La Serbie, le Kosovo et l'Union Européenne

La Serbie, le Kosovo et l’Union Européenne…

On avait oublié la Serbie ! Heureusement, des manifestations massives et répétées la rappellent à notre bon souvenir. Et mes lecteurs me demandent de quoi il s’agit.

D’abord, regardez la carte.

La Serbie et ses voisins - 2024
La Serbie et ses voisins – 2024

C’est un pays des Balkans, candidat depuis 2012 à l’entrée dans l’Union européenne.

Voulez-vous en savoir plus ?

Les origines de la Serbie

La future Serbie fait partie de l’empire byzantin lorsque des tribus slaves s’installent sur les rives du Danube au VIe siècle. Elles repoussent les Byzantins, et une de leurs tribus, les Serbes, s’installent à cheval sur le Danube.

Leur Etat atteint son apogée au XIVe siècle.

Les Turcs grignotent l’empire byzantin et écrasent les Serbes lors de la bataille de Kosovo en 1389 et la Serbie passe progressivement sous leur domination.

La question du Kosovo

Les Kosovars sont un peuple disant descendre des Illyriens, population présente avant l’empire romain puis byzantin, et donc notamment avant les Serbes.

Ils sont devenus musulmans à l’époque ottomane alors que les Serbes sont restés chrétiens orthodoxes.

Les Kosovars font partie du peuple albanais présent non seulement en Albanie mais aussi au Monténégro, en Macédoine du Nord et dans la partie sud de la Serbie.

Sur la carte ci-dessous, on remarque que le nord du Kosovo est de population serbe, ce qui a des conséquences aujourd’hui (voir plus bas). Inversement, certaines vallées de Serbie, notamment au delà du sud-est du Kosovo sont de population kosovare.

La carte ethnique du Kosovo (2011) - Jacques Leclerc
La carte ethnique du Kosovo (2011) – Jacques Leclerc Université Laval Québec

La renaissance de la Serbie

A partir de 1459, la Serbie est totalement occupée par l’Empire Ottoman. Comme les autres pays des Balkans, les Serbes profiteront de son affaiblissement au cours du XIXe siècle.

Après plusieurs soulèvements de 1804 à 1817 arrachant leur autonomie aux Ottomans, ils deviennent pleinement indépendants en 1878, à la suite du Congrès de Berlin.

Puis la Serbie s’étend vers le sud, partiellement peuplé de Kosovars.

Après la première guerre mondiale, en 1918, la Serbie devient une partie du nouveau Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, qui sera renommé Yougoslavie, pays des slaves du Sud, en 1929.

La période communiste

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Yougoslavie est envahie et divisée par les nazis.

La résistance communiste menée par Josip Broz Tito prend le pouvoir sans l’armée rouge, ce qui permet à la Yougoslavie de garder son indépendance par rapport à Moscou.

Elle adopte un communisme « auto gestionnaire » et non aligné.

La Serbie n’est alors que l’une des six républiques constitutives de la Yougoslavie qui regroupe les peuples très différents :

  • les Croates et surtout Slovènes sont catholiques et de traditions occidentales,
  • les Bosniaques et les Kosovars sont pauvres et musulmans,
  • les Serbes, les Macédoniens et les Monténégrins sont orthodoxes.

Seul la « main de fer » de Tito maintient l’unité yougoslave.

Étant allé dans ce pays en 1968, j’ai pu mesurer l’immensité des différences entre les ethnies : le contraste était total entre la côte croate de tradition vénitienne et l’intérieur bosniaque les islamisé par l’empire ottoman, et dont les marchés rappelaient ceux du Maghreb d’alors.

Les guerres civiles des années 1990

Après la mort de Tito, la Yougoslavie éclate.

La Serbie, sous la présidence de Slobodan Milošević, massacre une partie des autres ethnies yougoslaves, et notamment des Croates catholiques, des Bosniaques et des Kosovars musulmans.

L’armée française est une des composantes des forces de l’ONU tentant de séparer les combattants, mais le torchon brûle entre le président Mitterrand, ayant gardé la nostalgie de l’alliance serbe de 1914-18, et le premier ministre Jacques Chirac, poussant les Français à répondre aux attaques Serbes.

Le retour de la question kosovare

Depuis 1995, la situation serbe a été marquée par la répression des Albanais du Kosovo par le gouvernement de Slobodan Milošević et la constitution de l’Armée de Libération du Kosovo

L’OTAN est intervenue en 1999, en bombardant la Serbie pour appuyer les Kosovars.

Puis le Conseil de sécurité de l’ONU a placé le Kosovo sous l’administration intérimaire des Nations Unies, tout en restant officiellement une province de la Serbie.

