Pourquoi moins d'enfants en France et dans le monde

Pourquoi moins d’enfants en France et dans le monde ?

On écoute enfin les démographes ! Depuis longtemps ils annoncent la diminution prochaine de la population de nombreux pays, puis de l’ensemble de la planète, alors que la mode était plutôt à la crainte de la surpopulation, crainte qui a été relayée et amplifiée par des écologistes.

Depuis, la mode a changé. On a remarqué la baisse de la population chinoise, qui devrait s’accélérer, et celle de nombreux autres pays.

Comment la démographie bouleverse le monde

En France nous n’en sommes pas là, mais la baisse de la fécondité va nous rapprocher du jour où la population va commencer à diminuer.

Avant d’examiner cette situation française, il faut rappeler le contexte mondial et les principales raisons de cette baisse.

Le contexte démographique mondial

La baisse de la fécondité se répand dans le monde entier, et cela dans les trois parties du monde que l’on distingue habituellement :

– celle où la diminution de la population est déjà très sensible, le cas le plus connu et celui du Japon avec 850 000 habitants de moins en 2022. La Chine vient de rejoindre ce groupe, ainsi que de nombreux autres pays.

Vieillissement retraites et immigration : les leçons du Japon

– celle où la population semble croître mais dont la diminution va se concrétiser bientôt,  c’est le cas de l’Inde, des Etats-Unis et de la France : la diminution du nombre de parents va automatiquement  entraîner celle de la population.

– et celle où la population est en croissance rapide, principalement d’Afrique subsaharienne, mais où la fécondité a déjà nettement baissé. Pour l’instant, la rapidité de succession des générations et l’augmentation du nombre de parents font plus que compenser cette baisse de la fécondité … du moins pour encore quelques dizaines d’années.

Au passage, il faut signaler une croyance répandue selon laquelle l’islam est une cause de forte fécondité, alors que l’examen montre que c’est le niveau de développement  qui est déterminant : les pays musulmans profondément sous-développés comme ceux du Sahel ont une fécondité élevée, mais elle n’est que moyenne dans les pays musulmans où le développement est bien amorcé, comme le Maroc, la Tunisie, l’Iran, l’Indonésie…

Fantasmes sur la fécondité musulmane

Et il n’y a d’ailleurs pas que certains pays musulmans pour avoir une forte fécondité, c’est aussi le cas de certains pays chrétiens africains, et de certaines communautés comme les Amish en Pennsylvanie ou les juifs orthodoxes de New York et de certains quartiers de Jérusalem.

Certaines causes de cette baisse de la fécondité sont les mêmes dans l’ensemble des pays, et sont bien connues et étudiées. Il s’agit de la scolarisation des filles, des difficultés de logement, du coût de l’éducation, de la diffusion de la contraception. Tout cela se trouve en général dans les grandes villes.

On passe ainsi d’une famille villageoise où l’agrandissement de la maison ne coûte pas cher et où les enfants aident les parents dans les champs ou pour l’élevage, à un univers complètement différent en ville.

D’où l’idée généralement répandue que l’urbanisation est la principale cause du déclin de la fécondité à l’échelle mondiale.

Mais, à mon avis, il y en a une autre dont on ne parle pas : la retraite.

Le rôle des systèmes de retraite

Une motivation importante du fait d’avoir des enfants est d’avoir quelqu’un qui s’occupe de vous pendant vos vieux jours.  Ce qui explique par ailleurs la préférence pour les garçons dans les sociétés traditionnelles, la fille devant s’occuper de  la famille de son mari.

Or, à partir du moment où existe un système de retraite, cette motivation disparaît et on est moins enclin à faire des sacrifices financiers pour un deuxième enfant, le premier étant supposé être un garçon, au besoin au prix d’un avortement ou d’un abandon si c’est une fille.

Pour parler brutalement, le fait d’avoir une retraite c’est permettre de ne pas avoir d’enfant et de compter sur les enfants des autres.

Et cela non seulement pour la financer, mais surtout pour pouvoir assurer les prestations nécessaires : on oublie qu’il ne faut pas seulement de l’argent, mais surtout des garde-malades, des infirmiers, des médecins… qui vont manquer justement parce qu’on a moins d’enfants !

