Au début des années 1970, l’entreprise de Georges Montenay a acquis une certaine notoriété, notamment parce qu’elle est devenue un pétrolier à part entière en obtenant une concession « A3 ». Ce n’était pas le cas d’un de ses concurrents, ce qui a entraîné l’intérêt d’une banque d’affaires parisienne…
Cinquième épisode du récit de la vie de mon père Georges Montenay, dont le parcours d’entrepreneur me semble exemplaire et instructif. Si vous avez manqué les épisodes précédents :
- Un entrepreneur exemplaire (1920-1940)
- Dans la tourmente de la guerre (1940-1945)
- L’essor de l’entreprise après guerre (1945-1960)
- Les pétroliers arrivent ? Devenons pétroliers ! (1960-1970)
Une banque d’affaires parisienne nous approche
En 1971, Georges Montenay eu la visite de Gérard Eskenazi, représentant de la Banque de Paris et des Pays-Bas, une banque d’affaires spécialisée dans l’achat et la vente d’entreprises ou de fractions d’entreprise à revendre un jour avec bénéfice. Cette banque a fusionné en l’an 2000 avec la BNP, pour former la banque que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « BNP Paribas »
La Banque venait nous présenter la société Est et Nord, un de nos confrères , mais pas concurrent car, comme son nom l’indique, il travaillait dans des régions différentes de la nôtre qui s’étendait de Paris à Bordeaux.
Cette société était beaucoup plus importante que nous en termes de chiffre d’affaires, mais le charbon y avait gardé une grande importance et la gestion de l’énergie s’y était développée différemment de chez nous, par association avec d’autres sociétés, autour d’installations importantes de centrales à charbon.
La transition vers le fioul était également engagée, mais l’entreprise n’avait pas obtenu de concession dite « A3 », c’est-à-dire la liberté de s’approvisionner directement auprès des producteurs, indépendamment des grandes sociétés pétrolières (Shell, Esso, Total). Elle avait obtenu de bons contrats de ces derniers mais restait sous leur dépendance, tant en volume qu’en prix, comme nous avant d’avoir obtenu la concession.
Georges Montenay : Les pétroliers arrivent ? Devenons pétroliers !
La banque était consciente de ces handicaps, et cherchait un professionnel pour enrayer son déclin.
En effet, ses actionnaires étaient d’une part la banque elle-même, à la suite probablement du retrait d’anciens actionnaires, et une société liée à des sidérurgistes, consommateurs de charbon et loin du métier de la distribution. De ce fait, aucun n’était vraiment compétent pour pouvoir la gérer.
Leur dessein était donc d’échanger des actions d’une société de Est et Nord, au large CA mais sur le déclin, contre des actions Montenay, moins importante mais à l’avenir plus prometteur… afin de pouvoir les revendre à terme avec une forte marge.
De notre côté, cette offre marquait la reconnaissance de notre dynamisme, et la fusion nous permettait de tripler notre activité et de nous implanter sur tout le territoire français : de quoi nous donner une grande notoriété professionnelle et faciliter la conclusion d’affaires importantes !
Nous étions donc favorables à l’ouverture des négociations.
La négociation de la fusion avec Est et Nord
La première proposition de la Banque de Paris et des Pays-Bas fut : « Fusionnons les deux entreprises. Comme Est et Nord est plus important que vous, nous aurons 60 % du capital et vous garderez 40 % et la direction du groupe».
Bien entendu, pour Georges Montenay, il était hors de question de devenir minoritaire dans sa propre entreprise !
La négociation fut rude et nous avions surnommé Gérard Eskenazi « l’édredon », car il faisait mine de ne pas entendre nos vigoureux arguments. Finalement, nous avons quand même eu gain de cause, probablement parce que la banque avait encore plus besoin de cette fusion que nous !
Les proportions furent ainsi inversées et la banque se contenta de 40 % avec ses amis, une partie des actifs de la société Montenay restant dans une holding qui posséderait les 60 % restants.
Je fus très impressionné par cette reculade importante, conséquence de la ténacité inébranlable de Georges Montenay, appuyé par son frère aîné Pierre. Sans doute la banque n’avait-elle pas vraiment le choix, sa participation dans Nord Est et Nord risquant de perdre rapidement de sa valeur avec le déclin du charbon.
Il est également possible qu’ils tablaient sur les perspectives à long terme : il était vraisemblable pour ces financiers que l’actionnariat familial de l’entreprise Montenay, dispersé entre plusieurs frères et sœurs lors du décès de leurs parents propriétaires du café charbon, ne durerait pas indéfiniment et que la banque trouverait alors une occasion de devenir majoritaire, ce qui accroîtrait considérablement la valeur de revente.
Prudent, Georges Montenay imposa une clause de sortie, par laquelle la société holding familiale Montenay pourrait racheter les 40 % de la banque. Elle fut acceptée, d’une part parce que c’était une condition impérative et d’autre part parce que la banque s’imaginait que nous ne trouverions jamais l’argent nécessaire pour un tel rachat.
