Mon Ile Maurice par Yves Montenay

Mon île Maurice – La Traversée du Siècle #20

Poursuite de La Traversée du Siècle, l’histoire depuis les années 50 et suivantes, évoquée à partir de mes souvenirs personnels sur l’Ile Maurice et ses « îles soeurs » antillaises.

L’île Maurice, comme les Antilles, font partie de l’imaginaire de tout collégien amoureux d’histoire et de littérature, à commencer par la lecture « Paul et Virginie » de Bernardin de Saint-Pierre dès le primaire ou le début du collège.

J’ai donc été attentif à ce qui s’y passe, surtout lorsqu’il s’agit, comme le Québec, d’une terre perdue. Militant de la francophonie, je fais en effet l’analogie avec le Québec, également passé sous l’autorité de la couronne britannique et qui s’est vu imposer l’anglais.

Que reste-t-il aujourd’hui de la présence française, vieille maintenant de plus de deux siècles ?

Pour les Français, la comparaison avec les autres îles françaises ou ex-françaises est omniprésente… notamment pour moi, du fait de mes ancêtres et cousins lointains en Martinique.

Une terre perdue par les Français

Les Français s’implantent dans « l’île de France » en 1715, et mettent en place une économie coloniale analogue à celle des Antilles : canne à sucre et esclaves africains.

Rappelons que le sucre est alors l’équivalent du pétrole aujourd’hui, et que Voltaire, après la défaite de la guerre de 7 ans, a intrigué, avec beaucoup d’autres, pour que nous gardions Saint-Domingue (l’actuel Haïti), où il avait des intérêts, et abandonnions aux Anglais les « quelques arpents de neige » de l’immense Canada.

Les Québécois lui en veulent encore aujourd’hui !

Bref l’Angleterre annexe l’île Maurice en 1814, et l’anglais devient langue officielle.

L’arrivée des Indiens

Et voici que Sa gracieuse Majesté abolit l’esclavage en 1835. Colère des colons français.

Les Anglais craignent une révolte et pointent leur canons sur la capitale Saint-Louis. Il faut cependant de la main d’oeuvre pour la canne à sucre, et les Anglais importent des Indiens. Ces derniers sont aujourd’hui majoritaires.

Le reste de la population comprend les descendants des colons français, qui tiennent toujours une partie de l’économie, et la « population générale » (terme officiel) descendant à la fois des esclaves africains et des colons, dont la proximité a transformé la population noire en une population plus métissée.

On peut rajouter une poignée d’Anglais et surtout de Chinois. Avec 3 % de la population, ces derniers ont un rôle important. L’année où je suis passé pour la première fois, ils avaient raflé les quatre bourses offertes par la France pour des études à Paris.

C’est ainsi que les origines culturelles sont très diverses et le touriste peut remarquer les églises, temples protestants, bouddhistes ou francs-maçons, pagodes, mosquées, lieux de prières et de pèlerinages de toutes sortes.

Grand Bassin, le lac sacré de l’île Maurice
Grand Bassin, le lac sacré de l’île Maurice

Je salue la tolérance indienne qui n’abuse pas de sa majorité, et aux institutions britanniques extrêmement libérales !

Par exemple le français, et peut-être d’autres langues, est accepté dans les débats du parlement, et la loi électorale donne des sièges aux « meilleurs perdants » pour que les minorités puissent avoir des élus.

Un détour par la Martinique

Cette « population générale » de l’île Maurice est une occasion d’évoquer mes récits familiaux, probablement un peu légendaires.

Quand j’étais jeune, mon arrière grand-mère martiniquaise « béké » (blanche), morte à 102 ans après des pérégrinations dans tout l’empire français et notamment au Vietnam, me racontait que son propre père, dans la Martinique de la deuxième moitié du XIXe siècle, avait offert une éducation secondaire, rare à l’époque, à des fils mulâtres de ses ouvrières agricoles qui lui ressemblaient beaucoup. Je précise « ouvrières » car l’esclavage avait été supprimé depuis plusieurs décennies.

Par ailleurs, s’agissant d’une minuscule plantation, la légende évoque une « grande famille ». J’ai donc des cousins lointains d’origines variées et j’ai pu rencontrer l’un d’entre eux, à qui ses parents avaient transmis la même légende.