Sauf à accueillir largement l’immigration, ce qui se fera probablement de toute façon pour cette raison, malgré l’hostilité de l’opinion publique.

Par ailleurs, un système de retraite généralisé suppose un certain développement économique, c’est à mon avis un lien qu’on oublie entre la baisse de la fécondité et le développement.

L’alerte démographique

Cette baisse de la fécondité a longtemps été ignorée du grand public car la population continue à augmenter. En effet, l’augmentation du nombre de personnes âgées, conséquence des progrès de la médecine, masque la diminution du nombre de jeunes, ce qui a largement faussé les projections des des écologistes. 

Surpopulation : va-t-on épuiser les ressources de la planète ?

Il y a eu quelques lanceurs d’alerte précurseurs, dont le plus ancien est Alfred Sauvy (1916–1990) que j’ai connu à la fin de sa carrière, et que je considère comme le père de la démographie moderne et qui a largement contribué intellectuellement à la législation nataliste française.

On peut citer également le site Pronatalist.org, qui prévoit un « effondrement de la civilisation ». Ce courant est notamment illustré par Elon Musk, pour qui cet effondrement est « un bien plus grand risque que le réchauffement climatique ». A 51 ans, le nouveau patron de Twitter est déjà père de dix enfants.

La situation démographique française

La France était en dépeuplement relatif depuis Louis XIV, et a été battue par la Prusse en 1870 notamment du fait de son infériorité numérique.

Elle s’est trouvée ensuite en dépeuplement « naturel », c’est-à-dire hors immigration, jusqu’en 1939. Pour le contrebalancer, elle a attiré des immigrants italiens puis polonais, puis des Juifs fuyant le nazisme.

Ensuite, grâce à sa politique nataliste développée de 1938 à 1946 (allocations familiales, parts fiscales diminuant l’impôt sur le revenu…), le baby-boom est allé au-delà du rattrapage des naissances perdues pendant la guerre, contrairement aux autres pays où il a été bref et moins intense.

Avec le recul on constate que si les avantages financiers ont joué un rôle, il a été accentué par une atmosphère favorisant le cumul emploi-maternité. Cela contrairement à l’attitude traditionnelle alors en vigueur dans les autres pays où la mère de famille est censée rester à la maison.

Ce dernier point a justement été un argument pour les gouvernements de gauche :  « favoriser la fécondité est un moyen pour la droite de pousser les femmes à rester à la maison ».

Pour cette raison et également par égalitarisme « pourquoi distribuer de l’argent aux riches ? », les incitations financières ont été plafonnées par les gouvernements de gauche et l’atmosphère générale a été moins favorable.  Le mot « nataliste » a pris une connotation péjorative.

Finalement, après des fluctuations, (moindre fécondité dans les années 1980 et 1990, reprise au début des années 2000), on se retrouve avec une baisse des naissances assez prononcée.

En août 2023 on constate une chute de 8 % par rapport à août 2022, selon les chiffres provisoires publiés par l’Insee.

Depuis le début de l’année, on comptait déjà environ 35.000 naissances de moins en 2023 qu’en 2022. L’année pourrait se terminer avec environ 700 000 naissances, soit la pire année depuis 1945.

Une partie de cette baisse est due à l’augmentation continue de l‘âge à la maternité : on retarde de plus en plus le moment d’avoir des enfants, ce qui diminue la taille de chaque promotion. L’âge moyen des mères à la naissance est ainsi passé de 30,2 à 31,2 en dix ans.

On peut penser qu’il y aura un rattrapage partiel un jour, lorsque les femmes vers la quarantaine verront qu’il ne leur reste que quelques années pour matérialiser leur souhait, qui est en moyenne de plus de deux enfants. Mais avoir des générations creuses aujourd’hui pour en avoir (peut-être) de moins creuses demain ne fait que perturber beaucoup d’activités à commencer par l’école.

Et la France est relativement en meilleure situation que le reste de l’Europe, avec 1,8 enfants par femme contre 1,3 en moyenne dans les autres pays.

Et, comme en France, la chute s’est accentuée encore récemment, sauf au Portugal , avec une baisse de 4,9 % dans l’ensemble de l’Union entre 2021 et 2022.

En Estonie et en Grèce, la chute a été de plus de 10 % !

Que faire pour enrayer le déclin démographique ?

