Le Vietnam suit le modèle chinois d’il y a 20 ans et se développe à toute vitesse. Mais pourquoi si tard, alors qu’il aurait pu être la Corée du Sud ?
L’histoire du Vietnam reste méconnue, il a connu la colonisation, deux guerres civiles, une période communiste avant sa renaissance économique contemporaine.
Connaissant bien le Vietnam pour des raisons familiales, je prends la plume après être allé voir sur place.
Vietnam d’hier et d’aujourd’hui
Saviez-vous que dans les années 1960-70, Taiwan, la Corée du Sud, Singapour étaient surnommés les « bébés tigres », c’est à dire des petits pays au développement très rapide, comme leur voisin japonais considéré à l’époque comme le futur « troisième grand » après les Etats Unis et l’URSS.
Cela dans la stupéfaction et l’incompréhension générale des Occidentaux face à ces pays ravagés par les guerres, alors considérés comme exotiques et loin des mentalités occidentales
Ils sont maintenant imités par le Vietnam, encore loin derrière, mais qui progresse rapidement. Pourquoi ce succès tardif ? Comme toujours, l’explication est historique.
Une histoire chinoise, puis française
Le Vietnam a été une colonie chinoise pendant environ 1.000 ans et ne s’est libéré qu’en 938. Il en a gardé le bouddhisme et les traditions confucéennes.
600 ans plus tard arrivèrent des missionnaires français, qui introduisirent le catholicisme et l’alphabet latin. Ne pas confondre ces missionnaires français avec les colonisateurs qui ne sont arrivés qu’en 1858, soit deux siècles plus tard.

Cette colonisation a duré environ un siècle et a profondément marqué les deux pays, même si cela s’estompe aujourd’hui.
J’ai été le témoin indirect de cette colonisation française depuis ma naissance car, chez mes grands-parents, les meubles, les images et les photos provenaient souvent du Vietnam. Mon grand-père avait été en effet douanier dans « la haute région », les forêts montagnardes à la frontière de Chine, donc impossibles à surveiller ! Cela a été cruellement vérifié par l’appui massif des communistes chinois à leurs camarades vietnamiens dans les années 1950.
J’en ai retenu qu’y rôdaient des tigres, qui parfois arrachaient une jambe à une vache ou à un cheval.
Il fut ensuite nommé directeur d’une petite usine, ce qui lui permit de fréquenter les élites locales.
J’ai ainsi connu en premier la face négative de cette colonisation, mon grand-père étant communiste et anticolonialiste. Il fréquentait alors des intellectuels vietnamiens qui partageaient ses opinions et je fus surpris plus tard de constater que ce n’était pas le cas de tous.
Je n’ai appris que plus tard la page plus positive de la colonisation, avec le développement économique apporté par les Français, qui faisait de « l’Indochine » la seule colonie française qui ne coûtait rien à Paris, alors qu’il fallait équiper à grands frais l’Afrique d’infrastructures coûteuses sans avoir grand-chose en échange.
Le discours « décolonial » actuel ignore ce poids financier supporté par Paris du fait des colonies, mais c’est un sujet différent dont je parle par ailleurs sur ce blog.
Autre différence avec l’Afrique, la bonne osmose entre Français et Vietnamiens de tous les niveaux sociaux, comme en témoignait le nombre de mariages mixtes. D’autant qu’il n’y avait pas la même séparation religieuse qu’entre les musulmans et les autres comme au Maghreb, les Vietnamiens étant soit catholiques soit bouddhistes.
Guerre coloniale ou « guerre froide » ?
À part les grommellements anticolonialistes de mon grand-père, je n’ai vraiment découvert « la guerre d’Indochine » qu’à travers les grands reportages du Figaro, qui m’avaient déjà décrit la guerre de Corée.
Cette guerre démarra en 1945, l’occupation japonaise ayant éliminé les Français et les communistes en ayant profité pour s’implanter avant leur retour. Elle connut des fortunes diverses, du fait des réticences d’une partie de la population vietnamienne, puis, en sens inverse, de l’engagement à partir de 1949 de la Chine communiste.
Elle se termina par la bataille de Dien-Bien-Phu, suivie au jour le jour par la population française. Bataille épique dans un premier temps, de plus en plus horrible par la suite. On sait qu’une grande partie des quelques milliers de survivants de l’armée française faits prisonniers lors de cette défaite stupide moururent en captivité.