La vie avec les Parisiens
Après la fusion, l’exploration d’Est et Nord nous confirma qu’elle était bien sur le déclin, malgré ses importantes ventes de charbon.
Son directeur général parisien pouvait-il, comme il le soutenait, la reconvertir à notre image sous notre impulsion ? Nous étions sceptiques, car si l’intéressé se vantait de sa camaraderie avec les vieux charbonniers, il avait la réputation de cultiver cette camaraderie en désertant son bureau une bonne partie de la journée pour aller à son club. Ce comportement n’était pas du tout dans nos habitudes de travailleurs forcenés.
Nous avons fini par photographier son bureau quotidiennement pour constater que ses papiers n’avaient pas bougé d’un iota dans l’intervalle ! Son licenciement suivit, malgré les pressions de ses vieux camarades charbonniers.
Les représentants de la banque avaient donc 40 % des sièges au Conseil d’administration, où je fus nommé aux côtés Georges Montenay et de son frère aîné, pour concrétiser notre majorité.
Sans intervenir dans la gestion de l’entreprise, pour laquelle ils étaient conscients de leur ignorance, ils donnaient néanmoins des directives générales en tant qu’administrateurs, qui nous semblaient abstraites et inutiles.
Visiblement ils considéraient « ces provinciaux« , en quasi-totalité non diplômés, comme des êtres inférieurs, dirigeants compris. J’étais en effet le seul à avoir fait des études supérieures, et ce n’est que peu à peu que notre recrutement s’est diversifié.
Ils nous conseillèrent notamment plusieurs recrutements de Parisiens respectables, dont un général en retraite, qui, à l’usage, se révélèrent des poids-lourds inutiles.
Un autre jour, Gérard Eskenazi nous déclara solennellement : « Je vais faire de vous un grand groupe, nous allons vous donner un homme de valeur, Moinard ».
Il avait probablement en vue que ce monsieur Moinard nous dirigerait vers un rapprochement avec d’autres entreprises, ce qui était le métier de cette banque d’affaires.
Mais si Moinard se révéla compétent financièrement, intelligent et fin, il comprit rapidement qu’il ne pouvait faire pas grand-chose pour nous « transformer en grand groupe » et qu’il était un corps étranger.
En effet, nous étions une entreprise très décentralisée et notre développement était le résultat d’un travail de fourmi à la base, tandis que je m’efforçais d’en trouver les moyens financiers et informatiques. Nous n’envisagions pas de faire des manœuvres en capital, d’autant que les rapports avec Paribas devenaient quelque peu aigres. Moinard en prit acte et nous séparâmes en bons termes.
L’incompréhension avec nos actionnaires financiers s’aggravant sans cesse, nous décidâmes de divorcer.
Un divorce au forceps
Il fallut d’abord discrètement rassembler les fonds. Ce ne fut pas trop compliqué car nous étions loin de l’époque du démarrage de l’entreprise et les banquiers nous étaient favorables, d’autant plus que cette banque d’affaires était un adversaire pour eux.
Une fois les fonds disponibles, nous fîmes à la banque parisienne une offre officielle de rachat de leurs 40 % par notre holding.
A notre grande déception, cette offre fut refusée.
Nous décidâmes d’attaquer ce refus en justice, en nous appuyant sur la fameuse clause de sortie prévue lors de la négociation initiale de la fusion.
Je fus chargé de préparer le dossier et fis alors connaissance d’un vieil avocat sympathique et expérimenté mais assez éloigné de l’économie et des questions d’entreprise.
J’avais les qualités complémentaires et eu le plaisir de monter avec lui un ce dossier qu’il allait plaider pour nous. Nous avons ajouté au juridique une touche psychologique, suggérant que nous étions des « provinciaux créatifs ne voulant pas être mangés par des Parisiens prétentieux », ce qui était assez conforme à la réalité.
Le procès fut gagné et le divorce matérialisé.
Cela nous laissait avec la totalité des activités d’Est et Nord, moyennant un endettement supportable. L’entreprise complétait ainsi son implantation nationale et devenait un important « indépendant », terme qui désignait les entreprises juridiquement égales aux grands pétroliers.
L’implantation nationale étant terminée, une occasion se présenta de passer à l’international. Ce sera l’objet du prochain épisode.
Yves Montenay
Image de couverture crédit BNP Paribas
Comme toujours passionant
Je découvre la saga Montenay, .
Longue vie à votre dynastie quasi “extra-terrestre”
Un quarteron de votre calibre sauve la France!
“ Des Gueux “ Fi Donc ! s’esbaudit Macron « démocrator”
Longue vie à votre dynastie quasi “extra-terrestre”
Un quarteron d’entrepreneurs de votre calibre redresse la France!
“ Des Gueux “ Fi Donc ! s’esbaudit Macron” démocrator”