La question est maintenant largement débattue et de nombreux gouvernements ont voulu imiter la France de 1939 en aidant financièrement les familles. Les résultats ont été faibles ou nuls.

En effet le problème n’est pas purement financier : par exemple, ce ne sont pas les allocations qui vont augmenter le nombre de logements disponibles et faire baisser leur prix, elles ne feront que renchérir les loyers !

Nous avons vu qu’un des points clés est de faciliter l’organisation des mères de famille qui veulent en grande majorité travailler.

Les gouvernements se penchent à juste titre sur le nombre de crèches, mais les crèches officielles ont un taux d’encadrement qui fait qu’on ne peut pas les multiplier … puisque les jeunes ne sont pas assez nombreux !

La conséquence est évidemment la création de crèches privées, officielles ou “au noir” et dans ce cas moins encadrées ! Ou l’appel à des nounous, massif dans mon quartier et probablement ailleurs, et qui sont très majoritairement issues de l’immigration…

Sur le plan économique, ces crèches et ces nounous ont l’excellente conséquence de permettre à des femmes qualifiées de se consacrer à leur carrière, d’abord parce qu’elles le souhaitent, et ensuite parce que le manque de personnel pour faire tourner l’économie est criant.

Nous avons vu que la généralisation des retraites est également une cause importante de la baisse de la fécondité. Mais personne n’en parle et on ne voit pas bien quelle conclusion en tirer, personne ne voulant supprimer ce qui est considéré comme une grande conquête sociale dont tout le monde pense bénéficier !

Et pour finir, rajoutons que le vieillissement non seulement va rendre très pénible la vie des retraités faute de bras, mais aussi la production nationale dans son ensemble, donc le niveau de vie général.

Une enquête diffusée par The Economist ajoute que le vieillissement de la population active engendre également une baisse de la créativité : une étude fondée sur le nombre et la nature des brevets montrent que la baisse de la proportion de jeunes non seulement diminue la créativité, mais surtout freine les innovations de rupture.

Comme le vieillissement semble inévitable, ce journal estime que le seul remède est d’augmenter le niveau de formation de la population. C’est envisageable dans les pays mal scolarisés, mais il faudrait des réformes profonde en Occident et particulièrement en France.

L’éducation nationale se trompe d’objectif

En conclusion

Avec quelques collègues, je sonne l’alarme depuis des décennies sur les conséquences irréversibles de la baisse de la fécondité. Je suis donc heureux de l’actuelle prise de conscience, due en partie aux débats sur les retraites, et navré de voir que les écologistes l’ont retardée avec leur crainte de la surpopulation de la planète.

Débat sur les retraites et relance de la natalité

Mais cette prise de conscience est encore partielle, comme en témoigne le ton un peu sceptique des commentateurs de la presse économique sur ce thème, par exemple dans Les Echos du 16 janvier 2023.

Plus généralement je ne suis pas cru lorsque je dis que certains pays vont disparaître dans moins d’un siècle, dont probablement le Japon et la Corée, mais aussi une bonne part des pays européens.

Tout cela paraît encore bien abstrait et lointain. Mais certaines conséquences sur la production nationale commencent à se voir : j’en parle notamment dans mon article On manque de bras et de cerveaux).

On manque de bras et de cerveaux, où sont-ils ?

Et tout le monde voit que les services aux personnes âgées sont menacés dès aujourd’hui.

Il faut donc continuer à expliquer sans relâche que les prestations dont nous bénéficions ne tombent pas du ciel, ne sont pas une question d’argent, mais nécessitent le travail du plus grand nombre de personnes possible.

On retombe sur la question du recul de l’âge de la retraite et de l’immigration !

Et de toute façon, il faudrait enclencher une politique nataliste vigoureuse : campagnes de sensibilisation, congé maternité mieux indemnisé pour toutes y compris indépendantes, crèches, avantages famille dès le 2e enfant, réduction d’impôts,… etc).

Et il faudra l’afficher franchement pour casser le pessimisme actuel et l’ambiance « anti-nataliste », tout en étant conscient qu’il faudra des dizaines d’années pour remodeler la pyramide des âges des pays développés.

 

Yves Montenay
Docteur en démographie politique

5 commentaires sur “Pourquoi moins d’enfants en France et dans le monde ?”