La cause officielle de cette bataille était de couper au vietminh la route du Laos, mais ou bien la forteresse était imprenable et le vietminh serait passé à côté, ou bien elle était vulnérable, notamment grâce à l’artillerie fournie par la Chine, et il ne fallait pas entasser une partie de l’armée française dans cette cuvette pour s’y faire massacrer.
D’autant que les employés de l’état-major français étaient obligés de dire tout ce qu’ils savaient au vietminh du fait des pressions sur leurs familles.
Plus j’ai accumulé des connaissances sur le Vietnam et plus cette guerre m’a paru être une version chaude de la guerre froide, et pas vraiment une guerre coloniale. En témoigne l’évolution du Sud-Vietnam où une alliance entre les nationalistes vietnamiens et les « commandos Ponchardier » de l’armée française chassèrent vers 1945 les communistes du pays pour plus de 20 ans.
En effet ces communistes du Sud-Vietnam ne bénéficiaient pas d’une frontière incontrôlable avec la Chine communiste, ni du relief karstique qui permettait au nord à une poignée d’hommes de bloquer une armée (je suis à la disposition de mes lecteurs spécialistes des questions militaires pour donner plus de détails).
Quant au peuple vietnamien, il était très partagé et, comme souvent, du côté « légitime » (ou du plus fort, comme on voudra) c’est-à-dire dans un premier temps, celui des Français. D’ailleurs l’armée française comprenait plus Vietnamiens que de Français.
Ce n’est que petit à petit, et au Vietnam Nord seulement, que le formidable appareil de propagande et de menaces, voire de terreur, du parti communiste local, appuyé par la Chine et la Russie a gagné des appuis dans la population.
Je sais que je vais contre la mode et les convictions d’aujourd’hui, mais il faut remettre chaque époque dans son contexte. Il y a certes eu des abus ou du mépris de la part de certains Français, mais c’est à comparer aux abus et mépris de la classe féodale vietnamienne envers le petit peuple.
Une paix de compromis fut signée en 1954 abandonnant le nord aux parti communiste et attribuant le sud aux nationalistes. Les troupes françaises partirent de ce Vietnam du sud quelques années plus tard.
Mais les civils français y restèrent jusqu’à la fin en 1976, y compris ceux qui avaient un rôle économique, illustrant des bons rapports entre les deux peuples.
La guerre américaine
Je vais passer rapidement sur cette deuxième guerre bien documentée, mais là aussi totalement déformée par la mode « décoloniale » actuelle. L’épisode de la bataille de Hué en 1968 en témoigne : le Viêt-Cong s’était infiltré dans la ville et avait demandé à la population de se soulever contre les Américains et le gouvernement du Sud. La consigne n’a pas été suivie et il y eut des massacres de civils par le Viêt-Cong en représailles.
La raison de l’abandon américain ne provenait pas d’une défaite militaire mais de considérations de politique intérieure américaine : des célébrités et certaines communistes comme Angela Davis, ayant fait campagne pour : « nous ne voulons pas que nos enfants aillent mourir dans ces pays ». On croirait du Trump.
Un développement longtemps bloqué par le communisme
Le régime communiste au nord a commencé en 1954.
Comme dans les autres pays communistes, la prise du pouvoir s’est faite avec la sympathie des paysans, à qui on avait promis la distribution des terres. Et, comme dans les autres pays communistes, ce fut in fine la nationalisation sur le modèle des kolkhozes russes. Les paysans se révoltèrent et furent écrasés, comme en Ukraine en 1932.
Les catholiques du nord se réfugièrent au sud.
Mon grand-père vit arriver ses anciens amis communistes fuyants ce nouveau régime et trop contents d’être accueillis par l’ancien colonisateur qu’ils avaient combattu. J’ai été témoin de leur déception face au « communisme réel ».
Au sud, les communistes prirent le pouvoir en 1976 après le départ des Américains.
Comme dans les autres pays communistes, le Vietnam s’appauvrit rapidement, la famine se répandit et je me souviens des campagnes faisant appel aux dons : « aidez les enfants vietnamiens affamés ».
Une partie de la population s’enfuit dans des embarcations de fortune en mer de Chine du Sud. Une partie disparut, une autre fut recueillie par des navires occidentaux, dont celui envoyé par Médecins sans frontières.