Cette fin de l’esclavage a d’ailleurs amené en Martinique quelques Indiens, comme dans l’île Maurice.

Je précise qu’il s’agit de la Martinique où l’occupation anglaise (1794–1802) à évité des troubles révolutionnaires… Cela contrairement à Haïti ou à la Guadeloupe, où les Européens et une bonne part des mulâtres ont été tués ou ont fui.

Retour à l’île Maurice : du créole au français

Comme dans les Antilles française ou ex-françaises, cette « population générale » mauricienne parle un créole d’origine française. Et aujourd’hui c’est devenu, à l’oral, la langue commune des Mauriciens, car les Indiens ont beau être majoritaires, ils sont divisés en groupes de langues et de religions différentes (hindouisme et islam). A l’écrit, on utilise le français et l’anglais, que l’on apprend à l’école.

Et comme le créole est proche du français, c’est ce dernier qui devient petit à petit la langue maternelle ou commune, d’autant plus que la presse écrite est à plus de 90% en français. Elle l’était d’ailleurs restée pendant les 158 ans de colonisation britannique.

La radio et la télévision nationales sont aujourd’hui pour moitié en français et les émissions de la Réunion voisine sont largement captées dans presque toute l’île.

La carte ci-dessous montre que la toponymie est restée majoritairement française

Carte de l'ile Maurice
Carte de l’ile Maurice dont les noms de lieux sont restés français

L’indépendance, et après

A l’indépendance en 1968, le pays est misérable. les Anglais s’en vont sans mettre en place une assistance financière et technique comme la France l’avait fait à l’indépendance de ses colonies africaines… ce qui est bien oublié aujourd’hui !

Les Indiens majoritaires prennent démocratiquement le contrôle de l’île. Leur goût pour les affaires et le cadre libéral laissé par les Britanniques font merveille. Leurs relations commerciales, bancaires et financières avec l’Inde et la diaspora indienne d’Afrique leur donnent des atouts supplémentaires.

La communauté chinoise, également connue pour son aptitude aux affaires, bénéficie de même de ses liens avec Hong-Kong, Taiwan, Singapour, et les diasporas chinoises en Asie et en Europe.

Ils sont notamment actifs dans la zone franche et ses entreprises exportatrices : textile, horlogerie et services informatiques.

Comme la Chine, mais sans passer par le communisme, on commence par profiter des bas salaires pour exporter. A la canne à sucre s’ajoutent, dans un premier temps, les mêmes industries de main-d’œuvre des pays pauvres sérieux, comme le textile.

S’y ajoute une activité manuellement analogue de fabrication de mémoires d’ordinateur, à l’époque composées d’anneaux que des petites mains expertes montent sur des circuits (les mémoires à tores).

Puis la production monte en gamme, et l’activité financière internationale s’ajoute à un grand nombre d’hôtels de bonne qualité mais compétitifs, alors que ce n’est pas le cas à La Réunion, pourtant beaucoup plus gâtée par la nature.

L’ile Maurice respecte les conditions nécessaires et suffisantes du développement, telles que je les enseigne dans mes écrits et mes cours de géopolitique : ordre public, bon niveau scolaire, ouverture aux investissements étrangers.

Selon le « Rapport 2019 sur la liberté économique dans le monde », Maurice est classée comme ayant la 9e économie la plus libre au monde. Elle dispose d’une bonne gouvernance, ce qui n’est pas si fréquent sur la planète.

Reste le problème démographique : comme dans tous les pays à bonne scolarité et bénéficiant d’un minimum de prestations sociales, et notamment de retraite, il est moins nécessaire d’avoir des enfants et la population vieillit rapidement.

Cette activité économique internationale aurait pu déclencher une anglicisation du pays à partir des couches sociales supérieures. Une politique française, pour une fois efficace, va peser dans l’autre sens.

Le retour de la France

Toujours un peu comme au Québec, avec notamment le voyage de De Gaulle, une poignée de personnes vont jouer un rôle important dans un certain retour de la France, avec notamment Philippe Rossillon en arrière-plan.

D’abord, lors de l’indépendance en 1968, c’est l’abandon de l’île par l’Angleterre, à l’époque ruinée par des gouvernements travaillistes (avant le redressement brutal du pays par Margaret Thatcher de 1979 à 1990) qui lui font renoncer à toute ambition « à l’est de Suez ». Cela m’avait beaucoup surpris à l’époque.

