La bataille a été brève, Israël a gagné mais la guerre n’est pas finie. Presque tous les problèmes demeurent.
Une fois de plus les opérations militaires ont spectaculairement prouvé la supériorité d’Israël sur l’Iran, avec toutefois l’appui de quelques grosses bombes américaines…
Mais qui va gagner la guerre ? On ne le sait pas aujourd’hui car tant Israël que l’Iran ont leurs faiblesses.
Commençons par un rappel historique, alors qu’Israël et l’Iran étaient encore des pays amis…
L’Iran « occidental » devient islamiste en 1979
Depuis la création d’Israël en 1948, l’Iran, monarchie pro-occidentale, avait établi des relations discrètes mais cordiales avec l’État hébreu.
Les deux pays collaboraient notamment dans le domaine énergétique et militaire.
Le régime du Shah était moderniste, un peu comme celui d’Atatürk ou de Bourguiba.
Le pays se développait du fait de l’action du souverain et d’une bourgeoisie occidentalisée et francophone.
Mais cette dernière ne supportait pas l’autoritarisme du souverain et sa police politique.
Son action en Occident a peu à peu fait perdre ses soutiens politiques au Shah, et le président Giscard d’Estaing a même hébergé en France son principal opposant, l’ayatollah Khomeini.
Les Occidentaux ont fait pression sur l’Iran pour que ce dernier puisse revenir au pays. Le Shah part en exil.
Les premiers gouvernements après la chute de la monarchie ont été confiés à la bourgeoisie francophone (et notamment à un centralien), mais très vite la Révolution est devenue islamiste.
Un nouveau régime dictatorial plus sanglant que celui du Shah se met en place, éliminant ou imposant le silence à une élite très occidentalisée et largement francophone.
Rétrospectivement, le refuge que l’ayatollah Khomeiny a trouvé dans la France de Giscard, avant la révolution islamique, apparaît incompréhensible !
Le renforcement de l’Iran autour des années 2000
En 1979, l’Iran rompt ses relations avec Israël, qualifié désormais de « tumeur cancéreuse » à éradiquer, par solidarité avec les Palestiniens.
C’est le début du soutien de l’Iran aux groupes armés comme le Hezbollah au Liban ou le Hamas à Gaza.
C’est aussi celui d’une prise de pouvoir des milices chiites en Irak (pays à légère majorité chiite) et par Bachar el-Assad en Syrie, représentant la minorité alaouite, chiite, mais avec seulement 8 à 10 % de la population.
Israël réussit à signer la paix avec ses voisins égyptiens et jordaniens et, plus tard, signera les accords d’Abraham avec l’Arabie et les Emirats. Israël a même tout récemment signé un important contrat gazier avec l’Égypte.
Les Emirats, comme Israël, voient dans l’Iran chiite l’ennemi principal.
Cette crainte est redoublée en Israël par les ambitions nucléaires iraniennes et les discours belliqueux de ses dirigeants.
Les États-Unis soutiennent fermement Israël, tandis que la Russie et la Chine, pour des raisons stratégiques et énergétiques, se rapprochent de l’Iran.
2023-25, l’effondrement iranien
Depuis 2023, les piliers régionaux du régime iranien se sont affaiblis :
– En Palestine, le Hamas, après sa guerre contre Israël depuis octobre 2023, est militairement exsangue.
– Au Liban, le Hezbollah libanais a perdu son chef et de nombreux cadres dans des frappes ciblées.
– La Syrie a changé de camp après la chute du régime de Bachar el-Assad pour rejoindre les puissances sunnites que sont la Turquie et l’Arabie.
– L’Irak est agité par une contestation populaire contre les milices chiites inféodées à Téhéran.
À l’intérieur, la pression sociale et économique mine le régime des mollahs.
Les sanctions occidentales, le boycott commercial, les coupures d’électricité et la répression religieuse étouffent la population, dont une partie commence à réclamer ouvertement un changement de régime.
L’histoire démontre néanmoins que tout changement de régime nécessite la neutralité ou le ralliement partiel des forces armées à la population.
Ce n’est pas le cas pour l’instant : il n’y a pas que l’armée, il y a aussi « les gardiens de la révolution » non seulement puissante force militaire et policière, mais aussi force économique par le contrôle des frontières et la corruption massive qui en découle.
4. La guerre des 12 jours (16–28 juin 2025)
J’évoquais dans un précédent article les causes profondes du conflit Israelo-iranien.
L’escalade a commencé par une série de frappes israéliennes sur les installations nucléaires iraniennes dissimulées dans le massif du Zagros, dont les résultats sont incertains.
Téhéran a réagi par des attaques de drones sur les ports israéliens d’Eilat et Haïfa, causant des dégâts matériels et une vingtaine de morts.