D’autres furent la proie des garde-côtes thaïlandais qui massacrèrent les hommes et dirigèrent les femmes dans les bordels qui étaient la grande industrie de ce pays : j’ai lu des rapports économiques thaïlandais très officiels plaçant « l’industrie du sexe » entre d’autres activités économiques comme le textile ou le tourisme.
Le rattrapage économique depuis 1989
Je suis allé plusieurs fois Vietnam à partir de cette année-là.
La Chine venait de prendre son virage économiquement libéral et le Vietnam eut la bonne idée de l’imiter. Les paysans eurent droit de vendre leur récolte, la famine cessa instantanément et on ne savait plus où stocker le riz.
Les paysans dépensaient leur argent en ville, et ces dernières ressuscitèrent.
En 1989, Saïgon était misérable et le soir les trottoirs défoncés et sans lumière vous faisaient tomber dans les égouts.

Aujourd’hui, comme vous pouvez le constater à la télévision, les villes sont impeccables, les bâtiments neufs sont nombreux, ainsi que les scooters et les camions. Et le pays est devenu un petit dragon… de 100 millions d’habitants quand même !
À mon avis, comme en Chine il ne s’agit pas d’un miracle, mais d’un rattrapage : une population sérieuse et scolarisée, mais appauvrie par une longue guerre et un pilotage économique désastreux se redresse très vite dès que les dirigeants lui accordent la liberté de commercer et d’entreprendre et assurent l’ordre public.
La Chine en témoigne, mais on peut également citer le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne d’après 1945 etc.
Le rattrapage n’est pas simplement le retour à l’état de choses antérieur : pendant les décennies de guerre et de ruine de l’économie, le reste du monde a progressé et l’ouverture aux investisseurs étrangers permet d’intégrer toutes les nouveautés techniques et d’organisation qui se sont accumulées entre-temps.
Autrement dit, le pays accède au niveau auquel il aurait dû se trouver avec un gouvernement normal. Rien de miraculeux donc, comme on le constate dans les pays cités plus haut qui, une fois le rattrapage fait, se mettent à croître à un rythme normal.
Rappelons que le pays reste bien sûr communiste, donc dictatorial et corrompu. La liberté économique reste étroitement contrôlée politiquement et doit assez souvent s’acheter. J’ai été directement témoin d’activité privée menée clandestinement par des fonctionnaires.

La quasi-disparition de la francophonie
La forte estime culturelle réciproque entre Français et Vietnamiens avait largement répandu le français, comme en témoignent les nombreux scientifiques et écrivains vietnamiens arrivés en France jusqu’en 1980.
J’ai reçu les confidences d’un agent de la CIA pendant la guerre américaine : « si vous arrivez dans un restaurant qui ne vous connaît pas, parlez français pour être bien servi ! »
Quant aux exilés qui se sont réfugiés aux États-Unis autour de 1976, ils continuaient à y parler français, comme je l’ai constaté dans l’agglomération de Los Angeles où l’on ne pouvait pas échapper à Georges Brassens et Édith Piaf dans les quartiers vietnamiens.
Bien entendu, comme dans tous les pays communistes – sauf la Roumanie – le français, non seulement a perdu ses cadres bourgeois diplômés emprisonnés ou exilés, mais il fut même interdit car il pouvait transmettre des idées subversives.
De toute façon, en période de misère, on essaie de survivre et non pas de cultiver une langue étrangère.
Et quand le pays s’est rouvert dans les années 1990, le commerce s’est fait avec les pays voisins (Chine, Hong Kong, Japon, Thaïlande, Malaisie…) dont la langue des affaires est l’anglais. Sans parler des Américains qui sont re–précipités dès que ça été politiquement possible.
Il ne reste plus que quelques noyaux francophones reliés par Le courrier du Vietnam, une filière de coopération médicale et des relations institutionnelles comme l’Organisation internationale de la Francophonie, l’Agence Universitaire de la Francophonie, l’Institut français ou les départements de français des grandes universités.
Si on rajoute le fait que la culture vietnamienne classique, donc « bourgeoise » n’est pas très bien vue et que la langue elle-même s’est dégradée, c’est donc un Vietnam ayant perdu une partie de ses racines qui plonge maintenant dans le monde moderne…
Retour sur l’aveuglement communiste
Une fois de plus, je reste sidéré par les dégâts que les communistes imposent à leurs propres pays, malgré les leçons répétées de l’histoire. Ils ont tous connus, et pour les mêmes raisons, des famines à répétition, avec des dizaines de millions de morts dans le cas de la Chine. Et cela pour des raisons de pure fidélité au dogme.
