (https://www.lesechos.fr/monde/chine/defense-pekin-muscle-ses-forces-dinterventions-navales-en-mer-de-chine-1309712)
Merci ! Cela confirme mon dernier article, et les précédents