Israël a alors lancé une campagne de bombardements sur des bases des Gardiens de la révolution, des usines de drones et des infrastructures énergétiques iraniennes.
Les États-Unis ont soutenu Israël en envoyant leurs fameuses bombes pour détruire en profondeur les sites nucléaires iraniens. Les dégâts ne sont pas vérifiables et l’Iran proclame avoir mis auparavant à l’abri son uranium enrichi.
La Chine a appelé à la retenue, soucieuse de ses approvisionnements pétroliers, tandis que l’Europe a tenté de relancer les négociations sur le nucléaire…
Le 28 juin, l’Iran finit par accepter un cessez-le-feu sans conditions, sous la pression des Etats-Unis et de sa propre population.
Israël annonce la réussite de ses objectifs militaires. La bataille a été brève, mais la guerre n’est pas finie car les mêmes problèmes demeurent.
Un des alliés de l’Iran, le Yémen des Houtis (chiites) continue le combat, non seulement sur le front face aux Emirats et à l’Arabie, mais aussi en envoyant des missiles sur l’Arabie et les bateaux commerciaux transitant par la mer Rouge.
L’approvisionnement de l’Occident doit donc faire le tour de l’Afrique, ce qui le renchérit et prive l’Égypte d’une grande partie des recettes du canal de Suez, mettant en péril ce pays déjà très appauvri.
Des manifestations éclatent à Ispahan, Chiraz et Téhéran. Les slogans visent non pas Israël, mais le régime iranien.
L’armée régulière hésite à intervenir contre les civils, tandis que les pasdarans (gardiens de la révolution islamique) les répriment violemment.
Et maintenant ?
La défaite militaire et la perte de crédibilité du régime accélèrent la désaffection populaire.
Un scénario à la 1989 (chute du bloc soviétique) devient envisageable.
Mais l’issue reste incertaine : le régime peut s’effondrer… ou se radicaliser davantage.
Il faudrait que tout ou partie des militaires rejoigne les insurgés.
Comme en Égypte (prise de pouvoir par Nasser), en Irak (prise de pouvoir par Saddam Hussein), en Syrie (l’armée à prédominance alaouite a porté Hafez el Assad, père de Bachar, au pouvoir et le basculement récent vient d’une armée islamiste appuyée par l’Arabie et la Turquie).
Et on peut remonter aux exemples de l’armée rouge de Mao et à l’exécution d’officiers de l’armée impériale par les communistes dans la Russie de 1917.
En Israël, le gouvernement sort renforcé à court terme.
Mais les divisions internes persistent. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou est accusé de perpétuer la guerre pour raisons personnelles : garder son immunité face au procès de corruption en cours et se maintenir au pouvoir sans être validé par de nouvelles élections.
Cela le soumet au chantage de l’extrême droite israélienne, dont l’objectif est la disparition des Palestiniens. Elle menace à tout moment de se retirer de la coalition, ce qui déclencherait des élections.
A cela, il faut ajouter les tensions entre ultra-orthodoxes et laïques, et la question palestinienne, toujours sans solution…
Bref la guerre des 12 jours se termine par une victoire tactique, mais qui ne résout rien.
Et tant qu’il n’y aura pas de paix, Israël sera de moins en moins un refuge pour les Juifs du monde entier.
L’émigration d’israéliens vers les États-Unis va continuer et peut-être s’accélérer, diminuant la population d’âge adulte qui est nécessaire à l’armée, qui voit démissionner de plus en plus de réservistes pour des raisons économiques.
Et l’immigration juive vers Israël est ralentie par la guerre avec l’Iran ainsi qu’avec les Palestiniens : il est difficile d’expliquer à un juif français ou britannique qu’il sera plus en sécurité en Israël que dans son pays actuel !
Or n’oublions pas que, face à 8 millions d’israéliens, il y a 8 millions de Palestiniens, 90 millions d’iraniens et près de 300 millions d’Arabes. Et Israël a toujours été très attentif à maintenir un équilibre démographique en essayant de faire venir les Juifs du monde entier.
A mon avis, il n’y aura de véritable changement au Proche Orient que s’il y a un triple changement de régime : en Iran, en Israël mais aussi en Palestine.
L’autorité palestinienne est aujourd’hui très faible et le Hamas a mené Gaza à la ruine.
Sur le plan international, les équilibres des alliances changent :
- L’Arabie saoudite et les Émirats resserrent leur coopération avec Israël.
- La Turquie, face à un Iran affaibli, se pose plus que jamais en leader du monde musulman.
- La Russie et la Chine, théoriquement alliés de l’Iran, ne bougent pas. La Russie a appris à fabriquer les drones qu’elle achetait à l’Iran, la Chine peut bénéficier du pétrole russe.
L’Europe reste en retrait, inquiète d’un nouvel afflux de réfugiés et de possibles ruptures d’approvisionnement énergétique.
