La Syrie a été profondément détruite et dépeuplée par 13 ans de guerre civile et de répression particulièrement sanglante. Et voilà que ça recommence…
Commençons par situer cette guerre civile dans l’histoire syrienne, puis rappelons la composition ethnique et religieuse de ce pays qui en explique les problèmes tant internes que géopolitiques
La Syrie jusqu’à la guerre actuelle
Jusqu’en 1918, la Syrie était une expression géographique aux frontières imprécises et qui comprenait au moins les actuels Liban, Jordanie et Palestine. Quand j’y suis allé, des nostalgiques essayaient de ramener ces trois pays sous leur autorité. Sans succès, comme on le comprend facilement.
Les Français qui étaient présents depuis la Renaissance comme défenseurs et éducateurs des chrétiens, se virent attribuer l’actuelle Syrie et Liban par la Société des nations en 1920, à l’occasion du démembrement de l’empire ottoman. Le Liban se détacha à la demande des chrétiens, qui demandèrent même à devenir département français.
Le reste, la Syrie actuelle, devint indépendant des Français en 1946 pour se tourner au moins culturellement vers le monde anglo-saxon. Les francophones ne sont maintenant qu’une petite minorité, souvent réfugiés en France ou au Québec.
Bachar al-Assad parle anglais avec sa femme, comme ce fut illustré par une conversation personnelle piratée où il lui offrait un diamant alors que la population croulait sous les bombes !
Les Assad père et fils mirent en place une dictature particulièrement féroce. Et si Bachar ne semble pas avoir le physique de l’emploi (il a fait des études d’ophtalmologie à Londres), c’est parce que son frère, qui en avait davantage le profil, est mort prématurément. Bachar prit le pouvoir en l’an 2000 à la mort de son père.
La guerre civile (2011-2024)
La guerre civile en Syrie commence avec les printemps arabes de 2011.
En Tunisie, en Égypte, au Maroc et en Syrie, ce printemps a commencé par des manifestations démocratiques dont les islamistes prirent peu à peu le contrôle. Sauf au Maroc, où le roi, commandeur des croyants, ne leur permit qu’une victoire parlementaire sans grand pouvoir.
En Syrie, la répression de ce printemps arabe par l’armée sous contrôle alaouite fut tellement brutale que le soulèvement gagna l’ensemble du pays, et que le pouvoir n’en reprit qu’une partie, avec le soutien armé des troupes iraniennes et du Hezbollah, ainsi que grâce aux bombardements russes qui détruisirent la plupart des villes.
On évalue le nombre de morts à au moins 500 000 et le nombre de prisonniers torturés à des dizaines de milliers.
Une partie de la population s’est réfugiée au Liban, aggravant encore les problèmes de ce malheureux pays et environ 5 millions de syriens se sont réfugiés en Turquie, dont 1,5 à 2 millions passèrent ensuite en Europe et y furent notamment accueillis par Angéla Merkel en Allemagne.
Plusieurs autres millions s’entassent au nord-ouest, dans la région syrienne d’Idllib à la frontière turque, plus ou moins sous la protection de ce pays.
Pour analyser cette histoire, la situation d’aujourd’hui et la géopolitique en découle, il est nécessaire de faire un peu de géographie humaine.
Géographie humaine et conséquences géopolitiques
La géographie humaine de la Syrie est tellement compliquée qu’il faut deux cartes pour la comprendre :
Une carte par langues pour voir où sont les Kurdes (en rouge sur la carte de gauche), de langue indo-européenne :
Et une carte par religions, pour voir où sont les Alaouites, la communauté arabophone chiite au pouvoir depuis 50 ans (et jusqu’à hier) de Hafez el Assad et de son fils Bachar. C’est la petite zone verte à l’ouest sur la carte de droite, petite mais relativement fertile par opposition au reste du pays. C’est là que la Russie à ses bases navales et aériennes.
Pour les spécialistes, vous trouverez près de la frontière libanaise 2 petites taches violettes où l’on parle encore araméen, la langue de Jésus.
Les Kurdes comme les Alaouites sont très minoritaires (10 % chacun ?), mais ils agacent la grande majorité arabophone sunnite, qui du coup est sensible à la propagande islamiste.
D’autant que les élites démocratiques se sont fait écraser, faute de soutien occidental, alors que les islamistes avaient le soutien de la Turquie et des pays arabes riches.