Ce qui suit est largement issu des souvenirs d’Albert Salon (dans son ouvrage « Colas colo – Colas colère, l’Harmattan, 2007), nommé en 1982 chef de la mission d’aide et de coopération à l’Île Maurice, qui a précisé et complété mes propres souvenirs, y compris économiques exposés ci-dessus.

Un ambassadeur de France dynamique, Raphaël Touze, profite du départ des Britanniques et introduit l’île dans les institutions françaises d’aide au développement.

Il est à l’origine de la création d’un collège et d’un lycée français ainsi que d’établissements d’enseignement supérieurs face à l’université alors anglophone, dont l’Institut Francophone d’entreprenariat.

Comme dans le reste de l’Afrique, on voit apparaître dans l’administration et l’enseignement des coopérants français.

Cette période est maintenant négativement décrite comme néo coloniale, alors qu’elle a été la meilleure période de nombreux pays africains.

Parallèlement, des liens sont créés en médecine, recherche, enseignement, jeunesse et sport, radio et télévision, avec l’ïle voisine de la Réunion et ses institutions de département français.

Outre son influence directe, cette action renverse psychologiquement la vision de l’île de sa propre histoire, dont la période française est maintenant mise en valeur, y compris sur le plan touristique.

Aujourd’hui le créole est également enseigné mais le français a une bonne longueur d’avance. Il n’est pas « officiellement officiel », mais  l‘est de fait, comme j’ai pu le constater personnellement.

 Je vais voir sur place

Sachant tout ça, je profite, vers 1990, d’un colloque à La Réunion pour visiter ce département français et faire un crochet par l’île Maurice.

Ma curiosité portait également sur l’économie et les mécanismes du développement puisque La Réunion vit largement des transferts sociaux de la métropole, alors que personne n’aide l’île Maurice, sauf la France, mais plutôt dans le domaine intellectuel.

La Réunion et l’Ile Maurice ont en effet deux modèles économiques opposés.

La Réunion est une île magnifique avec son relief accidenté, ses volcans et ses cirques vertigineux.

Le Morne Brabant vu du ciel
Le Morne Brabant vu du ciel

Les Réunionnais ont un niveau de vie annuel que j’évalue à environ 30 000 $  ppa (calcul personnel, car ce n’est pas un pays), largement du fait des transferts venant de la métropole : éducation nationale, sécurité sociale, assurance chômage, retraites…

Cela leur donne un niveau de vie très élevé par rapport aux pays voisins et à l’ensemble de l’Afrique subsaharienne (4 400 d’après la Banque Mondiale)… mais la comparaison se fait avec la France et ses 44 000 $ annuels.

L’île Maurice est réputée plus pauvre que la Réunion, mais c’est de moins en moins vrai avec 27 000 $ ppa par personne. Surtout on y vit de son travail, un peu comme le Maroc. Ce dernier a dû se développer sans la manne du pétrole en Algérie, qui bénéficie d’un argent « tombé du ciel », je veux dire le pétrole trouvé et développé par les Français, un peu comme les transferts sociaux de la métropole pour La Réunion.

À ce colloque, je fais connaissance d’une famille de Créoles mauriciens, de la « population générale », au nom de famille français. Ils sont issus de la classe moyenne au sens local du terme, c’est-à-dire pauvre selon les critères français. Ils m’invitent et me logent chez eux, où je constate un développement encore très partiel, et vérifie la vigueur de la francophonie populaire, y compris chez les Indiens.

J’ai pu notamment aller sur le port écouter les bookmakers qui commentaient au haut-parleur les courses en français : « Remontée du numéro quatre à l’approche de l’arrivée… »

J’y reviens 25 ans plus tard pour un autre colloque, qui cette fois a lieu dans un splendide hôtel de la côte nord, et constate des progrès impressionnants tant sur le plan économique que pour le multilinguisme de la population et l’usage du français comme langue commune, y compris entre Indiens.

L’île Maurice est donc un pays francophone dont la quasi-totalité de la population a aussi une formation en anglais. Les deux lui sont très utiles dans son environnement.

Des voisins francophones, des fournisseurs et clients de toutes langues

Ses voisins, La Réunion, Mayotte, les Comores et les Seychelles sont francophones, de langue première ou seconde. Madagascar est dans la même situation, dans les couches supérieures et moyennes de la pyramide sociale, mais c’est par ailleurs un pays extrêmement pauvre.