  1. Au delà d’un article, c’est un vrai petit livre à écrire à l’intention des non « femmes en âge de procréer  » pour les aider à accepter que les femmes tiennent complètement la société dans leurs capacités à avoir ou non au moins 2 enfants et les élever dans de bonnes conditions. Certains pourraient mégoter entre pas assez d’incentives et trop trop chers. Le but du livre serait de monter que nous n’avons pas le choix. Je ne crois pas à une supposée urgence climatique , mais je crois à une urgence démographique en France, sous-peuplée.

  2. Généralement on nous présente le problème dans l’autres sens, à savoir que la baisse de la fécondité aura un impact négatif sur le financement des retraites. Et sur la Croissance et patati et patata. Et ce qu’alors qu’il y a «mille» façons de les financer, et de la penser… la retraite. Encore faut-il sortir du Cadre. Maintenant c’est vrai, en restant dans ce mode de pensée, l’idée que quand on sera vieux… nos propres enfants ne nous serons d’aucune utilité pour subvenir à nos besoins … peut nous dispenser d’en faire, ou d’en avoir. Reste à voir dans quelle mesure.
    Quoi qu’il en soit, certaines études révèlent que les Français souhaiteraient en avoir plus. Si ceci et si cela… Citant son enquête sur le désir d’enfants, l’Union nationale des associations familiales (Unaf) assure que « le nombre idéal personnel d’enfants est de 2,39 ». De quoi faire hurler les obsédés du Surnombre, (néo)malthusiens et autres dé(et anti)natalistes.
    En dehors de l’éducation (notamment sur la sexualité), les raisons principales de la baisse du taux de fécondité sont d’abord un manque de confiance en l’avenir (éco-anxiété etc.), et des réelles difficultés d’ordres économique (travail, logement, crèches etc.). Le mouvement Childfree (no-kid, gink etc.) ne pesant certainement pas grand chose, comparé à tout le reste.

    1. voir , lire la nouvelle prix nobel d’économie : Claudia Goldin https://fr.wikipedia.org/wiki/Claudia_Goldin https://www.rts.ch/info/economie/14375901-le-nobel-deconomie-decerne-a-la-professeure-dharvard-claudia-goldin.html (belles illustrations) => les mecs doivent résoudre les freins à la maternité en les faisant payer par la collectivité puisque les décisions individuelles ne sont et seront ? pas suffisantes pour maintenir une population équilibrée, voire croissante (pays peu dense comme la France).

      1. Merci moulingm, cet article est intéressant. Notamment cette courbe en U représentant les femmes (mariées) dans le monde du travail. On peut comprendre que la révolution industrielle du 19ème siècle n’ait pas laissé trop de place au travail féminin, d’où ce déclin. N’allons pas croire pour autant que l’arrivée des machines, d’abord dans les usines, a permis aux femmes de se tourner les pouces. Que ce soit à l’usine, dans les mines, le commerce, dans les champs ou à la maison, les femmes ont toujours travaillé. Sauf les grosses bourgeoises et autres aristos ça va de soi. Et puis on voit que ça repart à partir des années 1910… N’oublions pas le rôle qu’ont joué les femmes durant la Première Guerre mondiale, notamment pour remplacer les hommes partis au front. Peut-être que ceci explique cela, eh va savoir.
        Et aujourd’hui la plupart des femmes cumulent le travail au bureau (ou à l’usine, au magasin…) avec celui à la maison. Et après on râle parce qu’elles sont fatiguées au lit . :-)

  3. « il faudra des dizaines d’années pour remodeler la pyramide des âges » ?

    Actuellement, la baisse de 100 000 naissances / 800 000 d’équilibre est récente , et en partie due au décalage de première naissance . Des changements énergiques pourraient déclencher un rattrapage suffisant pour que le creux ne soit pas plus important que les précédents .

    Je préfèrerais la conclusion  » Pour garder une assez bonne pyramide des âges il faut enclencher dès maintenant une forte politique reportant une part significative de la charge des enfants , des femmes et des entreprises à la population générale et notamment à ceux qui n’ont pas de descendance « suffisante ».

    J’ai 4 enfants et seulement 6 petits enfants => Mes enfants sont en déficit et mes filles et belles filles ont passé l’âge de procréation.

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