D’autres petites minorités jouent parfois un rôle : les Druzes, de religion originale et de traditions guerrières, que l’on trouve également au Liban et en Israël. Ils viennent de se révolter au sud, pendant que les islamistes avançaient au nord, et les Turkmènes sympathisants des Turcs et qui les ont probablement relayés ces derniers jours
Les conséquences géopolitiques qui en découlent
Les Kurdes sont considérés par les Turcs, puissants voisins du Nord comme des ennemis. Le président turc, islamiste, soutient des mouvements « frères » qui sont aujourd’hui dans la coalition qui vient de renverser Assad. Dans l’est du pays les Kurdes sont aidés par une poignée d’Américains et de Français avec lesquels ils ont battu l’EI (Etat Islamiste) en 2019… qui garde néanmoins une certaine activité
Les Chiites (Alaouites) au pouvoir sont soutenus par la Russie, l’Iran et son représentant régional, le Hezbollah libanais. L’Iran et le Hezbollah sont combattus par Israël, qui bombarde plus que jamais leurs implantations en Syrie…
Les sunnites arabes (donc pas Kurdes) sont la grande majorité de la population et sont soutenus par leurs frères de l’Arabie, des Emirats, et du Qatar… mais pas en bloc, ce serait trop simple : à chacun son poulain.
Les ennemis de l’Iran, c’est-à-dire non seulement Israël, mais aussi les Etats du golfe et l’Arabie, donc des sunnites, rêvent de « couper l’axe chiite » qui relie l’Iran au Liban en passant par l’Irak, et veulent donc éliminer la direction alaouite du pays.
Le retournement de la situation syrienne (novembre 2024)
Il y a maintenant une dizaine de jours a démarré une nouvelle insurrection islamiste qui a balayé le pouvoir de Bachar al-Assad.
Les rebelles, sous le nom de HTS, fédèrent un groupe principal islamiste et d’autres plus directement liées à la Turquie… et peut-être quelques démocrates survivants. Ils ont pris la précaution politique de se proclamer d’abord opposants à Bachar, indépendamment de leurs idées politiques et religieuses, et donc protecteurs de toutes les minorités.
On ne sait pas encore si on peut leur faire confiance et une partie des chrétiens et des Alaouites se réfugient sur la côte colorée en vert sur la carte ci-dessus. Il faut en effet rappeler que ce groupe était une filiale d’Al-Qaïda, et qu’une des raisons de la rupture avec la maison-mère est de faire meilleure figure vis-à-vis des Occidentaux et des minorités.
On ignore quelle est la sincérité de cette évolution, mais jusqu’à présent il n’y a eu que des actions consensuelles, principalement la libération de dizaines de milliers de prisonniers, en général en triste état, et la révélation de contacts souterrains avec les fonctionnaires apolitiques pour que l’État continue à fonctionner. Ce dernier point est très différent de la prise de pouvoir par les talibans en Afghanistan.
L’armée syrienne ne s’est pas vraiment battue. J’imagine que la troupe sunnite sous-payée, sous équipée et probablement misérable comme l’ensemble du pays, n’a pas suivi ses officiers alaouites. Les témoignages font état de soldats se débarrassant à la hâte de leurs uniformes.
Les soutiens habituels du régime n’ont pas été efficaces : les troupes iraniennes et du Hezbollah ont été massivement bombardées par Israël depuis des mois et particulièrement depuis l’entrée de Tsahal (l’armée israélienne) au Liban. Et les Russes sont occupés en Ukraine…
Et maintenant ?
L’aide à la rébellion ou la neutralité des grands pays arabes, d’Israël et de l’Occident vient de leur désir de « couper l’axe chiite iranien », dont la Syrie constitue le « maillon faible » puisque le pays est en grande majorité sunnite.
Israël y voit les moyens d’empêcher le Hezbollah de reconstituer son stock de missiles, puisque les armes fournies par l’Iran transitent par la Syrie.
Rajoutons que Bachar al-Assad s’était fait reprocher par ses voisins d’organiser massivement la production et la distribution dans tout le Moyen-Orient du captagon, une drogue violente stimulant l’énergie et la violence. Il serait produit à bas prix en Syrie et serait une source importante de financement pour le régime syrien.
Quelle que soient les pensées profondes des nouveaux dirigeants, le problème est que la Syrie fait face à une crise économique épouvantable. Les infrastructures sont détruites, le chômage est général et la corruption omniprésente.
Les islamistes se sont présentés dans tous les pays arabes comme non corrompus, ce qui leur a attiré beaucoup de sympathie. Mais une fois au pouvoir, les tentations ont été grandes…
En Syrie, on n’en est pas là. Pour l’instant, l’heure est au soulagement et à la recherche d’un fonctionnement basique de la vie quotidienne : électricité, nourriture, retour des réfugiés…
Yves Montenay
Merci pour cet article sur l’historique de la Syrie et son actualité . Martine Rétif ( je suis de votre cours à Philotechnique le jeudi)