La France appelle à une conférence internationale sur la sécurité régionale, sans écho concret.
Conclusion : un choc violent mais à l’effet encore indécis
Le conflit israélo-iranien a franchi un seuil avec la guerre de juin 2025. Si Israël en sort militairement victorieux, la stabilité régionale reste fragile.
La chute du régime iranien pourrait ouvrir une nouvelle ère, mais sa survie actuelle a déjà entraîné une répression accrue et une radicalisation.
Enfin, la question palestinienne reste entière. Aucune des causes profondes du conflit n’a été résolue.
Yves Montenay

Cette région est complexe dans la mesure où tout le monde couche avec tout le monde et des alliances improbables peuvent alors se nouer au gré des circonstances, comme par exemple Israël ayant favorisé l’émergence du Hamas pour affaiblir l’OLP…
Pour sûr, Netanyahou peut fanfaronner à court terme, mais ces victoires tactiques ont des coûts politiques qui resteront, Israël passant de plus en plus pour un Etat voyou.
Quant à l’Iran, on peut faire confiance au régime pour jouer la fibre nationaliste marchant généralement très bien avec les populations rurales et continuer le programme nucléaire car outre Israël, l’Iran a une frontière commune avec un autre pays nucléarisé et politiquement peu sûr sur la durée : le Pakistan.
Par ailleurs, comme j’évoquais plus haut, on ne peut exclure une alliance tordue avec la Turquie et l’Irak pour maintenir un certain statut quo car, vous évoquiez l’Union Soviétique, un des scénarios envisageables en cas de chute du régime est l’éclatement de l’Iran, ce qui voudrait tout de suite dire l’apparition d’un Kurdistan iranien indépendant, ce qui ne ferait pas vraiment les affaires ni d’Ankara, ni de Badgad.
Merci, notamment pour la prospective, qui est un art très difficile
Bonjour Yves,
Comment vas-tu depuis le temps de l’ESCP.
Je suis en revanche un fidèle lecteur de tes billets que j’apprécie particulièrement.
Pour une fois peux-tu m’expliquer, moi qui ne connait pas du tout la région, ce que recèle ta phrase :
L’Irak est agité par une contestation populaire contre les milices chiites inféodées à Téhéran.
Merci
Avec mes amitiés
Dominique
Bonjour Dominique,
j’ai un trou de mémoire et ton prénom ne me dit rien pour l’instant. Mais je te donne l’explication. L’Irak est en majorité chiite, il y a deux minorités importantes : les Kurdes et les Arabes sunnites. Traditionnellement les dirigeants étaient des sunnites, jusqu’à Saddam Hussein compris. Maintenant qu’il y a une relative démocratie, les chiites sont majoritaires au Parlement, mais ils sont divisés. Donc se sont créés des milices, mais qui sont divisées aussi : les chiites irakiens sont des Arabes, les chiites iraniens sont des Perses. Donc une bonne partie du peuple rejette l’influence de l’Iran qui n’est pas un pays arabe.
Je peux te donner plus de détails si utile
La Lybie de Khadafi, la Syrie d’Assad et l’Irak de Saddam Hussein présentent les mêmes similitudes structurelles, à savoir des nations artificielles avec des frontières tracées à la règle sur un coin de table et en interne des tribus traditionnellement rivales, avec à l’arrivée le noyautage des institutions par une de ces tribus ensuite indélogeable sauf intervention externe.
Et en termes de « real politik », le trio Assad / Kadhafi / Hussein était un moindre mal car il assurait tant bien que mal une certaine stabilité dans la région et c’était pour ça que Bush père s’était bien gardé de renverser Saddam Hussein en 1991, en tant qu’ex-directeur de la CIA, il était bien placé pour savoir à quel point la région est une pétaudière.
Dans le cas d’Assad, il a pris par ricochet les conséquences du renversement de Saddam Hussein, ce qui l’a poussé à aller trop loin et à devenir un allié encombrant pour tout le monde, d’où la perte de ses soutiens, la clochardisation de son armée et la chute du régime…
L’accueil de Khomeini était du même calibre que le propalestinisme d’une partie de l’opinion française. « Gays for Palestine, Chickens for KFC ». Un certain masochisme … Quant à la sécurité des juifs français, britanniques et surtout belges, je pense qu’elle sera meilleure en Israël. Au moins, ils y auront le sentiment que personne ne leur dira qu’ils ne sont pas chez eux. Quand les enfants juifs ne peuvent plus fréquenter l’école publique dans certains quartiers, quand on est obligé de protéger les synagogues …
La sécurité en Israël est… variable : attaque du 7 octobre, bombardements iraniens, du Hezbollah ou des Houtis.
Les enfants juifs en question portent-ils la kippa ? Dans ce cas la question est analogue à celle du voile pour les filles musulmanes