La francophonie et les autres langues et cultures du sud-ouest de l’océan indien

Les pays les plus proches du continent africain sont anglophones et économiquement beaucoup plus importants, tels le Kenya ou l’Afrique du Sud. Dans ce dernier pays, il y a un groupe bilingue de descendants des colons français de Maurice qui ont fui le pays au moment de l’indépendance en 1968 de crainte de désordres… qui ont finalement été très limités. Ce groupe a renforcé les rapports avec ce grand pays africain à l’économie semi développée.

Il faut aller encore plus loin pour accéder aux pays d’Afrique francophone et au Maghreb, avec lesquelles les contacts sont en français.

Plus loin encore, il y a la France avec lesquels les liens culturels et économiques, notamment le tourisme, sont importants comme nous l’avons vu.

En conclusion, le rôle clé de la bonne gouvernance

C’est ainsi que l’Ile Maurice joue un rôle beaucoup plus important que ses 1,2 millions d’habitants et ses moins de 2000 km², avec une des plus fortes densités du monde.

De nombreuses villes africaines, de l’Inde ou d’autres pays du Sud, sont plus grandes et beaucoup plus peuplées, mais nettement moins développées et connues.

Cette petite île montre la possibilité d’un développement rapide dans un cadre démocratique, dû principalement à une bonne gouvernance. Et ce n’est pas seulement sur le plan économique, si on pense à la belle réussite de sa gestion d’immenses différences culturelles.

Yves Montenay

 

La Traversée du Siècle, L’histoire depuis les années 50 et suivantes, évoquée à partir des souvenirs personnels d’Yves Montenay, féru de politique depuis son plus jeune âge.

Si vous avez manqué les épisodes précédents :
#1 – De la Corée au Vietnam (1951-54) : la géopolitique vue par mes yeux d’enfant
#2 – Algérie, Hongrie et Canal de Suez : 1954-56, tout se complique !
#3 – L’école, les Allemands et les Anglais des années 1950
#4 – Des gouvernants calamiteux et l’affaire algérienne achèvent IVe République 
#5 – URSS, 1964 : un voyage rocambolesque
#6 – 1963 et la francophonie américaine
#7 – Le Sahara
#8 – Une aventure au Laos (1974-1984)
#9 – Mon Chirac (1967-1995)
#10 – Le président Senghor, français et africain
#11 – La Roumanie, loin derrière le mur de Berlin
#12 – Le Moyen-Orient autour de 1980
#13 – Entreprendre au Moyen-Orient : la catastrophe évitée de justesse
#14 – La disparition des vieilles civilisations du Proche Orient
#15 – Ma Corée 
#16 – L’administration contre le terrain
#17 – Quand l’ordinateur semait la terreur en entreprise
#18 – Philippe Rossillon, héros méconnu de la langue française
#19 – Mon Afrique du Sud

2 commentaires sur “Mon île Maurice – La Traversée du Siècle #20”

  1. Un grand merci pour ce texte. Mais je me permettrais de faire deux petites remarques : 1) vous passez sous silence la période hollandaise de l’île, alors qu’elle a été sous tutelle des Provinces-Unies pendant env. un siècle, c’est-à-dire aussi longtemps que sous la tutelle de la France. Il semble pourtant que cette période, au contraire de la période française, n’ait laissé aucune trace dans la toponymie locale, hormis, bien sûr, le nom même de l’île. Garde-t-on néanmoins quelque souvenir de la présence hollandaise à Maurice ? 2) Les troubles à Haïti en 1802 étaient la suite non pas de la révolution française de 1789, mais de la très malvenue restauration par Napoléon de l’esclavage, après qu’il eut été aboli en 1794 (si mes souvenirs sont bons).

    1. Vous avez à fait raison, mais on ne peut pas dire dans un bref article, notamment pour Haïti que je connais bien (j’espère avoir le temps de faire un article analogue sur ce pays). Quant à Maurice, je pense que si la présence française a davantage marqué que la présence hollandaise, il y a probablement une raison démographique (un relais commercial plus qu’une colonisation proprement dite) et une raison contemporaine : ce que j’appelle « le retour de la France » notamment via l’action culturelle.

Laisser un commentaire