La Russie et la Chine ont soutenu la Serbie dans son opposition à l’indépendance du Kosovo.

Enfin, en 2008, les dirigeants kosovars ont déclaré unilatéralement leur indépendance.

Le problème est que l’on a gardé les frontières provinciales qui laissent dans le nord du Kosovo une zone de peuplement serbe et de monastères historiquement symboliques, tandis que certaines vallées de peuplement kosovar ne sont pas dans le Kosovo actuel.

Un échange de territoires paraît logique, mais la Serbie est crispée dans son déni de la perte des territoires kosovars.

Pourtant, le Kosovo a été reconnu par plus de 100 pays, y compris les États-Unis et la majorité des membres de l’Union européenne.

Cependant, la Serbie, appuyée notamment par la Russie, continue de ne pas reconnaître le Kosovo comme un État indépendant, avec lequel traiter froidement de la question des frontières.

Vers l’entrée dans l’Union européenne ?

Cette adhésion est une évidence géographique, car la Serbie est entourée de pays membres, mais les complications historiques l’ont empêchée jusqu’à présent.

Peuplement de la Serbie et de ses voisins européens
Peuplement de la Serbie et de ses voisins européens

Outre la question kosovare, la société serbe ressemble à celle des autres pays balkaniques tenus à l’écart du développement démocratique et plus généralement de l’occidentalisation par l’occupation ottomane.

Le régime est autoritaire, les structures sociales traditionalistes et la corruption est générale.

Or les jeunes sont moins sensibles que leurs ainés aux questions ethniques ou identitaires et ils sont exaspérés par l’autoritarisme et la corruption. Ils souhaitent être « comme en Europe »

Depuis la chute de Milošević en 2000, et sa mort dans la prison de la Cour pénale internationale, la Serbie a entrepris, du moins officiellement, des réformes démocratiques pour appuyer sa demande d’entrée dans l’Union européenne.

Mais l’UE estime que la démocratisation et la lutte contre la corruption ne sont pas allées assez loin.

Sans compter qu’avec le conflit en Ukraine, l’alliance traditionnelle entre la Serbie et la Russie est une complication supplémentaire.

Le rebondissement actuel

C’est dans ce contexte de réformes jugées insuffisantes qu’est arrivée l’affaire de la Gare de Novi Sad, chef-lieu de la province du Nord, autonome du fait de sa minorité hongroise.

L’effondrement de cette construction neuve, qui a fait de nombreux morts, est attribué à la corruption générale, elle-même favorisée par l’autoritarisme du président Vucic.

Ces manifestations augmentent d’intensité depuis novembre 2024.

Les structures de pouvoir traditionnelles résistent, tandis que certains Européens s’inquiètent de l’arrivée dans l’Union d’un pays aux mœurs encore très éloignées de la partie occidentale de l’Europe et empêtré dans des problèmes ethniques.

Ces manifestations sont d’autant plus importantes que la situation économique oblige les jeunes à partir travailler à l’étranger, notamment en Allemagne. Ce qui accélère le vieillissement de la population et dégrade encore plus l’économie…

Bref la probable entrée de la Serbie dans l’Union européenne ne changera pas miraculeusement la situation serbe, et compliquera la gestion des institutions européennes.

À moins que le mouvement actuel n’amène au pouvoir une personnalité à la fois sérieuse et énergique. On peut penser au redressement économique français sous la direction de De Gaulle à partir de 1958 malgré la guerre d’Algérie…

Mais je ne connais pas suffisamment la Serbie pour aller plus loin dans mes pronostics.

Yves Montenay

4 commentaires sur “La Serbie, le Kosovo et l’Union Européenne…”

  1. J’ai été particulièrement impliqué dans le conflit des années 90. Votre résumé est assez conforme aux doxas de l’époque et du moment ; mais la réalité est infiniment plus compliquée … et équilibrée …

  2. On ne peut pas dire que Milosevic a massacré une partie des peuples yougoslaves. Il y eut des affrontements de l’armée yougoslave avec les milices croates à Vukovar ou ailleurs mais c’était pour reprendre des zones peuplées de Serbes. Il y eut surtout des massacres de civils bosniaques pour faire fuir ces populations de zones serbes refusant ainsi la domination musulmane en Bosnie. Au total moins de 100000 morts dont beaucoup de Serbes !

    1. Il a quand même été condamné par la cour pénale internationale pour le massacre de Srebrenica : tous les hommes de cette ville ont été emmenés et exécutés. C’est un procès public où toutes les pièces et témoignages ont été livrés à la presse internationale.
      Vukovar et Sarajevo étaient de population mélangées et il y a eu des tirs serbes sur les populations civiles.
      Cela n’empêche pas qu’il y a probablement eu des abus ou des représailles de tous les côtés

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