En Chine, Den Xiaoping a eu le courage d’en sortir, mais seulement après des dizaines d’années de famine.
Le Vietnam a suivi, mais après 36 ans de disette au nord et 14 ans au sud !
Et aujourd’hui encore le Venezuela et Cuba sont sous-alimentés, alors que la Russie et l’Ukraine, une fois sortie de ce système, sont redevenus des exportateurs massifs de blé.
Et en 2025 ?
(mise à jour 21 avril 2025)
Ce pays est menacé par un droit de douane trumpien de 46 %. Il faut dire qu’il participe, avec d’autres pays de la région et avec le Mexique, à l’assemblage de produits chinois qui évitent ainsi les menaces américaines.
Le président chinois s’est immédiatement précipité au Vietnam pour consolider la coopération. Cela malgré une hostilité millénaire et la prise de contrôle par Pékin des îles vietnamiennes de la mer de Chine du Sud…
Yves Montenay
Crédit photo de couverture : Le Courrier Vietnam, La francophonie au Vietnam, photo par VNA/CVN 19/03/2024

Le Vietnam d’aujourd’hui connait aussi une forme de popularité liée au rejet de la Chine — que ce rejet soit lié à des raisons politiques ou économiques, les zones côtières chinoises ayant vu leur coût du travail monter significativement.
Je me souviens d’une visiteur de Hanoï et de sa région en 2008, j’avais été fortement impressionné par la vitalité du pays : comme en Chine, dans les villes, la vie ne s’arrête jamais. Et là-bas, on ne râle pas contre le gouvernement qui ne ferait pas bien son travail, on sait que le gouvernement ne lèvera pas le petit doigt pour nous. Alors, on se prend en charge.
Espérons des avis de Vietnamiens :-)
Un petit détail de taille: la comparaison entre Trump et Angela Davis n’est pas judicieuse.
Davis a contesté l’intervention américaine par pur idéalisme militant, et pacifisme irresponsable.
Trump ne souhaite pas intervenir en Ukraine par pure préoccupation économique (trop cher. La liberté des Ukrainiens ne le vaut pas. Voire celle des Européens…). Les 2 personnages sont sur des galaxies différentes
La meilleure comparaison pour Trump serait celle avec Nixon: dès la fin des années 60, le coût de la guerre américaine s’avère exorbitant (et les Hippies, accompagnés des Extrêmes Gauches occidentales somnambules, occupent les rues et les universités). Donc, les USA se mettent à penser Fric plutôt que Free: le voyage de Nixon en Chine pour préparer l’abandon du Sud Vietnam au communistes, en échange du marché chinois juteux, concrétise cette orientation Yankee. D’ailleurs, dès les accord de Paris signé (1973) la Chine envahit des îles au large de Nha Trang, appartenant au Sud-Vietnam : bien sûr, l’US Navy est juste à côté, mais elle ne bouge pas. La liberté de l’aire « Indochine » est abandonnée par les USA sur l’autel du capitalisme national. Les conséquences de cette trahison américaine seront tragiques et immédiates : les Khmers Rouges assassinent 2 millions de Cambodgiens, et les Staliniens Vietnamiens transforment leur pays en un gigantesque Goulag qui générera des milliers de Boat People et une pauvreté record (en 1978, le Vietnam devient le pays le plus pauvre du Monde, juste devant le Bengladesh). Le parapluie américain a ses limites: l’argent. S’il n’est pas là, Bye Bye. Le soutien US à l’Europe de l’Ouest n’a valu que pour les perspectives sonnantes et trébuchantes que son marché faisait miroiter aux entrepreneurs américains: on sait qu’une monnaie était prête à remplacer le Franc dès les nazis chassés, et que même une administration directe de la France par des Cow Boys était envisagée. De Gaulle a du affronter ça. Bref : espérons que le scénario sanglant inventé au Vietnam par les Américains ne sera pas reconduit en Ukraine. Rien n’est moins sûr…..
Je suis d’accord que le cerveau de Davis et celui de Trump sont très différents, mais le résultat a été le même
Pour le reste, ce que vous décrivez est effectivement ce qui motive les actions de certains Américains.
Une fois de plus on voit que le communisme produit de la misère alors qu’un libéralisme même modéré produit de la prospérité. Dommage qu’on n’enseigne pas cette évidence dans nos universités, exemples à l’appui.
Article passionnant